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cotât à la Bourse, et qu'on ne jouàt dessus à la hausse et à la baisse. M. Pasquier surtout en put faire une précieuse collection.

Après un procès qui dura quinze jours, à la fin duquel Pépin parut reprendre un peu de fermeté, et dans le courant duquel l'impassibilité de Morey ne se démentit pas un instant, la cour des pairs condamna Fieschi, Pépin et Morey à la peine de mort, et Boireau à vingt ans de détention; quant à Bescher, il fut purement et simplement acquitté.

Les trois complices reçurent l'annonce de leur jugement, selon leur façon d'éprouver et de sentir: Fieschi avec un ricanement nerveux, Morey avec son impassibilité habituelle, Pépin avec une résignation qui ne manquait pas de grandeur.

Pépin, déjà revêtu de la camisole de force et au milieu de ses gardiens, ne parut, en parlant à ses défenseurs, que songer à sa femme et à ses enfants.

Morey, à qui l'on offrait du poison, réfléchit un instant, puis : -Non, dit-il, j'aime mieux que mon sang leur coule sur la tète. Quant à Fieschi, impudent jusqu'au bout, il écrivit à l'archevêque de Paris pour lui demander la permission d'entendre une messe. Il ajoutait :

« N'oubliez pas, Monseigneur, que la première messe a été servie par le larron pénitent. »>

Le 19 février, au point du jour, l'abbé Grivel entra dans le cabanon de Fieschi, et le prévint que l'heure était arrivée pour lui de se préparer à la mort.

C'est impossible! s'écria Fieschi en regardant le confesseur yeux effarés.

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La veille, il avait affirmé à son avocat que non-seulement promesse de la vie lui avait été faite, mais encore qu'on s'était engagé à l'envoyer en Amérique avec une pacotille.

Alors, l'avocat avait secoué la tête et lui avait dit :

Ne vous bercez pas de cet espoir, Fieschi, le désappointement serait trop cruel, et peut-être ne trouveriez-vous plus votre courage au moment où vous en aurez besoin.

- En tout cas, répondit Fieschi, et si l'on me manque de parole,

Nina Lassave ira se jeter aux genoux de madame la maréchale Mortier, elle intercédera près du roi, et l'on me fera grâce.

- Tout est possible sans doute, dit Me Patorny, mais, cependant, ne comptez pas là-dessus.

- Écoutez, dit alors Fieschi en montrant le poing, si l'on m'exécute, vous m'avez prêté des livres, n'est-ce pas ?

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--Eh bien, ces livres vous les ferez demander, et dans l'un d'eux, vous trouverez écrits et détaillés les engagements que l'on avait pris envers moi.

Après la mort de Fieschi, M° Patorny chercha inutilement dans les livres, il ne trouva rien.

Dans la nuit du 18 au 19, l'échafaud avait été dressé à la barrière Saint-Jacques, et au point du jour, le 19, comme nous l'avons dit, l'abbé Grivel était entré dans le cabanon de Pépin pour l'inviter à se préparer à la mort.

Fieschi reprit peu à peu toute sa jactance, il avait encore espoir; au nombre des attentions qu'on avait eues pour lui était l'envoi d'excellents cigares; Morey fumait, Fieschi prit un de ces cigares et le lui envoya en signe de réconciliation.

Morey refusa Pépin le prit et le fuma.

On ouvrit la salle où, quand il y a plusieurs condamnés, se fait la toilette commune. Pépin subit avec résignation la terrible épreuve, Morey resta impassible comme toujours, Fieschi ne cessa de répéter en regardant vers la porte : - M. Ladvocat, mais M. Ladvocat, estce qu'il ne vient pas ?

Puis grinçant des dents :

-Oh! mon père, dit-il à l'abbé Grivel, s'il ne vient pas, je suis damné.

Enfin, on annonça aux condamnés que l'heure était venue et qu'il fallait descendre; trois charrettes attendaient au bas de l'escalier; chacun monta dans la sienne.

-Au fait, dit Fieschi en s'asseyant, je ne devrais pas être étonné de ce qui m'arrive.

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- Parce que, lors de mon expédition en Calabre, une sorcière m'a prédit que je mourrais guillotiné et l'àme contente; elle ne m'a point trompé.

A huit heures sonnant, le funèbre cortége arriva à la barrière Saint-Jacques; trois rangs de soldats enveloppaient l'échafaud; le mur vivant s'ouvrit, et par la brèche passèrent les trois condamnés. Puis la brèche se referma sur eux.

Les voitures s'arrêtèrent. Fieschi, toujours agité, toujours impatient, sauta en bas; Pépin descendit avec le calme qui ne l'avait pas quitté depuis qu'il semblait avoir fait son deuil de la vie. On fut obligé de soulever Morey et de le poser à terre.

Alors lui, avec le premier sourire qui eût effleuré ses lèvres :

Ce n'est pas le cœur qui manque, dit-il, ce sont les jambes. Tous trois, les mains liées derrière le dos, allèrent s'adosser à l'échafaud.

Là, les prêtres, au milieu des exhortations dernières, approchèrent le crucifix de leurs lèvres.

Pépin, qui avait fumé tout le long de la route, jeta son cigare pour baiser le Christ.

En ce moment, un commissaire de police s'approcha de Pépin. - Si vous voulez faire des révélations, lui dit-il, il sera sursis au jugement.

Je n'ai rien à révéler, dit Pépin, et comme je me crois bien préparé à la mort, autant vaut pour moi mourir tout de suite. Le commissaire se retira.

Les exécuteurs s'approchèrent de Pépin.

Venez, lui dirent-ils.

Ah! c'est par moi qu'on commence, dit Pépin, et saluant Morey de la tête, il fit un pas en avant.

On lui jeta un manteau jaune sur les épaules, et d'un pas ferme il monta les degrés de l'échafaud.

Arrivé sur la plate-forme, il s'arrêta.

On vit qu'il voulait parler, et le plus profond silence se fit parmi les spectateurs.

-Je meurs innocent, je meurs victime, cria Pépin, adieu!...

Puis, après un dernier regard au ciel, il se remit lui-même aux mains des exécuteurs.

Morey vint ensuite; arrivé près de la bascule, l'exécuteur porta la main sur lui avec une certaine violence et déchira le haut de son gilet de flanelle.

Alors, se retournant vers cet homme :

— Pourquoi, lui dit-il doucement, gâter ce gilet? si vous le dédaignez, vous, un pauvre peut s'en servir.

Comme il achevait ces paroles, on lui enleva son bonnet de soie noire, et ses cheveux blancs flottèrent au vent.

Cette tête calme et blanche produisit un grand effet sur la foule; une rumeur sourde s'éleva, qui ne s'éteignit que lorsque la tête du vieillard tomba sous le couteau.

C'était à Fieschi à monter sur l'échafaud.

Ne me quittez que le plus près possible de l'éternité, avait-il dit à l'abbé Grivel; et celui-ci, fidèle à sa mission, monta avec lui sur la plate-forme.

Le prêtre lui fit baiser une dernière fois le crucifix.

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Je voudrais bien, pour vous remercier, qu'il me soit permis, dans cinq minutes, de revenir vous donner des nouvelles de l'autre monde, lui dit Fieschi.

Ce furent ses dernières paroles. Il se coucha lui-même sur la bascule, comme s'il eût eu hâte d'en finir avec la vie.

Il était évident que c'était le moins courageux des trois.'

Voici la part que chacun d'eux avait dans le crime:

Pépin avait donné l'argent pour louer la chambre;

Morey avait fabriqué la machine infernale et chargé les fusils ; Fieschi y avait mis le feu.

Deux jours après la place de la Bourse s'encombrait de curieux amenés à la porte d'un café: le maître de l'établissement avait traité avec Nina Lassave, la maîtresse de Fieschi, pour tenir le comptoir.

Un des caractères du règne de Louis-Philippe, c'est la spéculation éhontée dont le fait que nous citons ici n'est peut-être pas un des plus tristes exemples.

CHAPITRE XV.

Pendant que se passaient les événements que nous venons de reconter, M. Thiers avait rompu avec M. Guizot et était arrivé à la présidence du conseil.

Cependant le premier ministère, tel que l'avait établi M. Thiers, avait été brisé par une escapade de Humann qui, tout à coup, à l'envers de la résolution prise en plein conseil, était venu proposer la réduction de la dette.

Deux jours après la mort de Fieschi et de ses complices, c'est-àdire le 22 février 1836, le ministère s'était reconstitué dans les conditions suivantes :

M. Thiers, ministre des affaires étrangères et président du conseil ; M. Sauzet, garde des sceaux, ministre de la justice;

M. le comte de Montalivet, ministre de l'intérieur;

M. Passy, ministre du commerce et des travaux publics;

M. Pelet, ministre de l'instruction publique;

M. d'Argout, ministre des finances;

M. l'amiral Duperré, ministre de la marine;

M. le maréchal Maison, ministre de la guerre.

Entrant aux affaires étrangères, la première nouvelle qu'y apprit M. Thiers fut la violation des traités deVienne à l'endroit de Cracovie. Cracovie, ville libre, indépendante, strictement neutre, dans laquelle, sous aucun prétexte, nulle force militaire ne pouvait être introduite, venait d'être envahie d'abord par les Autrichiens, puis par les Russes, ensuite par les Prussiens.

L'occupation avait eu lieu le 17; M. Thiers entrait au ministère. des affaires étrangères le 22.

M. Thiers laissa occuper Cracovie.

Sur ces entrefaites, lord Palmerston invitait M. Thiers à intervenir du moins en Espagne, puisqu'il n'intervenait pas en Pologne. L'intervention en Espagne, M. Thiers n'avait jamais rien tant désiré que cela. M. Thiers allait donc s'empresser d'intervenir.

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