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ont été arrêtés par des paroles fermes, les Autrichiens n'auraient pas envahi l'Italie, si l'on avait tenu le même langage.

« Vous parlez de nos menaces envers la Belgique, mais ces menaces ne pouvaient avoir grand effet: car, savez-vous combien nous avions de troupes alors? Nous avions soixante-dix-huit mille hommes, en comptant l'armée d'Alger; soixante-dix-huit mille, pas davantage; et vous vouliez faire la guerre avec cela?

- «C'était assez alors, avec l'enthousiasme populaire, continua M. Arago. Quand le gouvernement de la France a la confiance du peuple, il peut toujours parler avec énergie. Le langage inqualifiable de M. de Saint-Aulaire excite un mécontentement unanime. Il a demandé grâce pour le roi des Français!... et c'est au pape!

«Pas si haut, monsieur Arago... Il paraissait y avoir quelque chose à critiquer dans le langage de Saint-Aulaire; mais quand on lui en a fait la remarque, il a répondu qu'on ne pouvait réussir autrement. Du reste, ce n'est pas nous qui avons fait des concessions, c'est à nous qu'on en a fait. On nous a concédé tout ce que nous avons demandé, et tout ce qu'on ne voulait pas d'abord nous accorder; nous avons amené l'étranger à faire ce qu'il ne voulait pas faire. Par exemple, les affaires de la Belgique vont être complétement terminées sous peu de jours; il faudra bien que le roi de Hollande y souscrive. Nous avons amené l'empereur de Russie à souscrire à la séparation de la Belgique; et cependant, au commencement, il avait déclaré très-positivement qu'il n'y consentirait jamais.

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<< Cet avantage n'a été obtenu qu'au prix...

Ainsi, dit Louis-Philippe en interrompant M. Arago, l'affaire de la Belgique est comme finie. Je ne vois pas aussi clair dans celle de l'Italie; je ne sais même comment elle se terminera; car il n'est aisé de rendre un pape raisonnable. Au reste, de toutes les nations de l'Europe, c'est encore la France qui se trouve dans la situation la plus favorable; car les autres ont toutes des éléments de révolution, et, pour les terminer, elles n'ont pas l'étoffe d'un duc d'Orléans. La France et l'Angleterre ne peuvent être gouvernées qu'avec la liberté de la presse. Je connais ses inconvénients; je sais que I indulgence du jury fait beaucoup de mal, mais je ne vois pas

de remède. Aussi quand, dans ses accès de colère, Casimir Périer proposait des mesures d'exception, je m'y suis toujours opposé. Les princes d'Allemagne veulent la censure: je les attends au dénoûment.

« Nous craignons, dit alors M. Odilon Barrot, d'abuser du temps de Votre Majesté.

- « Je suis un roi constitutionnel, et je dois écouter tout le monde, c'est mon devoir; j'ai bien donné audience à MM. Mauguin et Cabet! Je ne puis donc voir qu'avec plaisir trois personnes avec lesquelles j'ai eu des relations privées, et qui peuvent me faire connaître la vérité avec moins d'amertume.

-«Votre Majesté trouve le système parfait, et nous, nous pensons le contraire; il est donc inutile de prolonger cet entretien.

-«Je crois le système excellent; jusqu'à la preuve du contraire je n'en changerai pas. Mes intentions sont pures, je veux le bonheur de la France; jamais je ne me suis armé contre elle. Toute la difficulté vient de ce que l'on ne me rend pas justice, de ce que la malveillance et la calomnie cherchent à me démolir. Si j'assiste au conseil, les journalistes crient que l'État est perdu, et qu'il n'y a plus de gouvernement constitutionnel. Cependant, ce n'est pas moi qui ferai prendre des déterminations illibérales. Par exemple, ce matin on m'a proposé la mise en état de siége, je n'ai pas voulu; les lois suffisent, je ne veux régner que par les lois, on ne me fera jamais dévier de cette règle.

- « Nous en félicitons Votre Majesté, dirent les trois députés. - «Dans votre compte-rendu vous m'accusez d'être insatiable de richesses.

Sire, répondirent ensemble MM. Arago et Odilon Barrot,' cela ne se trouve point dans le compte-rendu, nous en sommes certains.

<«< Messieurs, n'insistez pas, cela s'y trouve, leur dit M. Laffitte. « Vous voyez bien que M. Laffitte s'en souvient. Vous m'accusez de vouloir entasser richesses sur richesses.

- « Nous avons seulement dit, répondit M. Arago, que les ministres avaient demandé pour Votre Majesté une liste civile trop forte; voilà notre intention.

<< Je ne connais pas les intentions, je ne connais que les faits. « Du côté des patriotes, reprit M. Barrot, il y a irritation, désaffection et découragement, tandis que les carlistes sont pleins d'audace. Je supplie Votre Majesté d'en chercher la cause, et d'y porter remède. Il est peut-être temps encore. Le moment est même opportun, puisque vous venez de vaincre la rébellion. Votre Majesté peut avoir confiance en nous, car nous ne sommes inspirés, tous les trois, que par notre attachement pour la France et pour Votre Majesté. M. Arago n'aspire qu'à quitter la politique pour les sciences qui l'ont illustré ; M. Laffitte n'est que trop désenchanté du pouvoir; et moi, je suis prêt à signer de mon sang que je ne veux aucune place quelconque dans votre gouvernement, trop heureux de pouvoir rentrer dans mon cabinet, et de me livrer sans distraction à des travaux qui m'ont donné l'indépendance et le bonheur.

Monsieur Barrot, je n'accepte pas la renonciation que vous m'offrez, dit le roi en frappant sur l'épaule de M. Barrot.

— « Sire, ne voyez en nous que des hommes désintéressés, qui vous expriment l'opinion des patriotes sincères et modérés. Vous êtes condamné à gouverner par la liberté et avec la liberté, acceptez toutes les conséquences de cette position.

« C'est mon intention, c'est ce que je fais. Je ne changerai pas, parce que je ne change jamais de système que quand on m'a démontré que je suis dans l'erreur. Je ne me suis écarté qu'une seule fois de cette habitude: c'est à l'occasion de mes armes. Je tenais aux fleurs de lis, parce qu'elles étaient miennes, parce qu'elles étaient ma propriété, comme celle de la branche aînée, parce que de tout temps elles ont été ornement sur nos écussons. On a voulu leur suppression; c'était une folie. J'ai résisté longtemps, même aux sollicitations de M. Laffitte ; j'ai fini par céder à la violence.

« Mais enfin, que vouliez-vous me proposer?

« Un juste milieu entre le système du 13 mars et la République, répondit M. Arago.

-« Une proclamation, continua M. Barrot, dans laquelle Votre Majesté, en faisant part à la France des graves événements de ces deux jours, exprimerait de nouveau et franchement ses sympathies

pour les principes de la révolution de Juillet, me semblerait devoir produire un excellent effet.

- « Un roi constitutionnel ne peut malheureusement pas aller s'expliquer à la tribune. Je ne puis faire connaître personnellement mes sentiments que quand je voyage, et vous aurez remarqué que je ne laisse jamais passer ces occasions sans en profiter.

— « Je me retire pénétré de la plus profonde douleur, dit alors M. Laffitte, parce que je crois à la sincérité de convictions qui rendent de plus grands malheurs inévitables. Je les redoute pour la France, et plus encore pour le roi. Le mal vient de la manière différente de juger la révolution de Juillet. Les uns n'y ont vu que la Charte de 1814 un peu améliorée, et un simple changement de personnes ; le plus grand nombre, tout ce qu'il y a du moins d'hommes énergiques, le triomphe du système populaire et l'anéantissement complet de la Restauration. Depuis longtemps la presse a protesté contre le système du 13 mars; elle a protesté aussi par sa présence, cette foule immense qui s'est portée au convoi du général Lamarque; cette foule composée de tous les rangs, de toutes les fortunes, militaires, bourgeois, jeunesse, peuple, garde nationale; et si le lendemain quinze ou vingt mille hommes de ces soldats citoyens sont venus prêter leur appui au gouvernement, c'est que son existence elle-même était menacée. On a oublié le système du 13 mars, pour ne songer qu'à la royauté de Juillet.

- «Monsieur Laffitte, je vous crois de bonne foi, mais vous vous trompez: le système du 13 mars, comme vous persistez à l'appeler, n'a contre lui que les républicains et les carlistes.

- « Ce système, dit en terminant M. Laffitte, nous a amené la guerre civile. Quand même ses adversaires seraient en minorité dans le pays, cette minorité a tant d'énergie, qu'il ne faut pas la mépriser. La force morale vaut mieux que le canon et les baïonnettes. Les bons citoyens ne peuvent se défendre des plus vives inquiétudes pour la royauté, qui leur est chère, et qui se trouve compromise par un système antipathique avec les Français.

Louis-Philippe, dit enfin M. Odilon Barrot, est-il roi quasi-légitime, ou roi légitimé par le vœu national? A-t-il été choisi

comme Bourbon ou quoique Bourbon? voilà la question. Si, au lieu de suivre les errements de la Restauration, vous vouliez que toutes les autorités, toutes les institutions eussent la même origine que vous, il y aurait mariage entre la France et votre dynastie, sans divorce possible. Puisque vous pensez autrement, vous continuerez l'expérience; mais les amis du pays et de Votre Majesté ne peuvent y assister qu'avec anxiété.

- «Je persisterai dans ce que je crois être le bien de mon pays, répondit le roi, et j'ai la ferme conviction que quand les passions seront calmées, on reconnaîtra que je suis dans le juste et dans le vrai. Ma vie est à mon pays; je sais ce que je lui dois et ce que je lui ai promis. Vous savez, Messieurs, si je manque à mes promesses ou à mes serments. >>

CHAPITRE VI.

Comme l'avait dit le roi, la justice fut prompte; seulement, les accusés ne furent pas déférés à des cours d'assises, ils furent déférés à des conseils de guerre.

Un jeune peintre nommé Geoffroy fut condamné à mort; mais saisie de son pourvoi, la cour de cassation, sur la plaidoirie d'Odilon Barrot, déclara que le conseil de guerre de la première division militaire avait commis un excès de pouvoir.

Ce fut une grande joie dans tout Paris que la rapide promulgation de cet arrêt, tant la peine de mort en matière politique était déjà hors de nos mœurs, en attendant qu'elle fût hors de nos lois..

Le gouvernement fut forcé de s'incliner devant cette majesté de la justice, plus puissante que la sienne; et il fut reconnu qu'il avait commis le même délit que Charles X, sans avoir subi là même peine. Les accusés furent donc renvoyés devant le jury.

Dans toutes les insurrections politiques reposant sur une convic

T. 11.

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