Page images
PDF
EPUB

être prévus par leurs causes naturelles, puisqu'ils n'ont point de causes de ce genre, et qu'ils sont les effets immédiats de la cause surnaturelle: on ne peut pas non plus imaginer qu'ayant été prédits au hasard, ils aient été, par un autre hasard, effectués, précisément les mêmes et de la même manière qu'ils avaient été annoncés. Par exemple, quand on lit les nombreuses prédictions dont nous avons déjà eu occasion de parler, sur l'établissement du christianisme par les moyens les plus opposés à tous ceux qui peuvent fonder une religion, et qu'on les voit ensuite toutes ponctuellement réalisées, peut-on, avec quelqu'apparence de raison, attribuer à un cas fortuit ce concert de tant de prophètes séparés les uns des autres par l'intervalle des siècles, et le rapport exact de tous les événements avec leurs diverses prédictions?

En second lieu, quand la chose prédite n'est pas hors de l'ordre naturel, mais est tellement éloignée de toutes les circonstances actuelles, que rien ne peut en donner le soupçon, et qu'elle dépend d'un concert de diverses causes ou nécessaires ou libres, ou physiques ou morales, qui sont ignorées, il est évident que ni la prédiction ne peut être imputée à une cause naturelle, ni l'accomplissement ne peut être attribué au ha

T. I.

2

sard. Telles sont, par exemple, les destinées futures et lointaines des empires. Elles tiennent de causes si multipliées, que l'esprit ne peut pas toutes les embrasser; si variées, qu'il ne peut pas toutes les imaginer; elles dépendent de volontés libres d'hommes qui n'existent pas encore, qu'il est, par conséquent, impossible de juger. Ces causes diverses devant agir les unes en même temps, les autres successivement, et quelques-unes à de grandes distances de temps; les unes en même sens, les autres contradictoirement; quel esprit humain peut d'avance les soupçonner toutes sans exception, et suivre l'influence de chacune d'elles? Il n'y a que la cause première qui commande, qui règle, et qui fait concourir au même effet toutes causes, qui puisse connaître et prévoir leurs résultats. Il est également ridicule de regarder comme un effet du hasard le concert étonnant entre ces vastes prédictions et leur réalisation. Le hasard ne produit pas une suite de rapports aussi étendus, aussi multipliés et aussi exacts. Quand Daniel prédisait l'établissement et la destruction successive des quatre grands empires, entrait-il dans l'esprit de qui que ce soit qu'il eût une connaissance naturelle de toutes les causes secondes qui devaient influer sur ces grands événe,

ments? Quand, plusieurs siècles après lui, on voyait ces révolutions se succéder, précisément comme il les avait annoncées, y avaitil un homme raisonnable qui soupçonnât que ce pouvait être le hasard qui faisait cadrer aussi exactement l'accomplissement avec la prédiction?

En troisième lieu, le fait annoncé peut n'être pas éloigné de la vraisemblance, peut même être absolument prévu par la lumière naturelle; mais il a été prédit avec une multitude de circonstances diverses très-détaillées, et bien nettement exprimées; de circonstances que rien ne donnait lieu de présumer, et qui viennent ensuite s'effectuer avec une entière exactitude. Je dis que ces circonstances, par leur multiplicité, par leur variété, par leur improbabilité, n'ont pu ni être prévues naturellement, ni être réalisées dans leur totalité par hasard. L'événement principal est un fait qui, s'il était isolé, aurait pu être imaginé d'avance, ou arriver fortuitement; mais les particularités qui y sont jointes sont autant de faits différents, que leur ensemble, leur réunion, leur concours au même effet, met au-dessus et de la prévoyance humaine et des combinaisons de la fortune. Samarie, assiégée par le roi de Syrie, est réduite à une extrême famine;

le roi Joram et tout son peuple sont dans la dernière désolation; Elisée annonce, au nom de Dieu, la levée du siége. S'il se fût borné à cette prédiction, on pourrait croire qu'il avait quelques connaissances particulières qui lui faisaient préjuger cet événement. Mais il ajoute que demain, à l'heure actuelle, la mesure de farine et deux mesures d'orge, ne se vendront, à la porte de Samarie, qu'un statère. Un officier refusant d'ajouter foi à cette prophétie, il lui déclare qu'il verra de ces propres yeux ce bas prix des denrées; mais qu'il n'en mengera pas (53). Pouvait-il prévoir par ces propres connaissances toutes ces particularités? Le hasard pouvait-il en amener la réunion? Il a fallu, pour que la prédiction fût accomplie, qu'une terreur panique frappât les assiégeants et les mît en fuite; qu'ils abandonnassent toutes leurs provisions que l'abondance de ces provisions; mît la farine et l'orge précisément au prix annoncé ; que l'officier incrédule fût chargé par le roi de mettre l'ordre à la porte où se vendaient les comestibles, et qu'il y fût étouffé par la foule du peuple une combinaison aussi compliquée, aussi détaillée, ne pouvait être ni l'objet de la prévoyance ni l'effet du hasard.

:

Avant de passer à la discussion des pro

phéties, soit de l'ancienne, soit de la nouvelle loi, qui prouvent la divinité de la religion chrétienne, il est nécessaire de prévenir deux objections que font ses adversaires sur la prophétie en général.

[ocr errors]
[ocr errors]

« XXI. C'est un fait, disent-ils, qui ne

peut être contesté, que tous les peuples de « tous les temps ont cru aux prédictions, « (54) et les ont attribuées à leurs divinités. « Si on en doutait, il suffirait, pour s'en con« vaincre, de parcourir le traité de Cicéron « sur la divination. Dans le premier livre, "sous le nom de son frère Quintus, il rap<< porte toutes les manières de prévoir l'avenir, et s'efforce de prouver, selon la doc«trine des stoïciens, que les dieux peuvent « et doivent communiquer aux hommes, la «< connaissance de l'avenir (55). Dans le se«cond livre, parlant en son propre nom, il << réfute tout ce qu'a avancé son frère, et pré<<< tend que toutes les nations sont dans l'er« reur à ce sujet. Que peut-on donc, ajou<< tent les incrédules, conclure des prophé«ties en faveur d'une religion, qu'on ne

[ocr errors]

puisse de même en conclure pour les au« tres ? C'est une preuve qui est commune à toutes, puisque toutes ont leurs oracles. « Les aruspices, les augures, les prophètes, << tout cela se ressemble. Entre ce fatras de

« PreviousContinue »