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Le choléra, le fils du Gange, après s'être étendu, à l'orient jusqu'à Pékin, au sud jusqu'à Timor, au nord jusqu'aux frontières de la Sibérie; après avoir envahi Moscou et Saint-Pétersbourg, après être entré en Pologne à la suite des Russes, après avoir décimé la Bohême et la Hongrie, après avoir séjourné à Londres, le choléra venait de s'abattre sur Paris, et avait frappé, rue Mazarine, sa première victime.

La date est précise et terrible, ce fut le 26 mars 1832 que le premier cri d'agonie fut poussé au milieu des joies du carnaval.

Cette fois le mal fut équitable; il monta rapidement du pauvre au riche, et cependant, lorsqu'on dressa la statistique mortuaire, les quartiers des Tuileries, de la place Vendôme, et de la Chausséed'Antin, comptèrent huit morts par mille vivants; tandis que sur mille vivants, les quartiers de l'Hôtel-de-Ville et de la Cité comptèrent cinquante morts.

Tout le monde a souvenir de cette époque de deuil, où les maisons fermées, les rues désertes, sillonnées seulement le jour par les convois des riches, la nuit par les convois des pauvres, présentant l'image non pas d'une capitale vivante, mais d'une sombre nécropole, dont les messageries à elles seules, emportaient plus de sept cents personnes par jour.

Puis, comme si ce n'était point assez d'une cause de deuil, l'émeute vint se joindre au fléau. Un jour le bruit se répandit dans le peuple: il y certaines heures de désespoir, où le peuple est accessible à tous les bruits; le bruit se répandit dans le peuple que le choléra n'existait point; que c'était une fiction des journaux, mais qu'un vaste complot avait été organisé par des scélérats, qui empoisonnaient les fontaines.

A toutes les époques où cette grande calamité, venue d'Orient, et qu'on désigne sous le nom de peste, frappa la France; le peuple qui ne saurait croire à une contagion impalpable, à un fléau invisible; le peuple accueillit et répéta cette horrible fable de l'empoisonnement des fontaines.

Et peut-être, cependant, un pareil bruit allait-il tomber et disparaitre de lui-même, lorsque M. Gisquet, l'homme de M. Casimir

Périer, publia une circulaire, dans laquelle on lisait ces mots :

« Je suis informé que pour accréditer d'atroces suppositions, des misérables ont formé le projet de parcourir les cabarets, et les étaux des bouchers, avec des fioles et des paquets de poison, pour en jeter dans les fontaines et les brocs ou sur la viande, soit même pour en faire le simulacre, et se faire arrèter en flagrant délit par des complices, qui, après les avoir signalés comme attachés à la police, favoriseraient leur évasion, et mettraient tout en œuvre pour démontrer la réalité de l'odieuse accusation portée contre l'autorité. »>

Ainsi, c'était l'opposition que l'on chargeait gratuitement de ce crime sans nom.

Quand les gouvernements mettent au nombre de leurs ressources de pareils moyens, ils sont dans la situation de ces malades qui, abandonnés par les médecins, en appellent aux empiriques et aux charlatans.

L'imprudence du préfet de police porta ses fruits.

Un jeune homme fut égorgé sans motif près du passage du Caire, et seulement parce qu'une voix cria à l'empoisonneur.

Un autre fut tué à coups de couteaux, rue du Ponceau, pour s'être arrêté à la porte d'un marchand de vin, en demandant l'heure.

Un autre encore fut mis en lambeaux sur un motif tout aussi frivole, dans le faubourg Saint-Germain; celui-là, disait-on, avait regardé dans un puits.

Enfin, un juif périt aux halles, pour avoir ri en marchandant du poisson.

Un malheureux, accusé du même crime, avait été soustrait à la colère du peuple, et conduit au corps de garde de l'Hôtel-de-Ville, lorsqu'il en fut arraché à l'instigation de quelques femmes, mis en morceaux comme aux temps des Foulon et des Berthier; seulement, en 89, le peuple mangeait lui-même les lambeaux de chairs des cadavres; en 1832, un charbonnier fit manger les restes de celui-là à son chien.

Et cependant, c'est le même peuple qui, dans les révolutions, pose des sentinelles aux portes de la Banque et du Trésor, et fusille ceux qui sont pris emportant un flambeau de vermeil ou un convert d'argent.

Sublime ou hideux, selon que l'inspiration lui vient bonne ou mauvaise.

Pendant le seul mois d'avril, douze mille sept cents personnes succombèrent.

La durée totale de l'épidémie, fut de cent quatre-vingt-neuf jours.

Le chiffre des morts connus administrativement fut de dix-huit mille quatre cent deux.

C'est à peu près les deux tiers du chiffre réel.

Le choléra-morbus sans atteindre Casimir Périer, lui avait porté cependant un coup terrible; Casimir Périer avait accompagné le roi dans sa visite aux hôpitaux, et la vue des mourants et des morts avait produit une impression terrible sur le ministre moribond.

Une scène avec l'ambassadeur de Russie, M. Pozzo di Borgo, acheva de le tuer.

L'empereur mon maître, ne veut pas, avait dit celui-ci, dans une discussion avec le ministre.

- Ne veut pas, s'était écrié Casimir Périer; dites à votre maître que la France n'a pas d'ordres à recevoir, et que Casimir Périer vivant, elle ne prendra conseil pour agir que d'elle-même et de son honneur.

Un des amis de Casimir Périer, M. Milleret, entrait justement chez le ministre au moment où M. Pozzo di Borgo en sortait trèsagité. Il trouva le ministre livide et écumant.

Effrayé, il s'arrêta, regardant Casimir Périer avec inquiétude.

Oh! oui, regardez-moi! regardez-moi! lui dit celui-ci, je suis perdu, ils m'ont tué.

En effet, le 16 mai 1832, Casimir Périer était mort.

-Casimir Périer est mort, répéta le roi lorsqu'on lui annonça cette nouvelle est-ce un bien, est-ce un mal? l'avenir nous l'apprendra.

La surveille était mort Cuvier, né la même année que Napoléon, et qui laissait dans les sciences un nom aussi impérissable que Napoléon dans la guerre.

CHAPITRE IV.

L'héritage de Casimir Périer était lourd à porter. Il se composait de deux guerres civiles.

De la guerre civile royaliste; de la guerre civile républicaine.

Commençons par la première: voyons-la quitter l'Angleterre, traverser l'Allemagne, franchir la Suisse, faire halte aux bords de la Méditerranée, débarquer à Marseille, tracer un sillon à travers le midi, et venir gronder et s'éteindre dans l'ouest.

A Saint-Cloud, la duchesse de Berry avait proposé au roi Charles X de prendre le duc de Bordeaux dans ses bras; et, précédé du premier général qui consentirait à lui servir de guide, de gagner la capitale et de remettre son fils aux bras des Parisiens.

Le roi avait refusé.

Dix-huit ans plus tard, dans des circonstances pareilles, la duchesse d'Orléans devait faire à Louis-Philippe pareille proposition, et Louis-Philippe devait refuser, comme avait refusé Charles X.

Arrivé en Angleterre, Charles X fit une halte à Lucworth, et là, il avait signé et rédigé un acte qui ratifiait les abdications de Rambouillet.

Ce fut là, et à la lecture de cet acte, que la duchesse de Berry fit part au roi de ses projets sur la Vendée.

Charles X secoua la tête le malheur l'avait rendu incrédule. Cependant, il ne crut pas devoir repousser cette dernière voie ouverte à la fortune de son petit-fils. Il nomma la duchesse de Berry régente.

La duchesse de Berry s'embarqua dès qu'elle eut reçu ses pouvoirs, traversa la Hollande, remonta le Rhin jusqu'à Mayence, gagna Gênes, où le roi Charles-Albert lui prêta un million; passa du Piémont dans les États du duc de Modène, où le prince régnant qui, on se le rappelle, avait refusé de reconnaître Louis-Philippe, lui offrit pour résidence son palais de Massa.

Ce fut à Massa que se prépara l'expédition de Vendée.
Trois opinions partageaient le parti légitimiste.

MM. de Chateaubriand et Bellune, chefs de la première, croyaient qu'il n'y avait rien à faire que par les voies parlementaires et légales. Le roi Charles X et M. de Blacas étaient à la tête de la seconde : elle attendait tout de l'intervention des puissances.

La troisième, qui avait pour organes MM. de Bourmont, le comte de Kergorlay, le duc d'Escars et le vicomte de Saint-Priest, adoptait, si aventureux qu'ils fussent, tous les projets de la duchesse de Berry.

On avait résolu, au reste, de tout tenter avec des Français et des Français.

par

Cependant, comme on le comprend bien, la police de France n'avait pas perdu de vue Marie-Caroline : les yeux fixés sur la petite cour de Massa, Louis-Philippe donnait les ordres les plus précis.

Ces ordres étaient d'entretenir une croisière dans la Méditerranée pour surveiller les tentatives de la duchesse de Berry. Si quelque bâtiment paraissait suspect, ordre était donné de courir sus, et si l'on s'emparait de la duchesse, on devait la conduire en Corse où l'on attendrait les instructions du gouvernement.

Vers le commencement de l'année 1832, la duchesse de Berry recevait une lettre de M. de Metternich. Le prince lui annonçait que sa présence à Massa était dangereuse, que le gouvernement francais avait l'œil sur elle, et qu'elle eût à appliquer à ses projets la prudence la plus complète.

Après avoir rédigé une proclamation à l'armée, une ordonnance pour l'organisation d'un gouvernement provisoire, une autre ordonnance sur les vins et sur les sels, la duchesse de Berry décida que départ aurait lieu le 24 avril.

Le 22, le duc de Modène fut prévenu de ce départ.

le

On devait quitter Massa sous prétexte de faire un voyage à Florence; d'avance, au reste, les personnes qui devaient s'embarquer avec Marie-Caroline s'étaient rendues à Livourne.

Madame quitta le château de Massa le 24, à l'Ave-Maria; elle était

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