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On eût dit qu'il était déjà mort, et mort en souriant.

Quelle différence entre cet homme et Fieschi dont il occupait le cachot.

L'abbé Grivel l'éveilla.

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Alors le confesseur et le patient échangèrent les paroles suprêmes. Mais ce fut inutilement que l'homme de Dieu voulut amener Alibaud au repentir.

Comme il n'avait rien pris encore, et ne manifestait le désir de rien prendre avant son exécution, l'abbé Grivel offrit à Alibaud un verre de vin de son pays.

Alibaud accepta; mais à peine ses lèvres eurent-elles touché le verre qu'il l'écarta de lui.

Cette idée venait de lui passer par l'esprit, qu'on venait de mêler à ce vin quelque poudre énervante qui, au moment de mourir, lui ôterait ou la force physique, ou le courage moral.

Le digne prêtre devina sa pensée, prit le verre, le vida à moitié et le rendit à Alibaud, qui l'acheva.

A quatre heures du matin l'exécuteur arriva. On fit descendre Alibaud dans la petite pièce de l'avant-greffe. Son visage était toujours le même, pâle et fier. Le seul frisson qui courut dans ses veines, fut lorsque les ciseaux qui taillaient ses cheveux lui touchèrent le col. Mais il ne dura qu'un instant et fut remplacé par un sourire. Alors on jeta sur ses épaules un peignoir blanc d'abord, et ensuite sur sa tête un voile noir.

Puis on se mit en marche vers la place Saint-Jacques.

A peine était-il cinq heures du matin. Si tout n'était déjà plus obscurité dans les rues, tout y était encore solitude; seulement, en approchant de l'échafaud, sur ce point spécial, la ville semblait vivre et frissonner.

Un régiment entier entourait l'échafaud.

Alibaud descendit. Aussitôt l'exécuteur lui enleva le voile noir qui le cachait.

On lui lut l'arrêt, qu'il écouta tranquillement.

Puis il monta, sans être aidé, les degrés de l'échafaud.

Arrivé sur la plate-forme, il s'avança jusqu'au bord en criant:

-Français, je meurs pour la liberté.

Quelques secondes après la tête était séparée du corps.

Au moment de rendre à la terre la dépouille d'Alibaud, le fossoyeur du sombre cimetière prit la tête par ses longs cheveux noirs et la montra au peuple en disant aux rares spectateurs qui avaient suivi la charrette mortuaire jusque-là :

- Vous le voyez, cette tête est bien celle d'Alibaud,

CHAPITRE XVI.

Ce fut une fatale année dans nos fastes historiques, que cette année 1836, remplie entièrement par l'exécution de Fieschi, par l'attentat d'Alibaud, par le duel de Carrel, par le complot de Strasbourg et par la mort de Charles X.

On connaît les détails de la mort de Carrel. Blessé mortellement dans un combat loyal avec M. Émile de Girardin, il expira dans la matinée du 24 juillet en prononçant ces trois mots :

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Sa vie tout entière avait été dans ces trois mots.

Il avait, en toute occasion, offert sa vie à la France, à ses amis, à la République.

Le malheur de Carrel fut de mourir en dehors de la politique. Mais pour le chef de parti, disons-le tristement, car c'est triste à dire, il était temps que Carrel mourût, En vivant, il n'eût pas perdu sa réputation de loyauté, ce qui était impossible, mais peut-être eûtil perdu sa réputation d'habileté.

Tout le monde n'a pas cette chance de mourir à temps; voyez La Fayette et Louis-Philippe, tous deux ont manqué leur mort. La Fayette devait mourir au 5 juin 1832.

Louis-Philippe devait mourir au 28 juillet 1835.

Nous oublions, au reste, parmi les événements importants de

l'année, les persécutions du ministère contre la Suisse et l'intervention en Espagne, refusée d'abord à lord Palmerston, puis autorisée sous main par le roi, à l'aide de légions étrangères, et enfin refusée à la suite d'une vive altercation entre M. Thiers et M. de Montalivet, et contre l'avis du duc d'Orléans.

Nous avions tort de l'oublier, car ce fut ce qui causa la chute de M. Thiers.

Ainsi, son ministère de sept mois avait eu deux phases bien distinctes. Pendant la première, espérant une alliance matrimoniale avec la maison de Prusse ou d'Autriche, M. Thiers s'était éloigné de l'alliance politique de l'Angleterre, et s'était rapproché de l'alliance continentale.

Pendant la seconde, ayant désespéré de l'alliance matrimoniale avec la Prusse ou l'Autriche, il en était revenu à l'alliance politique avec lord Palmerston.

Sa démission donnée et reçue, M. Thiers partit pour l'Italie, laissant la place à M. Molé.

Voici comment, dès lors, le ministère se constitua :

Présidence du conseil et affaires étrangères, M. Mole;
Justice et cultes, M. Persil;

Intérieur, M. Gasparin;

Marine, M. Rosamel;

Finances, M. Duchâtel;

Instruction publique, M. Guizot;
Ministre de la guerre, M. Bernard;

Ministre du commerce et des travaux publics, M. Martin. C'est sous ce ministère qu'eut lieu la tentative de Strasbourg. Le 2 novembre 1836, on lut dans le Moniteur que, pendant la journée de la veille, une tentative de rébellion avait été tentée sur la garnison de la ville par le prince Louis-Napoléon Bonaparte; mais que cette tentative avait échoué.

Voici comment les choses s'étaient passées :

Depuis longtemps, je l'ai dit déjà, et l'on peut s'assurer de la vérité de ce que j'avance en lisa it, dans mes Impressions de voyage en Suisse, ce que j'écrivais en 1834, c'est-à-dire deux ans avant l'événement

des projets du prince; depuis longtemps, dis-je, le prince nourrissait des intelligences en France. Une fois, du vivant de La Fayette, il était venu, en tournant par l'Angleterre, s'aboucher avec lui; mais l'entrevue avait été sans résultat. Plus tard il avait passé le Rhin, était venu à Strasbourg, et, réunissant un conseil d'amis, il avait tâté le terrain sur lequel il allait s'aventurer. Les amis, même les plus aventureux, même les plus intéressés au succès de l'entreprise, lui avaient présenté le succès comme incertain, et il était revenu à Arenemberg, ajournant alors ses projets mais n'y renoncant pas.

Il écrivit au général Voirol, commandant le département du BasRhin; il lui demandait un rendez-vous.

Le général Voirol ne répondit pas; mais, tout en s'abstenant de répondre, tint la lettre secrète.

Cependant il parla au préfet du Bas-Rhin, M. Choppin d'Arnouville, des projets qu'il supposait au jeune prince.

J'ai quelqu'un près de lui, répondit le préfet, et il ne fait pas un pas que je n'en sois informé.

Ce n'était pas tout, et le prince ne s'était pas contenté d'écrire au général Voirol, il s'était ouvert de ses projets à un capitaine nommé Rauedre, lequel avait fait part de la communication à son commandant, M. de Franqueville.

M. de Franqueville en avait référé au général Voirol.

Dès lors la chose avait paru prendre quelque gravité aux yeux de ce dernier, et il avait, à l'appui d'un rapport, envoyé au ministre la lettre du prince Louis.

C'était l'époque où l'on nourrissait les conspirations au lieu de les prévenir, et où l'on préférait étouffer l'enfant au moment de sa naissance à le faire avorter.

Le ministre laissa l'affaire suivre son cours.

Le 25 octobre 1836, le prince quittait le château d'Arenemberg sous prétexte d'une partie de chasse, et se rendait dans le duché de Bade, où devaient se trouver quelques personnages importants, sur le concours desquels il croyait pouvoir compter.

Ceux qu'il attendait manquèrent au rendez-vous.

T. II.

16

Trois jours il attendit vainement, puis, ces trois jours écoulés, partit pour Strasbourg.

Les deux hommes sur lesquels Louis-Napoléon s'appuyait plus particulièrement étaient le colonel Vaudrey et le commandant Parquin.

Le colonel Vaudrey avait fait tout ce qu'il avait pu pour empêcher le prince de tenter cette dangereuse fortune. Le prince alors avait cru le réduire en lui montrant un contrat par lequel il assurait dix mille francs de rente à chacun de ses enfants.

Alors le colonel avait déchiré le contrat en disant au prince: Monseigneur, je donne mon sang, mais ne le vends pas.

Et dès lors, son sang offert et accepté gratis, le colonel n'avait plus fait aucune objection.

Le commandant Parquin avait été moins difficile à décider. Je l'ai personnellement beaucoup connu; c'était un de ces hommes de l'Empire, tout dévoué aux traditions impériales, ferme et loyal comme son sabre; mais, comme son sabre, bon à faire un instrument, voilà tout.

Il a publié depuis, en prison, deux volumes de Mémoires qu'il m'a envoyés, et dans lesquels cet esprit des camps, le seul qu'il eût, est développé à un haut degré.

Le 27 octobre 1836, à huit heures du soir, le prince assembla son conseil, et il fut décidé que le mouvement aurait lieu le 30.

On comptait se servir du prestige du nom napoléonien; c'était donc sur les soldats qu'il fallait opérer.

Les soldats qui composaient la garnison de Strasbourg étaient: trois régiments d'infanterie, trois régiments d'artillerie et un bataillon d'ouvriers du génie.

On s'était assuré des artilleurs. Le colonel du 4° d'artillerie était du complot.

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On comptait sur les pontonniers; on avait des intelligences parmi eux. L'infanterie était la moins sûre.

En outre, le colonel Vaudrey avait les clés de l'arsenal.

En conséquence, on proposa :

De soulever d'abord l'artillerie, de se porter sur la place d'Armes

et de braquer les pièces sur la caserne d'infanterie.

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