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tionalité qui ne laissait pas d'inquiéter infiniment l'homme qui avait laissé faire les expéditions russes de Varsovie, les expéditions autrichiennes de Modène et de Bologne, et qui s'apprêtait à faire l'expédition d'Anvers.

D'ailleurs, on savait que M. Thiers, grand stratégiste dans son histoire de la Révolution, avait un désir secret de passer de la théorie à la pratique.

M. Thiers fut donc repoussé.

Derrière ces trois candidats se tenait, debout, raide, immobile, incapable de faire un pas vers le portefeuille en litige, M. de Broglie, qui était à l'école doctrinaire ce que le père Enfantin était à l'école saint-simonienne. Le roi se tourna vers M. de Broglie.

De cette façon et sous la protection du premier ministre, on utiliserait M. Guizot et M. Thiers.

M. de Rémusat, un des adeptes de l'école se chargea de la négociation.

M. de Broglie fit ses conditions; elles furent acceptées, et la France eut un ministère qui reçut le nom de ministère du 11 octobre. Il se composait :

De M. de Broglie, aux affaires étrangères;

De M. Thiers, à l'intérieur;

De M. Guizot, à l'instruction publique;

De M. Humann, aux finances;

Du maréchal Soult, à la guerre;

De M. Barthe, au ministère de la justice.

Le maréchal Soult garda le titre de président du conseil, quoique, en réalité, M. de Broglie fût le chef du cabinet.

Au reste, pour populariser ce ministère, on lui avait préparé un grand acte à accomplir :

L'arrestation de la duchesse de Berry.

Nous avons vu que, dans la soirée du 9 au 10 juin, la duchesse de Berry était entrée à Nantes déguisée en paysanne.

Un asile l'attendait dans la maison de mademoiselle Duguigny. Cet asile était une mansarde, au troisième étage, située directement sous le toit; à droite en entrant se trouvait une fenêtre éclairant

l'appartement et donnant sur une cour intérieure; dans l'angle situé du même côté que la fenêtre on avait pratiqué, exprès pour la circonstance, une cheminée dont la plaque s'ouvrait de droite à gauche et livrait une ouverture d'un pied et demi de hauteur.

C'était une dernière retraite ménagée à la duchesse, dans le cas où la maison serait envahie.

Deux lits de sangle étaient destinés l'un à la duchesse, l'autre sans doute à mademoiselle de Kersabiec.

Là, au courant de tout ce qui se passait, elle attendait les événements et se tenait prête à en profiter.

Sans savoir dans quelle maison elle était, la cour savait parfaitement que Madame était à Nantes ; d'ailleurs, au moment du procès des vingt-deux Vendéens (1), la duchesse avait écrit cette lettre à sa tante Marie-Amélie :

« Quelles que soient pour moi les conséquences qui peuvent résulter de la position dans laquelle je me suis mise en remplissant mes devoirs de mère, je ne vous parlerai jamais de mon intérêt, Madame; mais des braves seront compromis pour la cause de mon fils, je ne saurais me refuser à tenter pour les sauver ce qui peut-honorablement se faire.

« Je prie donc ma tante, son bon cœur et sa religion me sont connus, d'employer tout son crédit pour intéresser en leur faveur. Le porteur de cette lettre donnera des détails sur leur situation; il dira que les juges qu'on leur donne sont les hommes contre lesquels ils se sont battus.

« Malgré la différence de nos situations, un volcan est aussi sous vos pas, Madame, vous le savez. J'ai connu vos terreurs, bien naturelles, à une époque où j'étais en sùreté, et je n'y ai pas été insensible. Dieu seul connaît ce qu'il nous destine, et peutêtre un jour me saurez-vous gré d'avoir pris confiance dans votre bonté et de vous avoir fourni l'occasion d'en faire usage envers mes amis malheureux. Croyez à ma reconnaissance.

« Je vous souhaite le bonheur, Madame, car j'ai trop bonue opinion de vous pour croire qu'il soit possible que vous soyez heureuse dans votre situation:

« MARIE-CAROLINE. »

Comme le disait Madame dans cette lettre pleine de tristesse et de dignité, celui qui la portait, officier royaliste tout dévoué à son parti, était prêt à donner tous les renseignements demandés; mais la reine Marie-Amélie était dans une position trop embarrassante

(1) Ce nombre 22 semble cabalistique en matière de procès. Il y avait eu, comme nous l'avons dit, deux mois auparavant, le procès des 22 républicains, et ces girondins dont Marat demanda et obtint la tète en 1793, n'étaient-ils pas 22 aussi.

pour accepter le mandat qui lui était confié. M. de Montalivet décacheta la lettre, la lut, monta jusqu'à l'appartement de la reine, y resta un quart d'heure, descendit et rendit la lettre à l'officier en disant que Sa Majesté ne la pouvait recevoir.

En effet, en supposant la reine initiée aux secrets de son mari, chose était difficile.

la

Le roi s'apprêtait à faire arrêter sa nièce, par l'intermédiaire d'un juif renégat.

Deutz, il y a des noms qui deviennent des injures mortelles, Deutz, était le nom de ce juif.

Deutz avait accompagné à Londres et en Italie madame de Bourmont; il avait vu Madame une première fois en allant à Rome; il l'avait revue une seconde fois en revenant de Rome. Madame pouvait donc avoir quelque confiance en lui.

Deutz se présenta à M. Thiers, en exagérant cette confiance; mais il s'engageait à livrer madame la duchesse de Berry; les traîtres sont plus rares encore en France qu'on ne le croit ; il s'en présentait un, il ne fallait pas en faire fi.

On discuta la somme; elle fut fixée à cent mille francs, et Deutz partit pour Nantes, accompagné du commissaire Joly, le même qui, lors de l'assassinat du duc de Berry, avait arrêté Louvel.

Cette fois, il allait remplir contre la femme la même mission qu'il avait remplie contre le meurtrier du mari.

Étrange chose que ce qui s'appelle le devoir chez les hommes en place!

Au reste, la Restauration avait donné ce fatal exemple de la trahison mise à prix.

Didier n'avait-il pas été trahi par Balmain pour une prime de vingt mille francs?

Deutz arriva à Nantes, se fit reconnaître aux légitimistes, se prétendit chargé de dépêches importantes et déclara ne vouloir remettre ces dépêches qu'à la personne à laquelle elles étaient destinées, c'est-à-dire à Madame elle-même.

Madame fut prévenue de ce qui se passait et ne conçut pas le moindre soupçon.

Le 30 octobre elle donna l'ordre à M. Duguigny de se rendre à l'hôtel de France, d'y demander M. Gonzague, de l'aborder par ces mots Monsieur, vous arrivez d'Espagne, et de lui présenter la moitié d'une carte découpée.

Si M. Gonzague présentait l'autre moitié de cette carte et si les découpures des deux morceaux s'emboîtaient, M. Duguigny devait amener le messager.

M. Duguigny se rendit à l'hôtel de France, y trouva M. Gonzague, qui n'était autre que Deutz. Deutz remplit la condition indiquée, et certain qu'il avait bien réellement trouvé l'homme à qui Madame avait affaire, M. Duguigny s'offrit à lui servir de guide.

En route, Deutz s'arrêta; il semblait inquiet, et voulut savoir d'une manière précise où on le conduisait.

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Je vous conduis, dit M. Duguigny, dans une maison où Madame se rend pour vous donner audience, et qu'elle quittera aussitôt après. Deutz n'en demanda pas davantage, et se laissa introduire dans une chambre où se trouvaient les deux demoiselles Duguigny, mademoiselle Stilyle de Kersabiec, et M. Guibourg.

Madame est-elle arrivée? demanda M. Duguigny, pour faire croire à Deutz que Madame ne logeait pas dans la maison.

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Je le crois, répondit mademoiselle de Kersabiec car nous

venons d'entendre du bruit dans la chambre voisine.

En ce moment, M. de Menars entra.

Deutz tressaillit; quoiqu'il eût vu M. de Menars en Italie, il ne le reconnaissait point.

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Qu'est-ce donc! où suis-je? s'écria-t-il.

M. de Menars se fit reconnaître, et Deutz se rassura.

Derrière M. de Menars entra Madame; mais alors Deutz déclara vouloir parler à la duchesse seule.

Madame eut l'imprudence de le faire monter dans la mansarde que nous avons décrite, et qui, nous l'avons dit, était la cachette de la princesse.

Madame et Deutz restèrent en conférence jusqu'à huit heures du soir.

Une seconde entrevue fut fixée au 6 novembre et au même endroit.

CHAPITRE VIII.

Le 6 au matin, Deutz alla trouver M. de Bourmont, lui annonça le soir il devait voir la duchesse, et insista fortement pour qu'il fût présent à l'entrevue.

que

Deutz voulait faire prendre le maréchal en même temps que Madame; mais M. de Bourmont avait pris la résolution de quitter Nantes; et sans avoir, par bonheur pour lui, rien dit de ses projets à Deutz, il sortait de la ville vers cinq heures du soir, quoiqu'il fût en proie à une fièvre ardente, et que, pour se soutenir, il eût besoin du bras d'un ami.

Pendant ce temps, l'autorité prenait toutes ses mesures, car c'était le soir même que devait être arrêtée la duchesse de Berry.

A l'heure convenue, Deutz fut introduit près de la princesse. Cette fois, il était parfaitement calme, et Madame ne remarqua aucun trouble en lui. Au milieu de l'entrevue, un jeune homme entra et remit à la duchesse une lettre dans laquelle on annonçait à celle-ci qu'elle était trahie.

La duchesse passa la lettre à Deutz.

Le misérable était tellement maitre de lui, qu'aucun changement ne se fit dans sa physionomie, et qu'il se retira en protestant de son dévouement et de sa fidélité.

Mais la maison était cernée, et la porte de la rue, refermée derrière Deutz, se rouvrit immédiatement pour donner passage à des soldats précédés des commissaires de police, qui se lancèrent dans la maison le pistolet au poing.

Cependant, la maison ne fut point si rapidement envahie que Madame, mademoiselle Stélyle de Kersabiec, M. de Mesnars et M. Guibourg n'eussent le temps de se réfugier dans leur cachette.

Quand les gendarmes entrèrent dans la chambre, tous quatre avaient disparu.

La maison, en apparence, n'était donc plus occupée que par les

г. 11.

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