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et il saura faire entendre ses revendications, car nul n'est plus expert dans l'art de fomenter et de prolonger des grèves. Sachons donc prendre à ce peuple un peu de la patience qui le caractérise et efforcons-nous de lui faire comprendre quelles sources de bien-être et de jouissances pour l'ensemble de la population peuvent devenir ses ressources latentes. mais évitons de continuer à employer les moyens malhonnêtes ou brutaux dont on n'a que trop fait usage jusqu'à présent. M. L R.

LA MORALE BASÉE SUR LA DÉMOGRAPHIE, par ARSÈNE DUMONT. 1 vol. in-18, Paris, Schleicher 1901.

Tout savoir a commencé par être théologique, pour devenir métaphysique et enfin scientifique. La plupart des sciences ont subi cette évolution, mais la morale, étant la plus complexe et la plus délicate de toutes les parties du savoir humain, est destinée, par cela même, à ne s'élever que la dernière au rang de science positive. Elle n'y est pas encore parvenue, mais le moment est arrivé de la scientifiser. Sur quelle base l'établira-t-on ? Sur l'ethnographie et surtout sur la démographie. Telle est, en résumé, la thèse soutenue par M. Dumont.

La crise par laquelle passe en ce moment la moralité tient à ce que la base théologique qu'on lui donne n'est pas solide; la base métaphysique ne l'est pas davantage et la base scientifique n'est pas encore établie. Il s'agit donc de jeter les fondements scientifiques de l'éthique, et tout d'abord de démolir les bases fausses qui sont les premiers obstacles à la constitution d'une morale scientifique.

En conséquence, après avoir décrit la crise de la moralité, M. Dumont critique le théologisme et la métaphysique.

La morale théologique est mauvaise à tous égards et l'auteur est d'avis que la morale chrétienne l'est surtout. Le christianisme n'a pas découvert une seule vérité en morale plus qu'en physique. Ses dogmes sont erronés, sa morale nuisible. « Les civilisations antiques, celles de l'Egypte, de l'Assyrie, de la Grèce et de Rome se sont élaborées sans lui, puisqu'il n'existait pas encore, et quant à la civilisation occidentale, c'est non par lui, mais malgré lui qu'elle s'est développée. »

La métaphysique est, après la religion, le principal obstacle à la constitution de la science morale. Comme la religion, elle empêche de chercher la vérité, en soutenant qu'elle l'a depuis longtemps trouvée. Le philosophe qui cherche les fondements de la morale métaphysique regarde en lui-même et non au dehors. « Il ne sort presque jamais du point de vue individuel, du droit individuel, de la valeur et du bonheur

individuels, de la sanction individuelle... La morale métaphysique, subjective dans son point de départ, n'arrive jamais à l'objectivité. » La difficulté consiste à trouver un critérium permettant de distinguer les choses qu'il faut faire et considérer comme des devoirs, avec leur degré plus ou moins grand d'obligation. Mais cette difticulté n'est pas insurmontable, « Une morale véritablement scientifique peut aujourd'hui s'élaborer, grâce à la constitution récente de deux sciences qui n'existaient point il y a 50 ans : l'ethnographie qui la renseigne sur ses origines, et la démographie qui lui révèle ses sanctions. >>

Les renseignements fournis par l'ethnographie sur les origines de la morale ne sont-ils pas sujets à caution? Je ne voudrais pas en répondre. Quant aux sanctions que révèle la démographie, voici sommairement en quoi elles consistent.

La sanction sur laquelle doit se 'baser une loi morale doit être collective, non individuelle. Cette sanction n'est ni le bonheur des individus ni celui des sociétés, elle consiste dans l'augmentation ou la diminution de la valeur collective. L'état démographique d'une population est la mesure de sa valeur et le critérium de la bonté de ses mœurs. La valeur et non le bonheur est la fin de l'homme individuel et collectif.

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En parlant sociologie et, par conséquent morale, «< il est indispensable de se placer toujours au point de vue social, jamais au point de vue individuel. Il ne faut jamais juger la moralité d'une action d'après ses résultats bons ou mauvais pour l'individu qui en est l'auteur. La science morale ne peut se baser que sur la sanction frappant une collectivité entière, telle qu'une commune, un département ou une nation. La sanction qui, seule, peut servir à fonder la morale scientifique, c'est l'augmentation ou la diminution de la valeur collective. »

Nous ne pouvons entrer dans le détail d'un système si nouveau, mais nous devons indiquer rapidement quelques points qui nous paraissent faibles, ne fût-ce que pour exciter l'auteur à les fortifier.

D'après M. Dumont, la morale théologique et la morale métaphysique n'ont fait que du mal. Je suis loin de dire qu'elles n'en ont fait aucun, mais j'ai toujours remarqué qu'une médaille avait deux faces. M. Dumont les a-t-il bien examinées toutes les deux ? Admettons-le. Il restera que la civilisation s'est développée jusqu'à ce jour malgré les morales. La conclusion à tirer de ce fait serait de renoncer à toute morale théologique et métaphysique, afin de voir de quel pas marcherait la civilisation ainsi débarrassée des obstacles qui l'ont entravée jusqu'ici. Vous voulez les remplacer par votre morale scientifique? Mais qui vous prouve que la morale scientifique vaudra mieux que ses aînées? L'expérience en a-t-elle été faite? Cette manière de procéder ne nous paraît pas conforme aux règles du positivisme.

Autre point. La théologie et la métaphysique sont des sciences au même titre que toutes les autres, c'est-à-dire des produits de l'esprit humain donc elles sont évolutives. Leur évolution a été empêchée ou faussée par l'intervention de l'Etat, de la force, dans ces domaines, par l'union des églises et des écoles avec l'Etat. Qu'on les en sépare, qu'on les laisse prendre leur libre essor et peut-être les fruits pernicieux qu'elles donnent sous la protection officielle changeront-ils de nature. Le métaphysicien, dit M. Dumont, ne regarde jamais au dehors. Je crois que c'est là une exagération et je crains que le démographe ne regarde pas assez en dedans. C'est peut-être faute d'avoir assez regardé en dedans de l'individu que M. Dumont veut le soumettre à la collectivité et croit qu'il y a entre eux antagonisme. Cela peut nous conduire très loin, et il est douteux qu'une morale fondée sur une pareille base soit moins despotique et plus favorable au bonheur et à la valeur des collectivités aussi bien que des individus.

C'est pourquoi nous conseillons à l'auteur de regarder plus attentivement en dedans, d'analyser minutieusement la nature humaine, et au lecteur de se tenir en garde, jusqu'à plus ample informé, contre la morale basée sur la démographie.

Système à part, on trouve dans le livre de M. Dumont des considérations fort intéressantes sur divers points de la morale; les chapitres. sur l'amour du vrai, sur l'alcool et sur la Moralisation, par exemple, sont à lire et à méditer non moins que ceux où l'auteur critique les morales théologique et métaphysique et où il expose sa morale démographique.

H. BOUET.

INTÉGRALISME (philosophie pratique). Etudes synthétiques sur une organisation sociologique nécessaire, conforme aux lois naturelles, par EDOUARD BOULARD, 1 vol. in-18. Paris, Société d'éditions scientifiques, 1901.

Marx et ses disciples ont cherché à fonder le socialisme sur le matérialisme le plus absolu. Ils ont soutenu que l'économie, réduite à sa plus simple expression: la satisfaction des besoins matériels, était tout, ou du moins la base de tout ce qu'il y a au monde d'humain et de social. Tout pour eux se réduit à la « question du ventre ».

Cette conception étroite, basse, mesquine, prête fort à la critique et la critique ne lui a pas manqué, si bien qu'une scission s'est bientôt produite parmi les socialistes; Benoît Malon l'a combattue et a inventé e socialisme intégral qui tient compte de ce qu'il y a dans l'homme de

plus que l'animal et présente un idéal social plus élevé; mais cet idéal est toujours borné à la terre, à la vie présente.

M. Boulard va plus loin que Malon. Son intégralisme ou collectivisme intégral repose sur un solidarisme universel, sur une base cosmologique. Pour lui, il y a solidarité entre tous les êtres de ce monde et même de tous les mondes. Il ne s'agit plus de la lutte des classes capitaliste et prolétarienne et de la destruction de celle-là par celle-ci : non ; la solidarité des milliardaires avec les meurt-de-faim n'est pas moins réelle que celle des meurt-de-faim entre eux.

La première édition de cet ouvrage date de 1881 et la douzième a paru en 1892; celle de 1901 que nous avons sous les yeux est considérablement augmentée et aussi corrigée sans doute, car les éditions précédentes portaient pour titre Philosophie et pratique du collectivisme intégral révolutionnaire. Or, il est probable qu'une étude plus approfondie du sujet, jointe aux critiques qui ont pu être adressées à l'auteur, lui ont donné à réfléchir. En effet, quoique dans son zèle à voir se réaliser la réforme désirée, il incline encore quelquefois vers la révolution; dans un grand nombre de cas l'auteur ne parle plus que d'évolution pacifique, de réalisation de l'intégralisme par la persuasion.

C'est ainsi que, se posant la question des voies et moyens à employer pour transformer l'ordre social, il dit : « Faites évolutivement, ces modifications sont progressives et efficaces pour tous, elles s'opèrent par de l'accord et de la solidarité; obtenues sans transition et par actes de violence, elles sont superficielles et stériles pour le plus grand nombre, désastreuses pour les égoïstes, dangereuses pour le progrès social. » Dans la nature, dit encore M. Boulard, rien ne sort de rien, ni ne s'anéantit; pas une acquisition réelle n'est le résultat d'actions brusques et violentes, toutes proviennent d'efforts intelligents et prolongés.

Nous ne pouvons qu'approuver cette manière de concevoir l'intégralisme; mais, tout le monde, paraît-il, n'est pas du même avis. M. Boulard se plaint de n'avoir rencontré parmi ses confrères en collectivisme qu'un accueil très froid et la conspiration du silence. Ses idées révolutionnaires sont sans doute une des causes de son ostracisme. Mais il y en a une autre non moins grave: c'est la base cosmologique. M. Boulard y admet l'existence de la cause première ou Dieu, comme principe de l'univers et auteur des lois de la nature. Les lois naturelles, dit-il, sont les rayonnements de l'immuable vouloir de la cause première. Ces lois paraissent innombrables parce qu'elles s'appliquent aux cas innombrables des développements individuels; en fait, elles ne sont que des nuances et des degrés de la loi unique régissant toute la nature la Solidarité.

« Les lois naturelles n'émanent pas de la nature; au contraire, elles régissent tout ce qui la constitue. Les lois naturelles sont éternellement immuables; la nature est continuellement muable par ses détails et ses limites qui s'accroissent perpétuellement ».

Quelle est la valeur du système de M. Boulard dans ses détails? A parler franchement, nous n'y avons qu'une confiance très limitée ; l'auteur lui-même reconnaît que son système est imparfait et incomplet, et il invite instamment d'autres chercheurs à le perfectionner, le compléter ou le rectifier, s'il y a lieu.

Quoi qu'il en soit, nous devons constater que, en universalisant le socialisme, M. Boulard le ramène à son origine. On sait, en effet, que les systèmes de Saint-Simon, de Fourier et de plusieurs autres, reposaient comme l'intégralisme sur une base cosmologique. Ils admettaient l'existence de Dieu, l'immortalité de l'âme, la pluralité des existences, etc., toutes choses qu'admet aussi M. Boulard. Est-ce un progrès? Est-ce un recul? Ce qu'il y a de certain, c'est qu'un mouvement de ce genre commence à se manifester de divers côtés.

H. BOUET.

REPORT ON CHANGES IN RATES OF WAGES AND HOURS OF LABOUR IN THE UNITED KINGDOM IN 1900. Rapport sur les changements survenus dans le taux des salaires et dans les heures de travail au Royaume-Uni en 1900).1 vol. in-8° London 1901.

L'Office du travail présente chaque année au Parlement un rapport sur les mouvements qui se sont produits dans le taux des salaires et les heures de travail. Celui-ci est le huitième du genre. Ces rapports se ressemblent tous par la forme : c'est d'abord un envoi du chef de bureau au Contrôleur général de l'Office du travail, puis la table des matières suivie du Rapport général, et enfin des tableaux statistiques avec tous les détails désirables et peut-être plus.

Ce qui caractérise l'année 1900, c'est la hausse des salaires et la diminution des heures de travail. L'année 1900, dit le Rapport, a été le point culminant du mouvement ascendant des salaires qui a commencé en 1896. Non seulement le niveau général des salaires dans le RoyaumeUni est plus élevé qu'en toutes les autres années pour lesquelles il existe des statistiques, mais le taux de l'augmentation pendant cette année a été plus élevé aussi que dans aucune des années précédentes. Si nous nous limitons aux industries pour lesquelles on peut obtenir des statistiques détaillées, nous trouvons qu'il n'y a pas moins de 1.112.684 ou 1/7 du total des employés qui ont obtenu pendant l'année des augmentations montant à 212.000 liv. par semaine ; tandis que

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