Page images
PDF
EPUB

promulgation des lois et leur publication. C'était même là le motif de leur grande querelle avec le Tribunat.

Les orateurs du Tribunat reprochaient amèrement au conseil d'Etat de promulguer la loi sans la publier. « La promulgation, disaient-ils, n'est autre chose que l'attestation, par le pouvoir exécutif, que la loi est revêtue de ses caractères essentiels et qu'elle est susceptible d'être exécutée. Cela ne suffit pas il faut que les citoyens la connaissent pour l'exécuter. C'est au pouvoir exécutif à leur en procurer la connaissance par la publication, c'est-à-dire par un ensemble de formalités matérielles qui doivent être déterminées et consacrées une fois pour toutes par la loi. »

A cela, MM. Portalis et Boulay répondaient avec un grand sens que la loi était connue en fait avant d'être promulguée, grâce à la publicité des débats et au grand nombre de journaux qui circulaient dans tous le pays; que la promulgation du chef de l'Etat n'était rien autre chose que la publication de droit et l'attestation solennelle que la loi existait définitivement; que tout le reste n'était qu'une suite et comme un prolongement ou un écho de la promulgation faite à Paris, mais ne constituait nullement un ensemble de mesures destinées à répandre davantage la connaissance de la loi. Même ils avouaient naïvement que tout acte matériel servant à la promulgation leur semblait assez inutile, et que l'expiration du délai pourrait à elle seule servir de promulgation.

:

Ainsi l'on voit clairement, en allant au fond des choses, que le Code Napoléon n'est pas complice de l'erreur que je combats l'article 1er n'organise pas la publication de la loi, mais seulement la divulgation de la promulgation même, à cause des doutes qui auraient pu naître de la possibilité d'un

recours au Sénat. C'est un pur accident constitutionnel; ce n'est pas un principe de législation.

Le principe, le voici la loi votée est une loi connue. Le pouvoir exécutif est chargé de la prononcer, parce que, suivant l'expression de Portalis, il est la vive voix du législateur. Dès qu'il l'a prononcée, elle est obligatoire pour

tous.

Supposons un petit Etat où la confection de la loi ne serait pas publique et dont tous les citoyens pourraient tenir dans une salle grande comme le Palais de l'Industrie. Le souverain convoquerait la nation dans cette salle et lui lirait la loi. Que faudrait-il de plus pour rendre la loi obligatoire? Cette promulgation ne serait-elle pas une publication de fait et de droit?

Pour nous, trente-six millions de Français, nous sommes obligés de renoncer à la publication de fait résultant de la lecture à haute voix par le souverain qui promulgue. Il nous reste la publication de droit, c'est-à-dire la promulgation elle-même. Mais cela nous suffit, et nous ne sommes pas moins en règle que le petit Etat dont je parlais.—Pourquoi? -Parce que la loi se fait, chez nous, publiquement, et que nous la connaissons de fait avant qu'elle soit promulguée.— Nous pouvons donc nous contenter d'une simple promulgation ou publicité légale dont le seul effet soit de donner à la loi force obligatoire. Et l'on sent maintenant la justesse de l'idée de Portalis qui allait jusqu'à dire que la seule échéance d'un délai pouvait tenir lieu de promulgation.

XLV. Je répudie, par les mêmes motifs, cette autre distinction prétendue entre la force exécutoire et la force

obligatoire des lois. Pour moi, ces deux forces n'en font qu'une et je regarde la distinction comme une subtilité. Après la promulgation, dit-on, la loi a force exécutoire, elle est susceptible d'être exécutée; mais les citoyens ne sont tenus de l'exécuter qu'après la publication qui seule lui donne force obligatoire.

Cette prétendue différence est encore fondée sur l'art. 1er du Code qui a établi, après le délai constitutionnel de dix jours et à partir de la promulgation, une échelle de délais gradués en raison des distances: comme il déclare la loi obligatoire seulement à l'expiration de chacun de ces délais, on a bien vite distingué deux effets qu'on a appelés deux forces, dont l'une est attachée à la promulgation, et l'autre à l'échéance des délais d'exécution. Cela marque un esprit profond et analytique.

Je ne me servirai de la découverte que comme d'une transition pour passer à la critique que j'ai à faire du délai progressif, consacré par le Code.

DÉLAI UNIQUE. - DÉLAI PROGRESSIF.

XLVI. Avec la Constitution de l'an viii et l'article 1er du Code Napoléon, on avait trois sortes de délais : 1° celui de la Constitution, qui commençait au vote du Corps législatif pour aboutir à la promulgation, et qui durait dix jours; celuilà était invariable et uniforme pour la France tout entière; 2o un délai d'un jour franc à partir de la promulgation, délai également constant et uniforme à l'expiration duquel la loi était obligatoire à Paris seulement; 3o une série de délais inégaux calculés d'après la distance de Paris à chaque chef-lieu de département, et dont le point de départ commun était l'expiration du second délai, c'est-à-dire du délai uniforme d'un jour à compter de la promulgation.

Ces deux dernières espèces de délais sont établies par l'article 1er du Code Napoléon.

J'ai montré l'origine et la raison d'être de ce système compliqué : j'ai dit que les rédacteurs du Code n'avaient pu rendre la loi obligatoire pour tous à l'expiration du délai constitutionnel de dix jours, bien qu'ils la considérassent dès lors comme suffisamment divulguée, parce que, durant cet intervalle, elle pouvait être déférée au Sénat pour inconstitutionnalité.

Les citoyens n'étaient donc guère plus avancés à la fin qu'au commencement de ce premier délai : il fallait encore

leur faire savoir que la loi n'avait pas été attaquée et que la promulgation avait réellement eu lieu. De là, la nécessité de nouveaux délais pour divulguer le fait de la promulgation.

Lors de la discussion de l'article 1er, on s'est demandé si le délai qu'on allait fixer pour cette seconde phase de la publication serait unique, uniforme pour toute la France, ou si, au contraire, il serait progressif et inégal comme les distances. Cette question a vivement préoccupé les rédacteurs, qui ont fini par se décider en faveur du délai progressif.

XLVII. Si l'on adoptait l'idée que j'ai mise en avant tout à l'heure pour approprier l'organisation de la force obligatoire à la Constitution de 1852, il n'y aurait plus à discuter sur le mérite respectif des délais progressif et uniforme : un seul délai partant de la sanction irait aboutir directement à la force obligatoire; car, dans ce système où la sanction assure l'existence de la loi d'une manière définitive, la promulgation n'apprend rien de nouveau aux citoyens; elle n'est que ce qu'elle doit être en réalité : une proclamation solennelle rendant immédiatement la loi obligatoire pour tous ceux qui l'entendent ou qui sont censés l'entendre, c'est-à-dire pour tous les Français à la fois.

[ocr errors]

Mais comme il est fort possible qu'on laisse encore longtemps debout l'ordonnance de 1816, qui a l'air de puiser une nouvelle force dans les blessures qu'on lui fait, je me borne à demander au moins qu'on simplifie l'article 1er du Code Napoléon, et qu'à cette mul titude confuse de délais inégaux, on substitue un délai uniforme pour tout le pays, de manière qu'à un moment donné, la loi soit obligatoire partout à la fois.

« PreviousContinue »