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Je vous embrasse, cher papa, et vous prie de ne jamais douter de mon respect et de ma tendresse.

(Arch. nationales.)

88. ENGHIEN AU MARGRAVE de Baden

Ettenheim, ce 2 mars [1803].

Je ne puis résister au désir que j'ai de témoigner directement à Votre Altesse ma vive reconnaissance des bontés dont elle ne cesse de me combler. La chasse est à peu près le seul amusement que l'on puisse se procurer ici, et j'en dois la jouissance à la grâce aimable de Votre Altesse. Qu'elle daigne être convaincue de toute ma discrétion à user du plaisir qu'elle me permet de prendre.

J'ai appris avec joie que la santé de Votre Altesse était rétablie. J'espère qu'elle ne doute pas des voeux sincères que je forme pour son bonheur et la conservation de ses jours précieux. C'est dans ces sentiments que je suis, de Votre Altesse, le très affectionné serviteur.

(Arch. de Karlsruhe.)

89. ENGHIEN A BOURBON

Ettenheim, ce 17 mars [1803].

Il y a des siècles, cher papa, que je n'ai reçu de vos nouvelles directement. J'ai maudit les glaces de l'Elbe et les paquebots infidèles; mais aujourd'hui plus d'obstacles; et j'espère, à chaque poste, un mot de bonté de vous pour votre enfant. J'ai reçu exactement les deux envois, que mon grand-père m'a faits, de lettres de change de ma pension. Il me traite encore bien sévèrement, et ne daigne pas m'ajouter un mot de bonté. Cette retenue lui doit faire presque autant de mal qu'à moi. Suivant vos ordres, j'y mets toute la douceur possible; je ne me permets aucune plainte, et j'attends du temps qu'il me rende des

bontés desquelles je ne me suis jamais rendu indigne. Je lui ai écrit en détail, deux jours après la mort du cardinal, en lui en rendant compte. Le malheur poursuit une personne qui m'est bien chère : elle vient encore de perdre Mme de Marsan 1, qui l'avait toujours comblée de bontés et qu'elle aimait beaucoup par cette raison. Ces deux pertes coup sur coup, jointes à la grippe épidémique qui règne dans nos contrées, ont donné une cruelle secousse à sa santé. Elle a bien besoin du printemps et de la dissipation que ramènent naturellement les beaux jours, pour se remettre. Ne pouvant s'éloigner d'ici, où les affaires de la succession vont la retenir tout l'été, elle cherchera une campagne dans les environs. Moi, je resterai encore. Le margrave vient de m'accorder à peu près la totalité des anciennes chasses du cardinal, un peu pour me retenir dans ses États, où je crois qu'il n'est pas fâché que je mange mon revenu. Je n'en suis pas moins reconnaissant de son attention pour moi. Cet arrondissement me fait un canton charmant; je vous y regrette, cher papa. Vous vous plairiez à chasser avec mes chiens. Nous faisons ici de petites chasses à courre en miniature, qui sont charmantes.

Je pense que peut-être vous serez pour quelque chose dans le testament de Mme de Marsan, qu'elle a eu tout le temps de faire très en règle. Vous savez qu'elle venait de rentrer dans tous ses biens de Brabant 2, qu'elle était en train de vendre; mais elle n'a pas eu le temps d'achever cette louable entreprise, de sorte qu'il est fort à craindre que la grande nation ne vienne à la traverse aujourd'hui,

1. Marie-Louise de Rohan, veuve de M. de Marsan. Elle avait été gouvernante des enfants de Louis XVI, et était morte plus qu'octogénaire. 2. M. de Marsan, respectée de tous les partis, avait vécu dans sa terre de Ninove, en Belgique, pendant les derniers temps de la Révolution. En juin 1800, la recommandation du consul Lebrun lui avait fait obtenir sans peine une surveillance » dans le département des Deux-Nèthes.

et n'apporte des lenteurs aux affaires par ses éternelles et insatiables prétentions. Cette mort aura fait bien de la peine au Roi.

Jusqu'ici j'ai eu le bonheur d'échapper à la grippe, quoique j'en sois cerné de toute part. Ces jours-ci il est tombé un demi-pied de neige, qui n'est point encore fondue, et, le 14 et le 15, il a gelé de huit degrés. Ce froid extraordinaire a fait mourir beaucoup de vieillards, et les jeunes jusqu'ici en sont quittes pour la grippe. Nous attendons les beaux jours comme le Messie. Le climat du pays que vous habitez est moins rude, dit-on; mais en revanche, les brouillards n'y ont point de fin. Vous y plaisez-vous toujours, cher papa?

Le mécontentement est général de ce côté contre le gouvernement en France; on crie hautement au despotisme, et d'une manière si hardie qu'elle est embarrassante pour les étrangers qui voyagent et ne veulent se mêler de rien. Pauvre France! Pauvres Français ! Qu'ontils gagné à s'entre-tuer pendant dix ans? d'obéir à un maître, comme ci-devant. Cela a été, est et sera toujours.

On assure que les affaires de la Méditerranée 1 ne sont pas encore arrangées à Paris. On aura de la peine à tomber d'accord sur certains points importants, où je crains que la médiation russe ne perde son latin. J'observe avec un grand intérêt cette lutte importante. Dans le cas où l'on persisterait à ne pas s'entendre, je compte bien sur vous, cher papa, pour faire offre de ma bonne volonté. Je désire bien qu'elle soit connue des autorités, assez à temps pour que l'on s'en serve.

Adieu, cher papa; j'espère que vous ne doutez pas de

1. Les Anglais tardaient à sortir de l'Égypte et dissimulaient peu l'intention de ne point évacuer Malte. Quant à la médiation russe, il était prématuré d'en parler.

ma tendresse respectueuse pour vous, et que vous pensez quelquefois à votre enfant.

Qui avez-vous donc aujourd'hui, près de vous, qui soit attaché à votre personne ou à celle de mon grand-père? On nous assure ici qu'ils sont tous rentrés.

(Arch. nationales.)

PARTIE III

LE P. CONSUL ET LES BOURBONS

PENDANT LA PAIX

Pendant la discussion des préliminaires de paix, le P. Consul réclame vainement au cabinet Addington l'éloignement de Georges, et celui de Dutheil, agent du comte d'Artois, comme instigateurs de la machine infernale.

Au congrès d'Amiens, le projet anglais ayant proposé des cas d'extradition, le P. Consul cherche à s'en servir contre le comte d'Artois, les Chouans, et même contre le pamphlétaire Peltier. L'article 20 du traité d'Amiens reste peu explicite.

Georges obtient du ministère anglais que ses officiers, traqués en Bretagne, se réfugient dans les îles normandes.

La présence des d'Orléans à un banquet fait renouveler une demande plus étendue d'expulsion. Elle est regardée comme contraire à l'honneur de l'Angleterre par l'opposition qui se manifeste dans la presse et le Parlement contre le traité, et bientôt par le ministère lui-même, qu'alarme la puissance grandissante de la France. Insistance hautaine du P. Consul: article du Moniteur du 8 août 1802 et note inutile du 16.

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En Allemagne, Louis XVIII renonce à ses avances auprès du P. Consul. Il sollicite du tsar Alexandre des moyens fixes de subsistance. - Circulaire russe de janvier 1802 engageant les Puissances à y contribuer.. M. d'Haugwitz à Berlin, M. de Morkov à Paris en entretiennent le gouvernement français : l'idée d'une abdication de la maison de Bourbon se fait jour.

Louis XVIII, invité par le tsar à revenir en Russie, s'y refuse. — Son établissement à Varsovie ne semble pas contesté par le P. Consul. Le séjour d'Enghien à Ettenheim reste inaperçu.

Tension croissante des rapports entre la France et l'Angleterre, dès octobre 1802. Des causes profondes de rivalité s'aigriront encore par des plaintes répétées contre les Bourbons et les Chouans, par des récriminations devenues réciproques sur les journaux. Arrivée des ambas

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