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CHAPITRE XVIII.

Ce fut le 24 mai que la princesse passa la frontière, ce fut le 29 qu'elle entra à Fontainebleau.

Le lendemain 30 mai, le mariage fut célébré dans la galerie de Henri II.

Puis, vinrent les fêtes d'ouverture du Musée de Versailles, de ce musée promis à toutes les gloires de la France, et où tout est sacrifié à la gloire militaire.

Enfin, la série des réjouissances populaires fut close, comme pour Marie-Antoinette, par un grand malheur; le 14 juin on simulait à l'École militaire la prise de la citadelle d'Anvers, et Paris tout entier s'était porté au Champ-de-Mars; tout alla bien tant que dura le spectacle; mais le spectacle fini, chacun selon l'habitude eut hâte de sortir, et la foule, comme un immense courant, se dirigea vers les deux issues qui ramènent vers Paris; on sait ce que c'est que la foule, torrent qui une fois lancé. ne s'arrête plus; elle alla se briser.contre les grilles de fer, et bientôt on entendit des plaintes lamentables mêlées à des cris de rage; toute cette chair vivante broyait et était broyée.

Le même soir, un deuil immense se répandit sur Paris, crêpe noir que la fatalité nouait au bouquet de noce de cette pauvre princesse royale qu'un ministre insolent — à ses pieds tant que vécut son mari devait, son mari mort, traiter d'étrangère et comparer par cette désignation à la reine d'infàme mémoire qui rendit la couronne de son fils aux Anglais.

Le lendemain 15 juin, il y avait bal à l'Hôtel-de-Ville; les courtisans insistaient pour que le prince y allât, comme si aucun accident n'était arrivé; qu'importaient aux courtisans ceux qui avaient péri, c'étaient presque tous des gens du peuple! mais le noble jeune homme se révolta devant tant d'impudence.

Eh! Messieurs, dit-il, attendons au moins pour danser, que les cadavres soient reconnus et enterrés.

Le bal fut ajourné et n'eut lieu, je crois, que le 19 ou le 20. Quelques jours après le mariage de son frère, le duc de Nemours partit pour l'Afrique, il avait une grande revanche à prendre.

La revanche fut éclatante; Constantine, emportée d'assaut, tomba dans nos mains le 13 octobre 1837.

Cette prise nous coûtait le général Danrémont, le général Perregaux, et le colonel Combe, le même qui avait enlevé Ancône dans ce hardi coup de main que nous avons dit.

Achmet vit du haut d'une montagne voisine tomber sa ville bienaimée, et avec elle s'écrouler sa puissance; une larme tomba de sa paupière quand il tourna bride, et enfonça ses éperons dans le ventre de son cheval; seulement on ne pouvait pas lui dire ce qu'on disait à Boabdil fuyant Grenade: - Pleure comme une femme cette ville que tu n'as pas su défendre comme un homme. Le bey Achmet s'était rudement défendu, et dans ses deux siéges, Constantine nous coûtait plus de trois mille hommes.

M. le duc de Nemours était près du général Danrémont, lorsqu'un boulet de canon le frappant au flanc, le coucha mort aux pieds du prince.

Les soldats admirèrent beaucoup le sang-froid de leur jeune chef à cette occasion, et l'on cita comme un modèle de discipline militaire, les paroles qui sortirent alors de sa bouche.

Messieurs, dit-il sans songer à quitter cette place mortelle où sifflaient comme un ouragan les balles et les boulets de la place; le cas était prévu, c'est le général Vallée qui est gouverneur général de l'Algérie.

Je ne sais pas ce qu'eût dit le duc d'Orléans à la place de son frère, mais, je suis sûr que, tout en proclamant le généralat du vivant, il eût trouvé un mot de regret pour le mort.

C'est à cette rigidité de formes, qui est peut-être une vertu, que M. le duc de Nemours dut l'impopularité qui éclata de toutes parts lorsqu'à la mort de son frère le roi le fit nommer régent.

A côté de cette victoire militaire, se dressait le commencement

d'une nouvelle lutte politique; le parti républicain que l'on croyait mort avait été mal écrasé par le procès d'avril: l'événement qui l'avait privé d'un chef actif dans la personne de Carrel lui avait fait faire en avant ce pas immense qu'on appelle la réflexion; or, le parti républicain avait réfléchi qu'on ne prend pas de force un pays comme la France, et qu'il faut faire entrer dans la forteresse des idées par cette brèche qu'on appelle la conviction; dès lors, le parti républicain eut la seule force qui lui manquât, la prudence qui donne l'opportunité à l'attaque, et l'unité au mouvement; en effet, du moment où il abandonna la violence, il fallait compter avec lui par le raisonnement, et du moment où la discussion se faisait publique, légale, presque constitutionnelle, comme il parlait au nom de tous les sentiments honorables, il avait chance, ses orateurs fussent-ils moins habiles que ceux du parti opposé, d'arriver à son but en soulevant cette force immense dont on semblait ne plus se préoccuper depuis quarante ans, la démocratie.

Le parti républicain commença par se choisir un chef. Cette fois, afin qu'aucun reproche de légèreté ne pût lui être fait, il prit ce chef dans la plus haute position que le génie d'un homme puisse se faire. Il y avait un grand calcul en cela; ce n'était pas la démocratie qui allait, par de rudes efforts, élever son chef à la hauteur des fortunes les plus élevées; c'était ce chef qui, déjà placé sur un faite, allait lui tendre la main et, sans effort, sans secousse, sans contestation, l'élever jusqu'à lui.

Ce chef c'était M. Jacques Arago, c'est-à-dire un homme dont le nom était connu, admiré, révéré du monde entier.

Avec M. Arago, on conquérait M. Laffitte et l'on conservait M., Dupont (de l'Eure).

MM. Arago, Laffitte et Dupont (de l'Eure), on en conviendra, formaient une terrible trinité politique, agissant même individuellement, mais si elle groupait autour d'elle un comité électoral, se composant en outre des noms de MM. Mauguin, Mathieu Larabit, Ernest Girardin, le maréchal Clausel, Garnier-Pagès, Cormenin, Salverte, Thiers, Chatelain, Cauchois-Lemaire, Berk, Louis Blanc, Frédéric Lacroix, Durand, Thomas Dubosc, Goudchaux, Viardot,

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