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faites des démarches pour rentrer, si vous tenez à rester en Angleterre, enfin si vous seriez éloigné du désir de vous rapprocher de moi. De toutes les personnes qui m'ont plu et que j'ai étudiées pour les connaître, vous êtes celle qui m'avez montré l'attachement le plus constant, et pour mon père et pour moi. Vos lettres m'ont donné le désir de vous voir; et, si vos moyens pécuniaires vous permettaient de faire ce long voyage, je serais bien heureux d'être le point de rapprochement entre vous et la personne que vous avez suivie là-bas. Vous connaissez ma position ainsi donc vous savez que je ne puis pour le moment vous faire aucune promesse; mais si, comme nous, vous n'avez rien de certain et que vous vouliez venir partager mes espérances, j'apprendrai votre résolution avec plaisir.

Tout ce que j'ai gardé autour de moi brûle du désir de rentrer en France. J'entends bourdonner à mes oreilles des conversations qui me dégoûtent : l'intérêt, toujours l'intérêt ; l'argent, toujours l'argent. Moi, je suis très décidé à rester toute ma vie l'ennemi juré de la République française la société de gens tentés continuellement de courber leur tête sous son joug ne peut donc me convenir. Je m'en suis souvent expliqué clairement, et ma façon de penser a produit peu d'effet.

Je voudrais avoir près de moi quelqu'un qui me fût attaché, non pas parce que jusques ici il y a trouvé son intérêt, mais parce que ma personne lui plait et que je serais sa société la plus agréable. Je voudrais quelqu'un . qui, en quelque lieu que j'aille ou reste, en quelque circonstance que je me trouve, trouve aussi son plaisir à rester avec moi, qui y consacre sa vie, qui soit déterminé

1. Le duc de Bourbon.

à partager ma bonne comme ma mauvaise fortune, quelqu'un qui ne me fasse pas sentir, comme beaucoup, que tout ce qu'ils font pour moi, c'est par complaisance, mais qui prenne réellement part à mes plaisirs comme à mes chagrins; enfin je voudrais un ami. Je sais que cela est difficile à trouver, et je ne puis guère l'espérer qu'en vous. Je ne crois pas que mon caractère rende cette tâche difficile à remplir. Répondez-moi sur cet article, avec confiance, avec vérité; et croyez que, telle que soit votre résolution, telle difficulté que vous m'opposiez, je n'en conserverai pas moins la sincère estime comme l'amitié que je vous ai vouée pour la vie. Répondez-moi ici directement et à mon adresse. Renvoyez-moi la vôtre.

(Arch. de Beaudiment.)

55. ENGHIEN A BOURBON

Ettenheim, ce jeudi 8 octobre [1801].

Je ne vous écrirai, cher papa, qu'un petit mot pour vous accuser la réception de votre lettre 1, n'ayant rien de particulier à vous mander depuis ma dernière, que vous recevrez peu de jours avant celle-ci.

Puissent les espérances que contient la vôtre se réaliser! Sans être riches, nous aurions au moins de quoi vivre, et ce serait beaucoup. La réserve de « sans engagement pour la vie » est d'une rare prudence. Au reste, elle doit peu inquiéter; car, quand on prendrait engagement, cela ne donnerait pas plus de certitude: on en serait quitte pour y manquer, quand cela conviendrait. Il est parfaitement simple que mon traitement soit inférieur au vôtre : ma reconnaissance n'en est que plus vive, cher papa, pour vous, de ce que vous avez sollicité pour le faire

1. Cette lettre manque.

augmenter. J'attends avec impatience les déterminations qui seront définitivement prises, probablement dans le cours de ce mois.

Ces affaires une fois arrangées, dites-moi quel serait votre désir, soit de rester où vous êtes, soit de venir de nos côtés. Il est important que je connaisse en gros vos projets, afin d'y subordonner les miens. Sont-ils dépendants, ou non, de ceux du chef? Est-ce près de lui, ou de votre côté, que vous voudriez vous fixer? et ne préféreriez-vous pas avoir quelque chose en propre et pouvoir dire enfin après si longtemps: Je suis chez moi? Quant à moi, je serai trop heureux si je puis allier le bonheur de vous voir avec celui de ne pas me séparer d'une bonne amie, que j'espère bien et que j'ai l'amour-propre de croire que vous aimeriez aussi, si vous la connaissiez.

Je serais bien curieux, à propos d'elle, de savoir si le grand-père vous en a parlé. Longtemps il a craint des choses sérieuses; et je ne sais s'il est encore revenu de ses soupçons, je puis dire injurieux pour moi. Car je ne lui ai jamais donné lieu de croire que j'eusse une assez mauvaise tête pour être un jeune homme à grandes sottises; et ce serait, ce me semble, la plus grande possible, que de contracter un pareil engagement sans l'autorisation de ses parents. Je n'y ai jamais pensé. Ayez, cher papa, la confiance en moi de me mander s'il m'a jugé sévèrement auprès de vous, et mettez-moi à même de me disculper de bien des torts imaginaires, qui m'ont été supposés, et que le perfide entourage du chef n'a pas manqué d'accréditer et d'envenimer autant que possible. Je vous nommerai un jour les masques.

Nous avons appris hier la paix de l'Angleterre 1. On dit

1. Les articles préliminaires de la paix entre la France et l'Angleterre, signés à Londres le 1er octobre 1801. Le Moniteur du 14 vendémiaire an X

cette nouvelle officielle, et les réjouissances bruyantes en Alsace nous font présumer qu'elle est hors de doute. Les conditions seront intéressantes à connaître. Voici donc un grand moment arrivé, et l'ouverture d'une autre scène où il faudra tâcher de prendre part. Les armes françaises vont changer de but, et les révoltes de Passwan-Oglou I seront, sans doute, avant peu soutenues et protégées par une armée de cinquante mille Républicains. Déjà des troupes filent en Italie, et l'on y prépare un embarquement. L'empereur des Romains vient de rassembler une armée d'observation sur la frontière de Moldavie. Les Russes prendront part à cette nouvelle guerre; et c'est avec eux, ce me semble, qu'il serait agréable d'aller nous amuser, l'été prochain, si ma politique prend la tournure que je pense. La paix de l'Angleterre ne me paraît qu'un coup de politique adroit pour rétablir la guerre sur le continent. Il faut de l'occupation à la nombreuse armée française. Sa stagnation dans l'intérieur serait trop fatale à Bonaparte pour qu'il la souffre la paix avec l'une le force donc à faire la guerre à l'autre. Nous verrons sous peu si je me trompe.

:

Charles Damas, qui, à mon départ de Graz, est allé voir le Roi à Varsovie, mande, il y a deux jours, que le lendemain il va, avec toute la ville, à la triste cérémonie qui doit mettre une barrière éternelle entre le monde et Mme la princesse Louise 2. Il ne s'explique pas davantage;

(6 octobre) en donne le texte. La nouvelle de la signature parvint, à Paris, le soir du 3 octobre.

1. Passwan-Oglou avait obligé, en 1798, la Porte ottomane à lui abandonner le pachalik de Widin. Trouvant un refuge assuré dans cette forteresse, située sur le Danube entre la Serbie et la Valachie, il s'efforçait, par des révoltes continuelles, de conquérir son indépendance. Ces mouvements étaient surveillés par l'Autriche et par la Russie; mais le bruit de préparatifs pour une intervention française était controuvé.

2. La princesse Louise, qui était logée dans un couvent à Nieswitz en

ce qui me laisse, d'après ce que mon grand-père me mandait encore dernièrement, une faible lueur d'espérance que ce n'est qu'une prise d'habit, et point encore une prononciation de vœux définitive. Je le saurai très incessamment, car il arrive sous peu de jours. Sans doute elle en aura instruit ou son père ou vous. - Adieu, cher papa, je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.

Je viens de louer une petite chasse tout près d'ici. Je m'y amuse de temps en temps; j'ai deux chiens courants excellents, surtout pour le chevreuil et le lièvre. Je les conserverai soigneusement, dans l'espérance de les faire chasser devant vous quelque jour. Puisse le ciel faire que ce soit bientôt !

Je vous en prie, occupez-vous du pauvre chevalier de Cheffontaines, qui est avec moi et n'a absolument rien à espérer pour l'avenir, ni dehors ni en France. Obtenez une pension pour lui, si modique qu'elle soit, du gouvernement; vous m'obligerez autant que lui.

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Vous savez, sans doute, l'établissement de M. et de Mme d'Ecquevilly chez le général-major de Fresnel, en Hongrie 2. Ils s'y plaisent beaucoup et y sont très économiquement. Me de Rohan reçoit souvent de leurs nouvelles.

(Arch. de Chantilly.)

Lithuanie depuis le mois d'août 1799, en sortit après la mort de Paul I", et, pour se rapprocher de Louis XVIII, vint s'enfermer dans un monastère de Bénédictines du Saint-Sacrement, à Varsovie. Elle s'y trouvait en juillet 1801. Elle y prit l'habit le 21 septembre (lettres de la princesse à Condé, du 26 septembre; à Bourbon, du 18 octobre). Elle ne devait prononcer ses vœux que l'année suivante.

1. Hennequin, marquis d'Ecquevilly (Armand-François), né à Paris en 1747. Maréchal de camp en 1788, il émigra en 1791, et, sous le titre de maréchal général des logis de la cavalerie, remplit les fonctions de chef d'étatmajor de cette arme pendant toutes les campagnes de Condé.

2. « Le comte de Fresnel, général-major au service d'Autriche, mon parent, m'avait offert un asile à Tyrnau, petite ville de Hongrie à dix lieues de Presbourg, où il se trouvait employé. Je partis le 4 [juin 1801] pour m'y ndre.... (Ecquevilly, III, 166.)

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