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56.

ENGHIEN A CONDÉ

Ettenheim, 16 octobre [1801].

Je n'ai pas voulu laisser partir d'Ollone, cher papa, sans vous renouveler, par cette occasion sûre et prompte, l'hommage de ma respectueuse tendresse. C'est là l'unique but de cette lettre; car l'uniformité de la vie que je mène ici, et l'absence totale de nouvelles, fait que je n'ai rien à vous apprendre depuis ma dernière lettre.

Nous sommes ici dans l'attente des détails des conditions de la paix, que nous ne connaissons qu'imparfaitement par les papiers français. J'augure assez bien pour nous de cette stagnation momentanée. Outre qu'il n'y aura plus de prétexte pour ne pas arrêter définitivement notre sort, la paix ouvre une nouvelle carrière politique et doit amener des changements avantageux, puisque tout allait au plus mal pour notre cause pendant sa durée. L'inaction de l'armée peut amener des troubles dans l'intérieur; l'obligation de l'employer peut donner lieu à une nouvelle guerre, plus heureuse; enfin, tout changement ne peut qu'être heureux, et j'ai vu arriver cette paix avec plaisir.

La tranquillité sur mer et la facilité du passage va, j'espère, aussi vous ramener bientôt, cher papa, sur le continent. Une grande quantité de malheureux attendent votre retour comme le Messie. On en espère, sinon un soulagement dans le moment, du moins une espérance qui soutient et sert à supporter les maux présents. La facilité

1. Le comte d'Ollone (Alexandre-Paul), né en 1758, mort en 1822. Aide de camp du comte de Viomenil en Amérique, en 1780, il émigra en 1791 et fit toutes les campagnes du corps de Condé. Au moment du licenciement, il commandait le 2o escadron des dragons d'Enghien. D'Ollone se rendait alors en Angleterre pour aller servir en Portugal.

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est grande pour rentrer 1; mais peu de monde s'y fie, quoique beaucoup en aient bien envie.

Je n'écris pas à mon père, lui ayant écrit il y a peu de jours. Permettez qu'il trouve ici le sincère hommage de ma tendresse.

Vous plaisez-vous en Angleterre, cher papa? Qu'y faitesvous? Quelles sont vos occupations, vos délassements? Si Contye était aimable, il m'écrirait quelquefois, comme je l'en ai prié; mais je suis accoutumé à ses rigueurs et je n'espère que par vous des détails sur ce qui vous intéresse. (Arch. de Chantilly.)

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A Ettenheim, ce vendredi 16 octobre [1801]. N'ayant fait qu'écrire toute la matinée, mon cher, pour expédier d'Ollone, vous n'aurez de moi qu'un petit mot, bien court. J'attends avec impatience votre réponse à ma dernière lettre qui, j'espère, vous aura dans tous les cas été agréable. Si vous désirez conclure le marché que je vous propose, il faudra aviser aux moyens de le terminer, et je vous en indiquerai plusieurs. Je crains que des affaires indispensables d'intérêt en France ne vous retiennent dans la partie du monde que vous habitez dans ce cas, croyez à mes regrets et ne craignez pas de me le dire franchement.

N'oubliez pas de me mander en détail ce que l'on a dit de moi, à l'arrivée du chef; de quelle manière on m'a jugé, dans l'extérieur et dans l'intérieur de ma conduite. Il y a des gens qui toujours ont eu l'air de m'être très attachés, et desquels je me méfie pourtant. Je voudrais avoir des données pour les mieux connaître.

1. La rentrée des émigrés en France restait interdite; mais, à ce moment, elle était surveillée.

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Que pensez-vous de cette paix? Comme tout allait au plus mal, je la vois avec plaisir, et je crois que tout changement ne peut qu'être avantageux pour la bonne cause. Je mène ici une vie monotone, mais agréable. La chasse et l'amitié partagent mon temps agréablement. Je suis bien logé, économiquement, établi à portée de Strasbourg, où l'on trouve tout ce dont on a besoin. Je passerai un hiver heureux et tranquille, si rien ne le trouble; et je commence à l'espérer.

Une guerre étrangère, de grandes révoltes dans ce qui fut ma patrie, voilà les deux choses qui pourraient me faire désirer de sortir de mon asile. Mais je vous avoue que le service de mon Roi, ou mon amour-propre militaire, sont les deux seuls motifs qui pourraient m'enlever à la douce tranquillité et à la liberté dont je jouis depuis le départ du chef. — Adieu, mon cher, croyez à ma tendre amitié et payez-moi de retour.

(Arch. de Beaudiment.)

58. CONDÉ A ENGHIEN

Londres, le 20 octobre 1 1801.

Il m'arrive, mon cher ami, pour vos lettres, précisément ce qui vous est arrivé pour les miennes : je viens de recevoir à la fois vos deux lettres de Graz et d'Ettenheim. Je savais vos courses en Tyrol. Celle de l'archiduc Jean était nécessaire à la défense future des États de l'Empereur; mais elle n'aura vraisemblablement pas un objet d'utilité bien prochain, d'après la paix générale, dont je

1. La date doit être du 12 et non du 20 (voir le commencement de la pièce n° 59).

2. L'archiduc Jean avait reçu le commandement de l'armée autrichienne d'Allemagne, au commencement de septembre 1800. Il avait dû le céder à l'archiduc Charles, après la bataille de Hohenlinden.

vous fais mon compliment de condoléance. Quant à moi, je ne crois pas qu'elle soit aussi funeste pour nos intérêts qu'on se l'imagine: avec de la sagesse et de la patience, il est possible qu'on s'en tire encore, et surtout ceux qui, comme vous, ont du temps devant eux pour attendre.

Depuis la paix, depuis toutes les paix, car en voilà quatre en quinze jours 1, il n'y a plus ici de nouvelles intéressantes. Monsieur, votre père et moi, nous allons quitter Londres sous quinze jours, Monsieur ayant pensé avec raison qu'il pourrait être embarrassant, pour le gouvernement et pour nous-mêmes, de nous trouver souvent en face de l'ambassadeur de la République 2. Monsieur va à Édimbourg, et nous, à une campagne que je louerai.

Nous recevons des habitants de toutes les classes de ce pays-ci, depuis que nous y sommes. Je vous embrasse.

(Mém. de la maison de Condé, II, 323.)

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Ettenheim en Brisgau, 30 octobre [1801].

J'ai reçu, cher рара, votre lettre du 12 bien promptement. Vous vous trompez sur ma façon de penser relativement à la paix. Que pouvait gagner notre cause à la guerre de l'Angleterre ? rien du tout. Elle prolongeait, au contraire, nos malheurs. Je la vois avec un double plaisir : car j'en espère aussi votre prochain retour sur le continent, ainsi que celui de mon père; et puis nous lui devons encore la décision définitive de nos affaires pécuniaires, que vous m'annoncez. Sans doute, j'ai tout lieu d'être con

1. Le Moniteur avait annoncé la paix de la France avec le Portugal du 29 septembre, avec la Russie du 8 octobre, et des préliminaires avec la Porte ottomane du 9 octobre.

2. M. Otto, qui venait de négocier et de signer les préliminaires de Londres.

tent et je suis traité fort au-dessus de mon mérite 1. Avec de l'ordre et de l'économie, mon père et moi nous serons bien. Mais vous, cher papa, avec votre maison nombreuse, vos charges, vos dettes, les intérêts que vous payez, les avances que vous avez faites de tous côtés, je trouve que vous serez bien gêné, surtout si vous vous décidez à passer l'hiver dans un pays aussi cher, sous tous les rapports, que doit l'être pour vous l'Angleterre. Vous ne me mandez pas au juste ce que vous avez; et je vous en veux de ne me l'avoir pas dit, puisque vous ne doutez pas du profond intérêt que ce qui vous touche m'inspire: mais, si ce que l'on me mande d'un autre côté est vrai, c'est bien peu, bien peu. Lorsque nous serons économiquement réunis dans quelque coin de la terre, j'espère qu'en réunissant nos moyens, nous pourrons peut-être parvenir à retirer, sinon tout, du moins en partie, les objets de Hollande 2 qui coûtent si cher. Croyez que je me ferai un véritable bonheur d'y contribuer.

Je vais, avec chagrin, annoncer aux demandants qu'ils ont peu d'espoir d'obtenir 3. J'espère toujours que ceux auxquels vous paraîtrez vous intéresser particulièrement seront plus heureux. De ce nombre sera, je l'espère, le chevalier de Cheffontaines, qui n'a rien au monde que l'espoir en vos bontés et la certitude des miennes, qui le font aller, en attendant une petite pension qui le rendrait si heureux.

Vous ne devez pas être inquiet, cher papa, de la manière dont je me conduis avec les Républicains, nos voisins 4. Premièrement, on n'en voit pas un; secondement,

1. Sa pension avait été fixée à 150 guinées par mois.

2. Allusion à des emprunts faits autrefois en Hollande pour subvenir à l'armée des Princes.

3. Le gouvernement anglais s'était refusé jusqu'ici à ajouter aucun nom à la liste des pensionnés.

4. Les troupes françaises, sous le général Walter, qui étaient rentrées

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