Page images
PDF
EPUB

Cétaient M. de Mesnars, le prince et la princesse de Beaufremont, M. Deneux, M. Menière, le général Bugeaud et son aide-de-camp. Puis, attachées au service de la princesse, mademoiselle Le Beschu et madame Hausler.

Le 9 juin, l'Agathe faisait voile pour Palerme, où elle jeta l'ancre après une heureuse traversée.

Ainsi finit cette tentative de soulèvement, fatale au parti vaincu, mais plus fatale encore peut-être au parti vainqueur.

CHAPITRE X.

Après les tentatives de révolte vinrent les tentatives d'assassinat. On peut juger, par les assassinats politiques, à quel degré en est arrivée la civilisation d'un peuple.

Dans les sociétés primitives, chez les nations qui se constituent, l'assassinat existe dans la famille : c'est le fils qui veut succéder au père, le frère au frère, l'épouse à l'époux ; ainsi sont morts Paul Ier, Pierre III et Pierre Ier.

Dans les sociétés arrivées au second degré de la civilisation, l'assassinat descend d'un étage et passe de la famille dans l'aristocratie: c'est, non plus la succession du fils au père, du frère au frère, de la femme au mari que vient consacrer le poison, le poignard ou le pistolet, c'est la substitution au pouvoir d'une race à une autre race ; ainsi sont morts Charles XII et Gustave IV.

Dans les sociétés arrivées au troisième degré, l'assassinat descend jusqu'au peuple : c'est la destruction pure et simple de la royauté, c'est la négation de la monarchie; ainsi sont morts, chez nous, Henri III, Henri IV, tués par Jacques Clément et Ravaillac; ainsi faillit mourir Louis XV, assassiné par Damien.

Les différentes tentatives d'assassinat essayées sur Louis-Philippe eurent pour but la destruction non-seulement du roi, mais de la

royauté; c'était un seul et unique principe frappant par les mains de divers assassins: Fieschi, Alibaud, Mercier, Lecomte, sont les continuateurs de Louvel.

Le premier assassinat tenté sur Louis-Philippe fut celui qui a pris rang dans l'histoire sous le nom de l'assassinat du Pont-Royal, ou de l'assassinat du coup de pistolet.

Il n'eut rien de bien sérieux, et personne n'y prêta une grande attention. Une jeune fille, nommée mademoiselle Burg, y joua un rôle que beaucoup de personnes crurent du domaine du roman plus encore que de l'histoire. MM. Bergeron et Benoît furent mis en cause et acquittés.

L'attentat fut-il réel, ou le pouvoir, comme il en fut accusé, joua-til, dans cette circonstance, le rôle que le capucin Chabot voulait faire jouer à Grangeneuve? Seulement Chabot disait à Grangeneuve: << Tue-moi!» et le pouvoir aurait dit à l'auteur inconnu de l'attentat du 19 novembre : « Manque-moi! »

Puis vint la campagne de Belgique et le siége d'Anvers, campagne étrange dans laquelle la France fit la guerre contre elle-même, siége où le prince royal fit d'une façon si glorieuse ses premières armes.

Cependant l'irritation allait croissante: un jour, la Tribune accusa le gouvernement de vouloir entourer Paris de fortifications; seulement, tout au contraire des fortifications ordinaires, celles-là seraient destinées, comme celles de Gand, non pas à défendre mais à comprimer la ville.

Depuis longtemps le gouvernement avait adopté le système fatal des procès intentés à la presse. On ne ruine pas les journaux avec des amendes; on exaspère les hommes avec la prison.

Toute la Chambre se leva contre la Tribune; deux cent cinq voix contre quatre-vingt-douze décidèrent que la Tribune serait citée devant la Chambre; et le gérant du journal, M. Lionne, à qui l'on donnait, comme à Charles I, un parlement pour juge, fut condamné à trois ans de prison et à dix mille francs d'amende.

C'était désormais un duel entre la presse et la Chambre. La Tribune, blessée, riposta, et, cette fois, tira à fond.

Il y avait à la Chambre cent vir gt-deux députés fonctionnaires

publics; ces cent vingt-deux députés touchaient entre eux deux millions de traitement pour des charges qu'ils ne remplissaient pas; par exemple, l'un d'eux, M. Destourmel, député du Nord, était ministre à la Colombie.

Il existait sur les fers un impôt de trois millions trois cent quatrevingt mille francs; la Tribune affirma que cet impôt eût été aboli si vingt-six députés ministériels n'avaient point intérêt à ce que cet impôt fût maintenu.

La Tribune prétendit encore que, depuis longtemps, la liste civile devait au trésor une somme de trois millions cinq cent trois mille six cent sept francs, et elle mit le ministre en demeure de faire rentrer cette somme dans les coffres de l'État

Enfin, elle établit ce fait étrange que, non-seulement, au mépris des lois françaises, Louis-Philippe, en montant sur le trône, avait, fait donation de ses biens à ses enfants, chose qu'il n'avait pas le droit de faire, mais encore que l'enregistrement de cette donation, enregistrement payable d'avance, ne se trouvait pas encore intégralement payé au bout de trois ans.

Puis tout à coup se répandit le bruit que sur l'hôtel Laffitte, les passants pouvaient lire un placard sur lequel étaient ces mots: Hôtel à vendre.

Ainsi, le coup porté par Louis-Philippe à son ancien ami, à l'homme qui l'avait fait roi, avait bien été mortel : la vente de la forêt de Breteuil, connue par l'enregistrement, avait coupé dans sa base le crédit de M. Laffitte; M. Laffitte était ruiné.

Une souscription nationale fut ouverte pour racheter cet hôtel où s'était, non pas faite, mais dénouée la révolution de 1830. On remarqua que la cour ne souscrivit point.

C'était cependant une belle occasion de placer un million; et, disons plus, c'eût été un million placé à bons intérêts.

Sur ces entrefaites, une loi fut rendue qui faisait bien ressortir la situation bâtarde de cette monarchie, née d'une révolution, qui reniait sa mère.

La loi du 19 janvier 1816, relative à l'anniversaire du jour funeste et à jamais déplorable du 21 janvier 1793, fut abrogée.

Si l'anniversaire du 21 janvier était un jour funeste et à jamais déplorable, pourquoi abrogeait-on la loi qui faisait de ce jour-là un jour de deuil?

Tout cela jetait les esprits dans un doute amer; ceux-là même qui défendaient tout haut la marche du gouvernement s'inquiétaient tout bas de l'escarpement de cette pente sur laquelle on glissait; le roi jugea qu'il fallait frapper un grand coup pour reconquérir sa popularité, et, le 29 juillet 1833, oubliant la lettre qu'il avait écrite à Louis XVIII en 1814, et dans laquelle on lisait ces mots : « Mes « vœux, du moins, hâtent la chute de Bonaparte que je hais autant « que je le méprise, » le roi ordonna que la statue de l'homme haï et méprisé par lui reparût au faîte de la colonne de la place Vendôme.

Plus tard, il fit mieux sentant cette popularité tomber plus bas encore, il envoya son propre fils chercher à Sainte-Hélène les os de cet homme qu'on ne haïssait ni ne méprisait plus, depuis qu'on avait compris ce que l'on pouvait faire suer de popularité à son cadavre.

Revenons à cette inquiétude qui agitait la société, et qu'on eût dit entretenue à dessein par les réactions du gouvernement et les violences de la police.

C'était M. Gisquet qui tenait à cette époque le ministère de la rue de Jérusalem; il trouva ingénieux d'étendre aux brochures l'obligation du timbre.

Or, c'était une grande affaire que l'application du timbre à ces brochures dont on vendait jusqu'à cinquante mille dans une journée.

Comme aucune loi ne soumettait ces brochures au timbre, le journal le Bon Sens qui, à lui seul, répandait plus des trois quarts de celles qui se vendaient, le journal le Bon Sens continua d'imprimer ses brochures et les crieurs de les vendre.

On arrêta les crieurs.

Les journaux conduisirent les agents de l'autorité devant les tribunaux, et ils furent condamnés.

La police n'en continua pas moins ses arrestations.

Alors M. Rodde, qui, avec Cauchois-Lemaire, rédigeait le Bon Sens, résolut de porter un défi direct à la police: M. Rodde écrivit à tous les journaux, le 5 octobre 1833, que, le dimanche suivant, il

distribuerait lui-même les brochures patriotiques du Bon Sens; la distribution devait avoir lieu place de la Bourse.

Si la police tentait de l'arrêter, il se défendrait jusqu'à la mort. Il va sans dire qu'une partie de la population parisienne se trouva au rendez-vous.

M. Rodde devait paraître à deux heures; dès midi la place de la Bourse était encombrée, et de nombreux spectateurs se tenaient aux fenêtres, comme aux loges superposées d'un immense cirque.

A deux heures, on entendit une grande rumeur dans la foule; c'était M. Rodde qui venait d'entrer en lice.

Il portait le costume des crieurs publics, c'est-à-dire une blouse amarante et un chapeau verni sur lequel était cette inscription :

Publications patriotiques.

De la boîte suspendue à son côté, et dans laquelle étaient ses brochures, sortaient les crosses de deux pistolets.

Un grand cri s'éleva: Vive Rodde! vive le défenseur de la liberté! respect à la loi!

La police recula devant cette vigoureuse démonstration, comme elle avait déjà reculé devant le manifeste de Carrel, et M. Rodde rentra chez lui sans avoir été inquiété.

Il résultait de ces différents échecs du gouvernement une vive irritation, et une promesse que se faisaient entre eux les chefs du pouvoir de prendre leur revanche à la première occasion qui se présenterait.

Cette première occasion ne se fit pas attendre; une seconde révolte éclata à Lyon, mais fut comprimée par M. de Gasparin et le général Aymar.

La Tribune alors imprima cette nouvelle :

« La République et un gouvernement provisoire sont proclamés à Lyon; l'insurrection s'étend partout Saint-Étienne envoie dix mille ouvriers armés; à Dijon, on s'est emparé des dépêches, à Béfori un régiment a proclamé la République. »

T. II.

14

« PreviousContinue »