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-« Oui, vous avez raison, car cette épée, c'est un sceptre. —« Prenez garde de vous égarer, Madame! j'ai bien peur que vous ne viviez dans cette atmosphère trompeuse et enivrante qu'emportent avec eux les exilés; le temps, qui continue de marcher pour le reste du monde semble s'arrêter pour les proscrits: ils voient toujours les hommes et les choses comme ils les ont quittés, ẹt cependant les hommes changent de face et les choses d'aspect. La génération qui a vu passer Napoléon revenant de l'ile d'Elbe s'éteint tous les jours, Madame, et cette marche miraculeuse n'est déjà plus un souvenir, c'est un fait historique.

Ainsi, vous croyez qu'il n'y a plus d'espoir pour la famille Napoléon de rentrer en France?

- << Si j'étais le roi, je la rappellerais demain.

-« Ce n'est point ainsi que je veux dire.

-«< Autrement, il y a peu de chances.

-« Quel conseil donneriez-vous donc à un membre de cette famille qui rêverait la résurrection de la gloire et de la puissance napoléonienne?

-« Je lui donnerais le conseil de se réveiller.

-« Et s'il persistait, malgré ce premier conseil qui, à mon avis, est aussi le meilleur, et qu'il vous en demandât un second?

-«< Alors, Madame, je lui dirais d'obtenir la radiation de son exil, d'acheter une terre en France, de se faire élire député, de tâcher par son talent, de disposer de la majorité de la Chambre et de s'en servir pour déposer Louis-Philippe et se faire élire roi à sa place.

-<«< Et vous pensez, reprit la duchesse de Saint-Leu en souriant avec mélancolie, que tout autre moyen échouerait?

-« J'en suis convaincu.

« La duchesse soupira.

«En ce moment, la cloche sonna le déjeuner; nous nous acheminames vers le château, pensifs et silencieux. Pendant tout le retour, la duchesse ne m'adressa point une seule parole, mais en arrivant au seuil de la porte, elle s'arrêta et me regarda avec une expression indéfinissable.

T. 11.

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—« Ah! me dit-elle, j'aurais bien voulu que mon fils fût ici et qu'il entendit ce que vous venez de dire!... >>

CHAPITRE VII.

Cette mort du duc de Reichstadt que je mentionnais dans ma conversation avec la duchesse de Saint-Leu, avait eu lieu le 22 juillet 1832.

On sait quels bruits retentissent toujours autour des cercueils des prétendants; depuis longtemps, à tort ou à raison, les hommes politiques étaient convaincus que l'héritier de Napoléon devait mourir jeune, et lorsque la nouvelle de cette mort se répandit, ils se contentèrent de secouer la tête en disant:

- Il porte un trop grand nom pour vivre.

Au reste, le retentissement de cette mort, en France, fut sourd et bientôt éteint. Les partisans les plus ardents de l'Empereur eussent redouté le retour d'un jeune homme élevé à l'école de M. de Metternich. Dans ses cheveux blonds, dans ses traits efféminés, le duc de Reichstadt avait plus de sa mère que de son père, plus de Marie-Louise que de Napoléon. N'était-il point à craindre qu'il en fût de même au moral et qu'il eût le cœur plus autrichien que français.

En somme, il mourut; onze ans suffirent à l'ange funèbre pour sceller la tombe du père et de l'enfant; et comme on ne craignait plus le retour ni de l'exilé de Sainte-Hélène, ni du prétendant de Schoenbrunn, la statue de l'Empereur avait, un an et six jours après cette mort, repris sa place au faîte de la colonne de la place Vendôme.

Disons rapidement ce qui s'était passé pendant cet intervalle dont les deux grands événements furent la mort de la religion saintsimonienne et la naissance de la fille de la duchesse de Berry.

Il nous est impossible de suivre ici la religion saint-simonienne dans tous les détails de sa naissance, de son développement et de sa mort; née au lit d'agonie de Saint-Simon, elle grandit rue Monsigny, agonisa à Ménilmontant et mourut devant la cour d'assises. Là parurent, le 27 août, le père Enfantin, Michel Chevalier, Barrault, Duverryer et Olinde Rodriguez.

On les accusait :

1° Du délit prévu par l'article 291 du Code pénal, lequel interdit les réunions de plus de vingt personnes;

2o Du délit d'outrage à la morale publique et aux bonnes mœurs. MM. Enfantin, Duverryer et Michel Chevalier furent condamnés chacun à un an de prison et cinquante francs d'amende;

MM. Rodriguez et Barrault, à cinquante francs d'amende seulement. Et maintenant, qu'on ne nous croie pas du parti des juges contre les accusés; non, le jugement fut partial, ou plutôt aveugle; les hommes qui étaient appelés à porter la sentence étaient de bonne foi, mais à vue courte. Ils ne virent qu'un délit dans une doctrine, ridicule en certains points, comme le sont presque toutes les doctrines à leur naissance, mais pleine d'avenir en certains autres. L'évangile qui résumait la religion était court et précis : à chaque, selon sa capacité, à chaque selon ses œuvres. Peut-être le principe manquait-il de charité, et ne serait-il resté que le ciel à ces pauvres d'esprit pour lesquels le Christ était si plein de douce pitié; mais à coup sûr, il ne manquait pas de logique.

Puis, c'était la première fois qu'un grand hommage était rendu à qui de droit le travail, cet esclave des siècles passés devenait le roi des siècles à venir.

:

Aussi, sans la communauté de la femme et l'abolition de l'héritage, le gouvernement, remarquez que nous ne disons pas la justice, le gouvernement n'eût-il pas eu si bon marché de la religion saint-simonienne.

Quant à nous, qui avons assisté et comme auditeur et comme ami, à la plupart des conférences DU PÈRE, nous le répétons, sans être atteint, pour notre compte, du fanatisme qu'il inspirait aux apôtres, nous le comprenions et le croyions sincère et réel.

Revenons au gouvernement, qui réprimait le républicanisme social dans la personne du père Enfantin, et le républicanisme révolutionnaire dans la personne de Jeanne.

Trois hommes se présentaient, réclamant la succession mortelle de Casimir Périer :

M. Dupin, M. Guizot, M. Thiers.

C'était parmi ces trois hommes que Louis-Philippe devait choisir. Ses sympathies étaient pour M. Dupin. Depuis longtemps M. Dupin était à la tête des affaires contentieuses de M. le duc d'Orléans, et comme le roi ne voyait dans l'administration de la France qu'une grande affaire contentieuse à conduire, il espérait que M. Dupin lui gagnerait ses procès avec les rois ses voisins comme il lui avait gagné ses procès avec les propriétaires riverains de ses propriétés.

Mais, contre toute attente, M. Dupin fut moins facile à l'endroit des affaires publiques qu'il ne l'était à l'endroit des affaires particulières. La conversation entre le futur ministre et le roi monta de chaque côté, sur l'échelle de l'entêtement, jusqu'à la gamme de la discussion la plus vive. Enfin, perdant toute mesure, M. Dupin s'écria:

Tenez, sire, je vois bien que nous ne pourrons jamais nous entendre.

- Je le voyais comme vous, Monsieur, répondit le roi avec une suprême aristocratie, seulement je n'osais pas vous le dire.

Ce mot, qui remettait assez durement M. Dupin à la place que le roi pensait qu'il n'eût pas dû quitter, termina l'entrevue.

Restaient MM. Guizot et Thiers.

Si le mérite d'un premier ministre se mesure à son impopularité, nul, plus que M. Guizot, n'avait droit à l'impopulaire héritage de Casimir Périer; mais dans le moment où l'on se trouvait il y avait peut-être quelque danger à affronter la désaffection générale qui s'attachait à l'homme de Gand.

M. Guizot écarté, on se trouvait en face de M. Thiers.

Oui, mais le roi se défiait de M. Thiers; il y avait au fond de cette légèreté, de ce caquetage, de tous ces défauts enfin, à l'aide desquels M. Thiers faisait pardonner ses qualités, il y avait un fonds de na

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