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ORDONNANCES ET DÉCRETS.

LXIII. Jusqu'ici je n'ai parlé que des lois. J'ai pu critiquer avec raison la manière fort étrange dont elles deviennent obligatoires. Cependant, elles sont discutées publiquement, et si les citoyens peuvent être surpris par la force obligatoire, du moins le seraient-ils difficilement par les dispositions mêmes de la loi.

Mais que dire des ordonnances royales, aujourd'hui décrets impériaux? L'ordonnance de 1816 les assimile aux lois pour le mode de publication. Ainsi leur force obligatoire résulte de la réception à la chancellerie du numéro du Bulletin où elles sont imprimées!...

Quelle incroyable aberration de la part des auteurs de cette ordonnance! Dans quel déplorable état serions-nous si de pareilles dispositions étaient observées à la lettre? Un décret paraîtrait au Bulletin sans que personne le sût. si ce n'est le prote de l'imprimerie impériale et un employé du ministère de la justice; et presque aussitôt, sans envois, sans affiches, sans avertissement quelconque, tous les citoyens seraient obligés par cet acte qu'ils ignorent et dont l'ignorance est pour eux invincible.

Avant 1816, les décrets d'intérêt général étaient publiés suivant le mode établi par la loi du 12 vendémiaire an Iv

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qui ne faisait résulter la force obligatoire que de l'arrivée du Bulletin au chef-lieu de chaque département.

Quant aux décrets d'intérêt privé, non insérés au Bulletin, il fallait les notifier spécialement aux individus qu'ils concernaient. (Avis du conseil d'État du 12 prairial an XIII.)

Voici les remarquables considérants de cet avis:

<< Considérant que la proposition et la discussion publiques << des lois ont permis de déterminer dans l'article 1er du << Code civil un délai après lequel leur promulgation étant présumée connue dans chaque département, elles y de<< viennent successivement obligatoires;

<< Que les décrets impériaux étant préparés et rendus avec << moins de publicité, ils ne peuvent pas être frappés de la <«< même présomption de connaissance, et qu'en effet, ils << n'ont pas été compris dans la disposition de l'article 1er <<< du Code;

<< Qu'il faut donc, pour qu'ils deviennent obligatoires, une «< connaissance réelle qui résulte de leur publication ou de <«< tout autre acte ayant le même effet; »

« Est d'avis, etc... >>

LXIV. L'ordonnance de 1816 a-t-elle abrogé la loi de vendémiaire en ce qui concerne les ordonnances ou décrets?

Je ne doute pas qu'elle n'ait eu cette prétention, ses termes sont si généraux! Article 1er. « A l'avenir, la promulgation << des lois et de nos ordonnances résultera de leur insertion au « Bulletin officiel » Article 2. « Elle sera réputée con

«nue... etc. >>

Elle ne laisse en dehors que les décrets non insérés au Bulletin, ou indiqués seulement par leurs titres : pour ceux

là, on doit dire que l'avis du conseil d'État de l'an xiii leur est encore applicable.

Mais on pourrait se demander si l'ordonnance de 1816 n'a pas commis un audacieux excès de pouvoir à l'égard des décrets insérés au Bulletin. Ces décrets ne sont pas régis, quant à l'organisation de leur force obligatoire, par l'article 1er du Code Napoléon : c'est le conseil d'État qui nous le dit. La loi de vendémiaire an Iv leur est donc applicable. Or, depuis quand une ordonnance a-t-elle le pouvoir d'abroger une loi?

J'estime donc que les tribunaux devraient refuser toute force obligatoire à un décret impérial avant sa réception au chef-lieu du département.

Voilà pour l'honneur des principes; mais est-il possible que nous en soyons venus à invoquer la loi de vendémiaire an Iv? A quelle extrémité nous réduit l'ordonnance de 1816!

Ce qu'il faut ici, tout le monde le sent, c'est une grande publicité matérielle dans toute la France, au moyen de journaux, affiches, etc., puis un délai uniforme à l'expiration duquel le décret soit obligatoire pour tous les citoyens en même temps.

J'applique ainsi aux décrets en général les principes que j'ai adoptés pour les lois; en reconnaissant toutefois que le défaut de publicité dans la confection des décrets s'opposera toujours à la perfection du système, tandis qu'en matière de publication et de force obligatoire des lois, ce système pourrait devenir vraiment parfait, si la Constitution se prêtait à des réformes encore plus radicales que celles que j'ai dû me contenter d'indiquer dans ce travail.

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