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« peut-être le projet de nous désunir.... Il me reste à vous parler d'un objet bien « intéressant et sur lequel je désire que vous sachiez ma façon de penser; vous devi« nez que c'est de madame de Buffon qu'il est question; je vous avoue que dans le «principe de votre liaison avec elle; j'ai été au désespoir. Accoutumée à vous voir « des fantaisies, j'ai été effrayée et profondément affectée, lorsque je vous ai vu . «former un lien qui pouvait m'ôter votre confiance. La conduite de madame de « Buffon, depuis que vous tenez à elle, m'a fait revenir sur les préjugés qu'on « m'avait donnés contre elle; je lui ai reconnu un attachement si vrai pour vous, un a désintéressement si grand, et je sais qu'elle est si parfaite pour moi, que je ne puis « point ne pas m'intéresser à elle. Il est impossible que quelqu'un qui vous aime vé«ritablement n'ait des droits sur moi, aussi en a-t-elle de véritables, et vous poua vez encore, sur ce point, ètre sans gène avec moi; je vous le répète, mon cher « ami, ce que je désirerais, ce qui ferait vraiment mon bonheur, c'est que vous « fussiez parfaitement à votre aise avec moi et que vous trouvassiez dans votre femme << une société douce qui vous attirât et contribuat à votre agrément. Vous m'avez dit « que vous alliez venir plus souvent chez moi; je vous le rappelle parce que je suis « intéressée à ce que vous n'oubliez pas votre promesse; que, d'ailleurs, je veux vous « répéter que vous aurez toujours une société qui vous conviendra; qu'en me pré« venant la veille, vous aurez toujours celle qui pourra vous être le plus agréable, « et qu'en me le disant le matin, si je ne puis pas vous la procurer, vous serez du « moins sûr de n'avoir personne qui puisse vous déplaire.

« D'après ce que vous m'avez dit, mon ami, au sujet de l'observation que j'ai faite « à mon fils, je crois que je ferais peut-être bien de lui dire que s'il m'avait fait « connaître votre intention, je me serais arrêtée au premier mot. Ce n'est pas

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« que j'aie changé de maniere de voir, mais si nos enfants peuvent nous croire des « opinions différentes, je désire que cela n'influe pas sur leur conduite, cela les « mettrait trop mal à leur aise, et sur ce point, pour ce qui a rapport à eux, cer«tainement je leur donnerais l'exemple de la soumission. Tout cela doit vous prou« ver, cher ami, que pour les choses qui ne portent pas essentiellement sur l'exis«tence future de mon fils, je cède et céderai toujours, mais la démarche qu'il veut « faire est d'un genre trop sérieux pour que je ne fasse pas encore des représenta«tions à ce sujet; c'est un devoir vis-à-vis de vous, vis-à-vis de lui. Je vous répète « qu'il m'a causé hier une peine mortelle, et je vous déclare que j'ai été aussi étonnée « et affectée que vous ayez consenti à un arrangement de cette espèce sans m'en avoir « dit un seul mot. Je vous avoue que j'espérais ètre consultée pour ce qui a rapport « à mon fils. Si cela n'est pas, je suis destinée à jouer un rôle passif, ayaut trop « d'honnêteté et d'attachement pour vous pour marquer à cet enfant que je désap« prouve ce que vous conseillez ou ce à quoi vous avez consenti, et il pourrait en « résulter des choses fàcheuses ou pour l'un ou pour l'autre et même pour l'un et « l'autre. Cette nullité ne le frapperait pas d'abord, mais lorsqu'il réfléchira, ou il «me croirait nulle par caractère et n'aurait ni confiance ni déférence pour moi, ou « il verrait que mes droits m'ont été ôtés, que cette nullité était forcée. Chercher « dans ce cas à le rapprocher de moi, à l'éclairer, serait, en quelque sorte, l'éloi«gner de vous. Il faudrait donc lui fermer mon cœur ou courir ce risque; cette ré«flexion m'est affreuse, m'est bien pénible, car l'un ou l'autre de ces inconvénients « m'affligerait profondément. Je vous dis ceci en général sur tout ce qui peut avoir « rapport à sa conduite; quant à cet objet-ci, il ne pourra pas ignorer mon opinion, «< car je suis bien sûre que mon père dira et aura mème soin de faire dire que je suis « très-fàchée que mon fils aille aux Jacobins, et peut-être exigera-t-il que je lui dise « mon opinion à lui-même, afin qu'il ne puisse pas me reprocher un jour de ne « l'avoir pas averti. Vous êtes convenu vous-même, mon cher ami, qu'il y a de « grands inconvénients. Examinons-les nous-mêmes, et voyons si les avantages « peuvent les balancer. Encore une fois, si les Jacobins étaient composés de députés « seulement, ils seraient moins dangereux, parce qu'ils seraient connus par leur « conduite à l'Assemblée et que l'on pourrait prévenir mon fils. Mais comment le « mettre sur ses gardes vis-à-vis d'un tas de gens qui y ont la majorité et qui sont « bien propres à égarer un jeune homme de dix-sept ans? Si mon fils en avait vingt« cinq, je ne serais point tourmentée, parce qu'il pourrait distinguer par lui-même; mais à dix-sept ans, jeté dans une société de ce genre, en vérité, mon cher ami, « cela n'a pas de raison; et que ce soit nous, que ce soit ses parents qui, pour finir « son éducation, l'envoient aux Jacobins, me parait et paraîtra sûrement à tout le << monde une chose inconcevable et qui me ferait, en vérité, regretter qu'il fût sorti « des mains de madame de Sillery. C'est pour qu'il apprenne à parler que vous vou.

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«<lez passer par-dessus tous les dangers que vous ne pouvez pas envisager pour lui, « et vous me dites, mon cher ami, pour me faire voir ces avantages comme vous, «qu'un fameux orateur anglais ne le serait pas s'il n'avait appris à parler de bonne « heure. Je vous répondrai à cela que c'est sûrement en assistant aux séances du « parlement, aux assises, aux plaidoyers, qu'il a appris cet art et que mon fils aura « les mêmes facilités sans aller aux Jacobins. Qu'il suive l'Assemblée nationale et les « tribunaux quand ils seront établis, et, pour peu qu'il ait de dispositions, il y ap « prendra à parler tout comme on apprend en Angleterre. D'ailleurs, pourquoi n'at a tendrions-nous pas la nouvelle législature? Ce n'est différé que de quelques mois « et peut-être à cette législature appréciera-t-on les Jacobins comme il en a déjà été « question. »>

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« Messieurs, vous avez connaissance du décret qui supprime tout ordre, tout signe « extérieur, qui suppose des distinctions de naissance, et j'espère que vous m'avez « rendu la justice de croire que je suis trop ami de l'égalité pour n'y avoir pas ap«plaudi avec tronsport. J'ai donc quitté dès le premier instant et avec le plus grand « plaisir ces marques frivoles de distinctions auxquelles on a si longtemps attaché « une considération qui n'était due qu'au mérite, et que lui seul obtiendra désor << mais. Ce dernier décret, dans le moment où se prépare la révision des travaux de « l'Assemblée, doit nous faire espérer qu'elle maintiendra comme constitutionnel « tout ce qu'elle a déjà décrété au sujet des titres et de la noblesse, et que les Fran«çais, libres et égaux, ne seront plus distingués que par les services qu'ils auront << rendus à la patrie. C'est à eux que seront réservées les marques vraiment hono«rables, les signes auxquels on pourra reconnaître d'abord ceux qui ont des droits « à l'estime publique; autant je dédaignais ceux que je ne devais qu'au hasard de <«< ma naissance, autant je me glorifierai un jour des autres, si je suis assez heureux « pour avoir des occasions de les mériter; elles seules peuvent manquer à mon zèle << pour la chose publique, car si à défaut d'actions assez éclatantes pour attirer sur « moi les regards de mes concitoyens et les récompenses de ma patrie, des sentiments « bien connus et une vie entière uniquement dirigée vers son service, suffisent pour « obtenir ces marques d'honneur, j'ai la pleine confiance de m'en rendre digne. »

« Mon cher Charette,

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«Que d'événements se sont passés depuis que, heureux et paisible, nous jouissions « tous deux de la vie et de ses plaisirs dans cette Vendée, dont ni vous ni moi ne « soupçonnions alors les grandeurs. J'ai eu de beaux jours, j'ai été puissant, j'ai dû « faire beaucoup de choses et je me suis arrêté avant l'heure. Il fallait laisser à la « révolution le temps de jeter sa bave. Vous vous êtes, vous et les vôtres, élancés à la traverse, et ce que j'avais prévu en parcourant votre pays s'est réalisé. La guerre « civile, telle qu'elle y a été organisée, est une force que la République française, « qui tend à se dissoudre, ne vaincra pas; mais, après vos triomphes, il faut la paix, « et cette paix, mon cher chevalier, vous ne pourrez la faire qu'en établissant un « trône. Vous connaissez la sincérité de mes sentiments pour vous; soldat, j'admire « votre courage; général, j'admire encore davantage les talents que vous déployez. Mais je vous demande ce que vous ferez, comment, en cas de succès, vous par

« viendrez à reconstituer la monarchie, et en présence des obstacles de toute nature « qui m'apparaissent dans ma retraite, souvent troublée par les événements; car ma « vie est presque aussi errante que la vôtre, seulement j'ai plus d'espace et moins de « gloire, je ne vois pour vous qu'un moyen grand et légitime de sortir d'embarras. « J'ai beaucoup réfléchi sur les causes qui ont amené, qui ont développé, mùri et tué « le mouvement révolutionnaire. Je dis tué, car la révolution est morte du jour où « elle n'a plus osé faire peur. Eh bien! savez-vous à quoi m'ont conduit mes réflexions? « au point d'où nous sommes partis en 1789. Il faut un roi à la France; elle n'a rien « de républicain dans le caractère, dans les mœurs, mais elle est révolutionnaire par « essence, parce que les derniers monarques n'ont pas compris où elle voulait aller. «La monarchie qu'il lui faut, ce n'est plus celle de Louis XIV, des intérêts nouveaux a ont surgi; le tiers-état, si longtemps opprimé, a senti sa force, il en fait abus; « mais il l'a doublée par les confiscations des biens du clergé et de la noblesse; il « faut donc un roi, mais un roi qui donne au tiers-état les garanties que les Bour« bons offriraient au clergé et à la noblesse. C'est la sanction de tout ce qui a été « fait, bien ou mal, qu'il faut accorder. Pensez-vous que les Bourbons, pour lesquels « vous combattez, soient gens à accepter de pareilles conditions? Vous avez dans « tout ceci montré une trop grande portée d'esprit pour ne pas être persuadé qu'entre « les Bourbons et la France il y a maintenant un mur de séparation. A l'étranger, « dans les cours, chez des émigrés même, cette opinion domine, car on voit des « princes sans énergie et sans volonté, livrés, comme à Versailles, à des flatteurs qui « n'ont qu'un dévouement d'antichambre. Ces princes sont impossibles; mais dans a cette famille, vous le savez, il n'a pas tenu à moi d'arracher à l'échafaud la « tête de son chef, il se trouve d'autres branches qui ne sont pas aussi endurcies « dans leurs idées absolues. Sans parler de celle de Condé, dont le duc d'Enghien est « le héros, il y a la famille d'Orléans; et souffrez ici, mon cher Charette, que je « vous parle à cœur ouvert, car ce que je vous écris peut facilement se réaliser, et « proscrits aujourd'hui tous deux par la révolution, nous pouvons, demain, être ac«ceptés par elle comme ses régulateurs et ses libérateurs. Le nouveau duc d'Orléans, «qui est errant et fugitif, n'a rien à se reprocher de tous les événements auxquels, « malgré nous tous, son infortuné père a pris une large part. Je sais que ce dernier « est en exécration auprès des exaltés de votre parti, et que même sa mort n'a pas «éteint les haines. Que faut-il conclure de là? C'est que le jeune duc d'Orléans est « le seul moyen de transaction possible entre la République et la Monarchie. Il a des « idées arrêtées sur bien des points, et malgré sa jeunesse il est doué d'un grand « sens. Sous le nom de son père, qui était un drapeau contre la cour, c'était pour « lui que travaillaient les girondins. Nous voulions, sans secousses et surtout sans « massacres, arriver à notre but. Les jacobins nous en ont empêchés, mais les jaco« bins sont anéantis, et fort de tout ce que je sais, je m'adresse à vous pour rendre << paix et bonheur à la France. Monseigneur d'Orléans, que j'ai eu sous mes ordres « et qui, je n'en ferais aucun doute, est le premier à honorer votre dévouement à « des principes qui ont toujours été les siens, malgré quelques faiblesses, concessions «faites aux exigences de l'époque; monseigneur d'Orléans, dis-je, n'a pas été con«sulté par moi en tout ceci; mais je crois pouvoir me porter sa caution, et le jour « venu, il ne me démentira pas, j'espère. Or donc voilà ce que j'ai à vous proposer. « La Convention va bientôt clore sa carrière, la plupart de ses membres vont ren«trer dans l'obscurité. Plusieurs avec lesquels je suis toujours resté en correspon« dance, ne demandent pas mieux que de terminer la révolution qu'ils ont faite. « Tout est nivelé; ils sentent qu'il faut relever quelque chose, ils sont donc à nous. « Leur influence sur les sections de Paris est immense. Le peuple est las et se met<< trait facilement sous un roi qui flatterait son orgueil, qui aurait pris part à sa ré«volution et qui pour lui ne serait pas toujours un reproche vivant. Mais toutes ces « bonnes dispositions que je vous signale, celles de l'armée qui ne sont pas plus hos« tiles, tout cela tendant au mème but par des moyens adroitement combinés, ne « peut arriver qu'avec votre concours.

«Les deux partis, les deux armées se réunissant, vous sentez ce qu'il y a de pros« père dans cet événement. Je connais d'avance toutes les objections que vous pouvez me faire Le prince consent-il? J'en réponds corps pour corps. Aveza vous la majorité dans la Convention? - Oui, et s'il manquait quelques voix on pourrait les acheter. Il s'en trouve à vendre, même au prétendant. Étes-vous « sûr de l'armée? → Elle ne demande pas mieux que d'entendre la voix de son vieux « général; d'ailleurs nous avons pratiqué des reconnaissances. —Que ferez-vous des Bourbons? Ce qu'ils voudront ou ce que vous voudrez. On les laissera en exil ou

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«< après quelques années d'un nouveau règne ils pourront rentrer en France, ils n'y « sont pas à craindre. Quelles bases de gouvernement pensez-vous établir? Le << système constitutionnel de l'Assemblée nationale avec les modifications que le temps «y a apportées.

« Je ne vous dirai pas maintenant ce que, dans cet état de choses, la reconnais«sance du prince et de la nation ferait pour vous. Vous sentez que tout ce qui peut « flatter l'ambition d'un homme vous serait accordé. Ils vous ont fait lieutenant « général; le duc d'Orléans, roi, peut mieux et saurait reconnaitre avec plus de gé«nérosité le service que vous rendriez à la patrie. Quant à la Vendée et à ses troupes, « vous n'auriez qu'à parler : vos demandes seraient des ordres. Ce n'est point une « conspiration que je vous propose, encore moins une honteuse trahison. Je vois la « chose de plus haut, comme vous la verrez vous-même c'est le triomphe de nos «< idées constitutionnelles cimenté par le triomphe mème de vos principes monar«< chiques. C'est la Vendée donnant un roi à la révolution. Comprenez-vous ce role, << mon cher Charette? Il est plus beau que celui que Monk s'était réservé en Angle« terre, et vous êtes plus digne de le jouer.

« Je vous écris au moment où le cabinet britannique vient de compromettre à Qui<< beron tous ces malheureux émigrés, qui ont plus de courage que de tactique. Il « faut empêcher que de telles calamités se renouvellent. Le comte d'Artois va, m'as« sure-t-on, tenter une descente sur vos côtes. Si ma lettre vous parvient avant sɔn « expédition annoncée, croyez-en les paroles d'un ami, · ne vous fiez pas aux An«glais ils vous perdront par lui. Réfléchissez à tout ce que je vous propose. Il « n'y a plus qu'un ordre de choses possible, c'est la monarchie constitutionnelle. « Les Bourbons ne la comprennent pas; il faut donc vous adresser à un prince qui « n'épouvante aucun parti et qui puisse nous confondre dans un mème amour. Vous << sentez que c'est vous qui avez toujours la meilleure place dans ses affections et « dans sa reconnaissance. Adieu, mon ami. Saisissez bien toutes les raisons qui «me portent à vous choisir comme l'Atlas du nouveau règne, et croyez-moi, avec << tous les sentiments d'admiration et d'espérance, « Votre très-humble serviteur,

« DUMOURIEZ. »

« P. S. On m'annonce que par vous et vos lieutenants, vous disposez de plus de << quarante mille hommes. C'est plus qu'il n'en faut pour agir. Si, comme je n'en << puis douter, vous acceptez les propositions que je suis chargé de vous faire, pro« positions qui vous mettent le second de la France, n'ayez avec les troupes que le « moins d'engagements possibles; amenez vos soldats à des idées raisonnables. Ecri« vez-moi; et, comme il n'y a pas de temps à perdre, aussitôt que j'aurai votre der«nier mot, j'abandonnerai l'hospitalité précaire que l'étranger me dispute souvent; « j'arriverai à Paris, et la révolution sera finie. »

Page 120.

« Monseigneur,

« Voulez-vous me permettre de vous écrire d'un petit coin de la Suisse, dont le «nom, j'en suis certain, retentira bien mieux encore à votre cœur qu'à votre oreille. « Je suis arrivé hier à midi à Reicheneau.

« Ce petit village, du canton des Grisons, n'a de remarquable que l'anecdote « étrange qui s'y rattache.

« Vers la fin du dernier siècle, le bourgmestre Tcharner de Coire, avait établi « un collége à Reicheneau; on était en quète, par tout le canton, d'un professeur de « français, lorsqu'un jeune homme se présenta à M. Boul, directeur de l'établisse«ment; ce jeune homme était porteur d'une lettre de recommandation signée par «M. Aloyse Jost de Saint-Georges, il était Français, parlait, comme sa langue mater«nelle, l'anglais et l'allemand, et pouvait, outre ces trois langues, professer les mathé«matiques, la physique et la géographie. La trouvaille était trop rare et trop merveil

<«<leuse pour que le professeur la laissât échapper; d'ailleurs, le jeune homme était « modeste dans ses prétentions. M. Boul fit prix avec lui à quatorze cents livres par «an, et le nouveau professeur entra en fonctions dans le courant d'octobre 4795. « Ce jeune homme était votre père, Louis-Philippe d'Orléans, autrefois duc de « Chartres, aujourd'hui roi de France.

« Ce fut, je l'avoue, Monseigneur, avec une émotion mêlée de fierté, que sur les << lieux mêmes, dans cette chambre retirée au milieu du corridor, avec la porte d'en«trée à deux battants, les portes latérales à fleurs peintes, les cheminées placées aux << angles des tableaux Louis XV, entourés d'arabesques d'or, et son plafond orne« menté, que dans cette chambre, dis-je, où avait professé le duc d'Orléans, votre « père, je me fis donner des renseignements sur cette singulière vicissitude d'une « fortune royale qui, ne voulant pas mendier le pain de l'exil, l'avait dignement << acheté de son travail. Un seul professeur, son collègue, un seul écolier, son élève, << existent encore aujourd'hui.

« Le professeur est le romancier Xschokke, l'écolier, le bourgmestre Tcharner, « fils de celui-là même qui avait fondé l'école.

<< Quant au digne bailli Aloyse Jost, il est mort en 1827 et a été enterré à Zitzers, « sa ville natale.

« Aujourd'hui, il ne reste plus rien à Reicheneau du collége où professa un futur « roi de France, si ce n'est là chambre d'étude que nous avons décrite et la chapelle << attenant au corridor, avec sa tribune et son autel surmonté d'un crucifix peint à << fresque; quant au reste des bâtiments, ils sont devenus une espèce de villa ap« partenant au colonel Pastaluzzi. Et ce souvenir, si honorable pour tout Français, « qu'il mérite d'ètre rangé parmi nos souvenirs nationaux, menacerait de dispa«raître avec la génération de vieillards qui s'éteint, si nous ne connaissions un << homme au cœur artiste, noble et grand, qui ne laissera rien oublier, nous l'espé«<rons, de ce qui est honorable pour lui et pour la France.

« Cet homme, c'est vous, monseigneur Ferdinand d'Orléans, vous qui, après « avoir été notre camarade de collége, serez aussi notre roi. Vous qui du trône, où << vous monterez un jour, toucherez d'une main à la vieille monarchie et de l'autre à « la jeune république.

« Vous qui hériterez des galeries où sont renfermées les batailles de Taillebourg « et de Fleurus, de Bouvines et d'Aboukir, d'Azincourt et de Marengo; vous qui << n'ignorez pas que les fleurs de lis de Louis XIV sont les fers de lance de Clovis; << vous qui savez si bien que toutes les gloires d'un pays sont des gloires, quel que « soit le temps qui les a vues naître et le soleil qui les a fait fleurir; vous enfin qui, « de votre bandeau royal, pourrez lier deux mille ans de souvenirs et en faire le fais« ceau consulaire des licteurs qui marcheront devant vous.

« Alors il sera beau à vous, Monseigneur, de vous rappeler ce petit port isolé où « passager battu par la mer de l'exil, matelot poussé par le vent de la proscription, « votre père a trouvé un si noble abri contre la tempête.

« Il sera grand à vous, Monseigneur, d'ordonner que ce toit hospitalier se relève « pour l'hospitalité, et sur la place même où croule l'ancien édifice, d'en élever un « nouveau destiné à recevoir tout fils de proscrit qui viendrait, le bâton de l'exilé à << la main, frapper à ses portes comme votre père y est venu, et cela quelles que « soient son opinion et sa patrie; qu'il soit menacé par la colère des peuples ou pour<< suivi par la haine des rois.

« Car, Monseigneur, l'avenir serein et azuré pour la France qui a accompli son « œuvre révolutionnaire, est gros de tempêtes pour le monde. Nous avons tant semé « de liberté dans nos courses à travers l'Europe, que la voilà qui, de tous côtés, « sort de terre comme les épis au mois de mai, si bien qu'il ne faut qu'un rayon de << notre soleil pour mûrir les plus lointaines moissons. Jetez les yeux sur le passé, « Monseigneur, et ramenez-les sur le présent; avez-vous jamais senti plus de trem<«<blements de trônes et rencontré par les grands chemins autant de voyageurs décou<< ronnés? Vous voyez bien, Monseigneur, qu'il vous faudra fonder un jour un «asile, ne fût-ce que pour les fils de rois dont les pères ne pourraient pas, comme a le vôtre, être professeurs à Reichegeau.

« ALEX. DUMAS. »

T. 1.

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