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grande partie par suite de la guerre impolitiquement entreprise contre la République, était grevé d'un paiement de dix-sept cent mille écus (six millions à peu près, monnaie de France), fait en pur don à Monsieur et au comte d'Artois; que les circonstances ne comportaient plus un emploi aussi peu utile des fonds de l'État ; que, s'il ne s'agissait que d'un simple acte d'humanité, de quelques milliers de louis une fois donnés, on pourrait y consentir sans inconvénient; mais que les insinuations de la Russie étaient d'une nature qui méritait une attention particulière, et qui devait engager à porter un regard de prévoyance dans l'avenir; que la disposition proposée pouvait cacher des vues particulières, qui ne doivent nullement être celles du cabinet prussien, dont les désirs ne peuvent tendre aujourd'hui qu'à l'affermissement du gouvernement de la République. Il n'a pas non plus déguisé les sujets de plainte que la Prusse a eus contre les Bourbons, depuis longtemps asservis à l'influence autrichienne, faisant sentir que de fortes probabilités présentaient à ce cabinet des chances plus avantageuses dans le système de la France républicaine, qui, désormais, suivra infailliblement l'impulsion de ses intérêts naturels et bien entendus.

Les raisonnements de M. le comte d'Haugwitz ont été goûtés par le roi, en sorte que, si on se trouve obligé de répondre aux ouvertures de la Russie, on se bornera vraisemblablement à offrir un secours du moment, sans vouloir s'assujettir à des engagements ultérieurs, et à donner à entendre que ce soin regarde les princes des maisons d'Autriche, d'Espagne, de Naples, etc., parents des Bourbons ou leurs alliés.

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M. le comte d'Haugwitz vient de me donner une réponse sur l'office dont je me suis acquitté au sujet de M. le comte de Lille, conformément aux ordres que Votre Exc. m'a fait l'honneur de m'adresser en date du 1er [13] janvier. Le ministre d'État de Prusse a commencé par me dire que cette réponse avait été retardée, parce qu'il avait dû faire quelques recherches dans les archives, pour présenter à Sa Majesté un relevé des sommes que les rois de Prusse avaient fournies aux Princes français; et qu'il me renvoyait, pour cet objet, à un mémoire remis à notre ministère dans le courant de l'année 1793, et d'après lequel il comptait qu'indépendamment des dépenses énormes que la Prusse avait faites pour relever le trône des Bourbons, feu le roi avait donné aux Princes français, en espèces sonnantes, six millions de livres ; que le roi actuellement régnant, sensible aux malheurs de cette auguste famille et plein d'égards pour les personnes qui la composent, croyait cependant devoir à son peuple de mettre un terme aux libéralités de sa maison, et ne pouvait se charger d'un engagement de fournir à la dépense de M. le comte de Lille; que Sa Majesté se flattait que Sa Majesté l'empereur approuverait le principe qui lui imposait cette sévère nécessité; qu'elle pensait qu'il appartenait de préférence aux parents des Bourbons, et nommément au roi d'Espagne et à l'empereur d'Allemagne, de fournir à leur entretien; enfin que lui, comte d'Haugwitz, avait l'idée, sur quelques propos qui étaient échappés à Beurnonville, quoiqu'il se fût bien gardé de lui parler de cet objet, que la France elle-même ne serait pas éloignée de pourvoir à l'entretien des Princes français, en leur procurant quelque petit établissement.

J'ai répondu à M. le comte d'Haugwitz que la proposition dont j'étais chargé s'adressait uniquement au cœur du roi; qu'il ne pouvait pas être question d'une charge onéreuse au trésor de l'État, mais d'un concert entre les têtes couronnées pour assurer la subsistance d'un prince déchu du trône; et que cette contribution deviendrait un objet bien peu sensible par le concours général; que mes ordres et mes instructions n'allaient pas plus loin; mais que je pensais, en mon particulier, quant aux propos attribués au général Beurnonville, que ce ministre avait probablement consulté, dans cette occasion, plus son propre cœur que les intentions de son gouvernement; qu'en supposant même que le Premier Consul serait disposé à écouter des propositions en faveur de la maison de Bourbon, celle-ci répugnerait peut-être d'accepter un établissement qui lui viendrait de la main de ceux qui l'ont dépouillé; que Bonaparte y mettrait sans doute la condition d'une renonciation formelle, et d'autres auxquelles M. le comte de Lille ne voudrait pas souscrire, et que son refus pourrait servir de prétexte à ses persécutions contre cette famille; qu'enfin il n'était pas impossible que le gouvernement français feignit d'entrer dans une pareille négociation, uniquement dans le dessein de tenir la maison des Bourbons dans une continuelle sujétion, sans vouloir jamais donner des réalités aux espérances qu'il ferait naître ; tandis qu'une contribution volontaire de la part des souverains de l'Europe pour assurer la subsistance d'un prince malheureux, était une dette pressentie de toutes les têtes couronnées envers l'infortune, et n'excluait aucune autre mesure qu'elles jugeraient convenable de prendre pour l'avenir.

M. le comte d'Haugwitz m'a répliqué qu'il était probable

le Premier Consul demanderait une renonciation;

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mais qu'il pensait que la maison de Bourbon ne devait pas se faire scrupule d'y souscrire, puisque la situation de l'Europe était telle qu'il ne pouvait lui rester aucune espérance, à moins qu'elle ne fût rappelée par la nation française elle-même, auquel cas toute renonciation cesserait d'être obligatoire; que l'Espagne pourrait se charger de la négociation et prêter son nom aux formes; que puisque Bonaparte avait déjà procuré en Italie un établissement et un trône à un prince Bourbon 1, il ne serait pas impossible qu'il se prêtât à faire accorder en Allemagne un établissement quelconque à la branche aînée dans l'infortune; qu'au reste il devait ajouter en confidence que ce qui avait principalement empêché le roi de prendre aucun engagement, c'était l'incertitude jusqu'où cet engagement devait s'étendre, et l'indétermination de la quotepart dont Sa Majesté se chargerait. Dès qu'il saurait à quoi les autres souverains se seront engagés et combien le roi y fournirait pour sa part, lui, le comte d'Haugwitz, n'hésiterait pas de revenir à la charge auprès de son maître, et de remettre la proposition sous ses yeux.

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Ayant reçu la dépêche que Votre Exc. m'a fait l'honneur de m'adresser au sujet du sort que l'empereur destinait à M. le comte de Lille, j'ai fait part de son contenu à l'ambassadeur d'Espagne 2, qui m'a dit qu'il en ferait son rapport à sa cour.

1. Le prince Louis, de la maison espagnole de Parme, qui venait d'être établi dans la Toscane, érigée en royaume d'Étrurie.

2. M. de Azara : il avait reçu à Amiens la circulaire russe, avec une lettre de M. de Morkov écrite vers le 20 février.

J'en ai également entretenu M. de Talleyrand, mais discursivement. J'ai rendu compte à Votre Exc., dans une lettre chiffrée, du langage que ce ministre m'a tenu à ce sujet; mais j'en ai supprimé quelques détails, en les réservant à une occasion sûre comme celle-ci. J'ai voulu pressentir M. de Talleyrand, si le Premier Consul avait quelque propension à accorder, en général, des secours pécuniaires à cette infortunée famille. Il me répondit que le Premier Consul n'en était pas éloigné; et qu'il n'attendait peut-être pour cela que le rassemblement de cette famille dans un endroit éloigné de France; et qu'il se proposait même de faire des démarches auprès du gouvernement anglais, pour faire sortir des pays de sa domination ce qui y restait encore de la maison de Bourbon, savoir le comte d'Artois, les trois fils du dernier duc d'Orléans, et le prince de Condé. - Faisant semblant d'exciter des doutes que la délicatesse de Louis XVIII, et celle de son frère et de ses neveux, leur permit d'accepter des secours de la France, il me dit de me tranquilliser là-dessus; qu'on les avait déjà pressentis à cet égard par Rome et par Naples 1, et qu'ils ne se sont nullement nontrés difficiles. « Mais peut-être, lui ai-je dit, attacherez-vous à la prestation de ce secours quelques conditions humiliantes et préjudiciables pour eux, comme par exemple une renonciation formelle à leurs titres et à leurs droits. » Il resta quelque temps à penser, et puis me répliqua : « Les actes de renonciation ne sont pas valides, selon les lois de l'ancienne monarchie; mais ce qui les rendra tels, c'est l'avilissement

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1. Talleyrand avait entre les mains la lettre écrite à Naples par le comte d'Avaray (pièce n° 117), et peut-être quelque rapport secret sur les propos que le comte avait pu tenir à Rome, en traversant cette ville. C'est à ces renseignements que Talleyrand paraît se référer ici, avec une inexactieu scrupuleuse.

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