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table aux fatigues des manoeuvres et des exercices militaires. Il eut un jour la fantaisie puérile d'entendre la détonation simultanée de cent pièces de canon, et l'on eut de la peine à lui faire comprendre qu'un tel ébranlement ne serait pas sans danger pour la ville dont les constructions portaient sur un fond marécageux. Quelquefois, dit Rulhière, il se précipitait à genoux, le verre en main, devant un portrait du roi de Prusse, en s'écriant: Mon frère, nous conquerrons l'univers ensemble! Nous citerons encore une de ses extravagances, parce qu'elle peint son caractère, et qu'elle prouve combien une princesse aussi habile que Catherine pouvait facilement tirer avantage de tant d'abjection et de folie. Il avait pris en affection particulière l'envoyé du roi de Prusse, et pour mieux lui faire les honneurs de sa cour, il s'était mis en tête de lui faire obtenir les faveurs de toutes les jeunes femmes qui se prostituaient à ses fêtes. Il l'enfermait avec elles, se mettait, l'épée nue, en faction à la porte; et lorsqu'au milieu de cette burlesque fonction, on venait lui soumettre un travail, il renvoyait au prince Georges son oncle, en disant : Vous voyez bien que je suis soldat. L'impératrice se tenait soigneusement à l'écart, et faisait servir jusqu'à la persécution dont elle était l'objet, à l'accomplissement de ses desseins secrets on répandait le bruit que Pierre, dominé par sa passion pour une jeune Vorontzof, répudierait son épouse, et romprait en même temps douze mariages mal assortis, pour célébrer par autant de nouvelles noces, son union avec sa maîtresse.

Catherine ne se montra jamais plus Russe qu'en ce moment critique; profitant de tout ce que sa position avait d'intéressant, elle se montrait en public avec un extérieur triste, et comme si elle eût mis son sort sous la protection des Russes; mais tout en agissant sur l'esprit de la multitude, elle ne négligeait rien pour se concilier le dévouement des gardes. Les craintes de l'impératrice, quoique exagérées à dessein, n'étaient pas cependant sans

fondement. Pierre avait eu une entrevue avec Ivan, et avait manifesté l'intention de lui rendre la liberté en le reconnaissant pour l'héritier de la couronne. Il avait rappelé des pays étrangers ce Soltikof, premier amant de Catherine, et il le pressait de se déclarer père du grand-duc pour annuler les droits de ce dernier. Il y avait un fonds de justice dans ces réparations, et encore plus de scandale; ce double motif pouvait lui faire brusquer une résolution. Au milieu de ces conjonc tures, le parti de Catherine ne perdait pas courage, et le secret le plus absolu présidait à toutes leurs mesures. Catherine, du sein d'une retraite qui ne paraissait que forcée, et que son goût pour l'étude aurait expliquée d'ailleurs, dirigeait tout avec ce coup d'œil, cette appréciation exquise des circonstances qui lui donnaient tant d'avantage sur un monarque en démence. Un jeune gentilhomme, d'une force et d'une beauté remarquables, était à la fois dans l'intimité de ses plaisirs et dans la confidence de ses plans; une aven ture galante qui faillit le perdre, l'avait fait connaître de Catherine, encore grande - duchesse; et leur commerce intime fut conduit avec tant de mystère, que la cour, si clairvoyante dans les intrigues de tout genre, la croyait encore éprise de Poniatovski que déjà le Polonais avait un successeur. Catherine, par la séduction de ses grâces naturelles et de son accueil, s'était attaché la princesse Dachkof, femme d'un esprit non moins ardent qu'éclairé, et qu'indignaient également le despostime et les turpitudes de la cour. Née Vorontzof, elle était sœur de la maîtresse de Pierre III; sa famille ruinée par le luxe avait compté sur ses ressources pour assurer son crédit et rétablir sa fortune; mais la conduite de sa sœur lui faisait envisager comme un malheur pour la Russie son élévation prochaine au rang d'impératrice; cette appréhension la rapprocha d'au tant plus de Catherine, pour laquelle elle professait un vif enthousiasme. Cependant l'amitié de Catherine pour la princesse Dachkof n'était pas sans

réserve; elle eut soin de lui cacher ses liaisons avec Orlof, les laissant ainsi travailler chacun de son côté, à son élévation future. La conduite d'Orlof, soit goût, soit système, ressemblait trop à celles de tous les officiers aux gardes, pour éveiller des soupçons; trésorier de l'artillerie, il ne fréquentait que les soldats, buvait avec eux, et saisissait toutes les occasions d'exciter leur zèle en faveur de l'impératrice, en même temps que leur haine contre les manies prussiennes du souverain. Il y avait déjà dans les différents régiments tous les germes d'un complot. La princesse Dachkof se trouvait dans son élément; opiniâtre et infatigable, elle fit un grand nombre de partisans à Catherine, à la faveur de cette liberté de langage qui ne passait alors que pour de l'originalité. Orlof débauchait les soldats, et s'assurait de quelques chefs, sûr d'entraîner les autres, dès que le premier coup serait porté.

Le clergé, mécontent de la loi qui le frappait dans ses propriétés, entra avec empressement dans une conspiration où son influence pouvait ressaisir plus qu'on ne lui avait ôté; et les grands, déjà préparés par l'impératrice, suivirent l'impulsion générale. Razoumovski, colonel des gardes d'Ismaïlof, sans promettre d'agir activement, avait cependant donné une adhésion tacite. Il ne restait plus qu'à s'assurer de Panin, gouverneur du grand-duc Paul, et dont le crédit pouvait tout rompre ou tout faciliter. La princesse Dachkof l'entoura de mille séductions; elle faisait de sa complicité la condition sine qua non des dernières faveurs. Le comte hésita longtemps; il consentait bien à l'exclusion de Pierre III, mais à condition que la couronne pas serait à son pupille, en laissant toutefois la régence à Catherine. Enfin l'intérêt de sa passion l'emporta sur ses vues particulières. Il n'est pas inutile de rappeler que Panin avait passé plusieurs années en Suede, en qualité de ministre russe, et que pendant ces fonctions il avait adopté quelques idées constitutionnelles; il entra donc sans répugnance dans les projets de la

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princesse Dachkof, et leur liaison se resserra encore par une haine égale du despotisme. C'est sur ces bases que portèrent les règlements constitutifs qui devaient être adoptés après le détrônement de l'empereur. Le sceptre devait être donné à Catherine en vertu d'une élection formelle, et avec des pouvoirs limités.

Cependant ces deux intrigues, l'une auprès des grands par la princesse Dachkof, l'autre auprès des soldats par Orlof, conduites parallèlement sans que les chefs se doutassent qu'ils concouraient à un même but, furent adroitement réunies par Catherine, lorsqu'elle jugea les choses assez avancées; de telle sorte cependant que la princesse Dachkof ne joua plus qu'un rôle secondaire, à l'instant même où elle pensait qu'Orlof agissait par pur zèle, et sans avoir de rapports avec l'impératrice.

Dès qu'Orlof fut instruit des projets des grands, il s'y opposa avec énergie, soutenant qu'il ne fallait prescrire aucunes conditions à l'impératrice, et menaçant d'agir seul, si l'on s'obstinait à introduire dans le gouvernement une pondération de pouvoir qui n'était pas dans les mœurs. Ce qui prouve qu'Örlof avait alors raison, c'est que le parti de la noblesse fléchit devant ses exigences, comme dominé par l'habitude de s'incliner devant la force, à quelque parti qu'elle appartînt. Le peuple proprement dit est peu de chose en Russie; cependant on ne dédaigna pas de se ménager un appui de ce côté. On répandit le bruit que les Tatars n'attendaient que le départ des troupes pour envahir les provinces russes, et renouveler les dévastations des siècles précédents.

Au milieu d'une conspiration avouée d'un grand nombre et pressentie par tous, tel fut l'aveuglement de Pierre qu'il ne vit rien ou ne voulut rien voir. Le ministre de Prusse instruisit sa cour que la fermentation était menaçante; Frédéric écrivit au tsar de renoncer à son expédition du Holstein, ou du moins de ne pas s'éloigner sans s'être fait couronner à Moscou:

que, dans tous les cas, il devait se tenir en garde contre ses ennemis. Ce prince ne jugea pas à propos d'entrer dans de plus amples détails, prévoyant sans doute que l'empereur succomberait tôt ou tard dans une lutte si inégale, et ne voulant pas se faire un ennemi de Catherine. Pierre le remercia de sa sollicitude, prétendit que le soldat lui était dévoué, et que si l'on avait eu quelques desseins hostiles contre sa personne, on aurait eu mille fois l'occasion de les exécuter. Dès lors Frédéric jugea que son admirateur était incorrigible, et il recommanda d'avoir les plus grands égards pour celle qui allait bientôt se trouver maîtresse.

Moins un peuple est libre, plus les esprits sont disposés à prendre des mesures extrêmes; là où le blâme contre les actes du pouvoir est regardé comme une manifestation séditieuse et puni aussi rigoureusement que le serait dans un gouvernement pondéré la révolte ouverte, le plus grand secret est nécessaire, et le péril répond de la discrétion mais si d'un côté, le despotisme frappe en même temps qu'il menace, de l'autre, la réussite facile des révolutions de palais à la suite desquelles il n'y a de changé que le nom ou le caractère de l'autocrate, rendrait non moins périlleux un refus ou une simple hésitation; et une confidence de cette nature impose ordinairement à celui qui la reçoit l'obligation de trahir ou d'appuyer. Ainsi, dans les États despotiques, les demi-mesures sont inconnues; le despote doit sévir ou tomber, le sujet, dans une alternative semblable, doit réussir ou se résigner au dernier supplice. Cette double nécessité, dont l'une est la conséquence rigoureuse de l'autre, explique les révolutions sanglantes qu'on retrouve si fréquemment dans l'histoire russe, et dans celle des peuples de l'Orient. Il faut donc, pour bien apprécier les événements qui se sont passés dans un pays dont la constitution diffère entièrement des nôtres, se placer dans le milieu historique qui appartient à ces événements.

Cependant Pierre pressait les préparatifs du départ; de tous côtés les troupes se mettaient en mouvement; les conjurés jugèrent qu'il était temps d'agir: il était à craindre, si l'on tardait davantage, que les succès que promettait une guerre facile, ne donnassent à l'empereur une sorte de popularité; si Catherine s'emparait du trône en son absence, on s'exposait à le voir rentrer à Pétersbourg avec une armée tout organisée.

Avant d'entreprendre cette campagne, Pierre voulait célébrer sa fête et l'anniversaire de celle de Pierre le Grand dans le château de Péterhof. Catherine, pour ne pas éveiller de soupçons, habitait dans un pavillon dépendant de cette maison de plaisance, à huit lieues de la capitale. Il avait été résolu qu'on s'emparerait de Pierre à son retour à Pétersbourg, d'où il devait immédiatement se mettre en marche pour ouvrir la campagne contre le Danemark.

Cependant la fortune, avant de l'envelopper dans sa perte, sembla vouloir lui montrer le danger. Un des conjurés, nommé Passek, qui s'était offert pour poignarder l'empereur, et dont on avait eu beaucoup de peine à modérer le zèle emporté, parla inconsidérément du complot en présence d'un soldat; ce dernier, par un ressentiment particulier, courut le dénoncer; Passek fut arrêté, et l'on dépêcha immédiatement un courrier à Pierre III. La princesse Dachkof et un Piémontais, appelé Odard, avaient pris la précaution de faire surveiller par des espions toutes les démarches des principaux conjurés. Elle fut donc instruite de l'arrestation de Passek, et s'empressa de consulter Panin. Elle voulait agir sans délai; Panin soutenait qu'il fallait ne rien donner au hasard, et attendre au lendemain pour voir le tour que prendraient les événements. Il était minuit; la princesse Dachkof quitte Panin, s'habille en homme, et se rend sur un pont, rendez-vous ordinaire des conjurés. Elle y trouve Orlof et ses frères, tous hommes sûrs et d'exécution. Alexis Orlof, surnommé le Ba

lafré à cause d'une cicatrice qui cependant n'altérait pas la beauté de ses traits, se charge d'aller trouver Catherine, et de lui remettre un billet contenant ces mots : Venez, madame, le temps presse. Aussitôt les conjurés se séparent, et prennent si bien leurs mesures qu'en quelques heures chacun fut averti et prêt à tout événement. Dans le cas où l'entreprise eût échoué, un vaisseau, disposé à cet effet, de vait transporter l'impératrice en Suède. Cette princesse, éveillée au milieu de la nuit par le frère du favori, parut moins effrayée que surprise : Madame, lui dit Orlof, vous n'avez pas un moment à perdre, venez. Pendant que l'impératrice s'habille à la hâte, l'émissaire, qui avait disparu aussitôt, revient et lui dit : Voilà votre voiture. La princesse, maîtrisant son agitation, traverse le parc, suivie de sa femme de chambre, monte en voiture, et, confiante dans sa destinée, elle conserva assez de liberté d'esprit pour badiner sur le désordre de sa toilette. Une voiture, qui s'avançait rapidement à leur rencontre, leur causa d'abord une vive inquiétude. C'était le fayori qui, lui criant: Tout est prêt! reprit les devants, et les trois voitures s'élancèrent de toute la vitesse des chevaux vers la capitale. Sur la route, elle rencontra un de ses valets de chambre, Français d'origine; elle mit la tête à la portière et lui cria: Suivez-moi. Cet homme, qui croyait que l'impératrice partait pour la Sibérie, n'hésita pas à lui obéir, et Catherine tira de sa fidélité un heureux présage. Enfin on s'arrête, après avoir traversé toute la ville, devant la caserne du régiment d'Ismaïlof. Une trentaine de soldats à demi vêtus la recurent à son arrivée; à la vue de ce petit nombre, elle pâlit d'abord; mais bientôt tirant de son péril même de nouveaux moyens de séduction, elle les flatte, et leur déclare qu'elle est venue se jetter dans leurs bras pour échapper aux assassins que l'empereur a chargés de tuer elle et son fils. Tous répondirent par des acclamations et des protestations de dévouement; bientôt la foule grossit; alors on fit venir un

prêtre pour recevoir le serment_des soldats. A la première nouvelle de ce soulèvement, on vit accourir le comte Razoumovski, Volkonski, Schouvalof, ancien favori d'Élisabeth, Bruce, Strogonof et quelques autres, les uns initiés depuis longtemps dans le complot, les autres entraînés par l'exemple. Cependant les officiers se répandaient dans les casernes, et, en moins de quelques heures, le mouvement fut général. On fit délivrer Passek, dont l'imprudence avait failli tout perdre; les trois régiments sous les armes, croyant le danger passé, ignoraient encore le véritable état des choses. Villebois, Français refugié, grand maître de l'artillerie et du génie, qu'Orlof, par un motif de jalousie, n'avait pas voulu engager dans le complot, piqué d'abord que la révolution eût été entreprise à son insu, céda bientôt à l'ascendant de l'impératrice, et mit le corps, dont il était chef, à sa disposition. Cependant on vint avertir le prince Georges de Holstein, oncle de l'empereur, qu'il y avait une émeute dans les casernes; il était à s'habiller quand on vint l'arrêter avec sa famille.

Pour revêtir cette révolte d'une sanction religieuse, Catherine, au milieu d'une foule déjà nombreuse, se rendit à l'église de Casan, et de là au palais. Les troupes prirent position alentour, et interceptèrent les passages. Mais déjà un émissaire, envoyé par Bressan, ancien domestique de Pierre III, s'était déguisé en paysan, et avait traversé le pont, quelques moments avant qu'il ne fût occupé.

Cependant Panin avait transporté dans ses bras le jeune grand-duc; il le remit à sa mère encore couvert de ses vêtements de nuit; dans cet état, on le montra au peuple et aux soldats, qui, à cette vue, firent retentir l'air de leurs acclamations. Le plus grand nombre se flattait encore que Paul allait être proclamé, et que Catherine se contenterait de la régence; un manifeste, tenu tout prêt et auquel il ne manquait que la date, fut distribué dans toute la ville; et l'on apprit, non sans quelque surprise, que l'im

pératrice n'avait travaillé que pour elle. Ce manifeste portait que l'impératrice Catherine II, cédant à la prière de ses peuples, montait sur le trône de sa chère patrie, pour le sauver de sa ruine; on y remarquait aussi un blâme formel contre l'alliance avec le roi de Prusse et contre le dépouillement des prêtres. On verra plus tard que ce double prétexte était loin de l'avoir déterminée. Cependant il devenait in dispensable de prendre un parti; on résolut de marcher avec toutes ces forces réunies contre l'empereur le clergé s'avança processionnellement et en grande pompe; il traversa lentement l'armée avec les insignes du couronnement, et entra au palais pour y sacrer l'impératrice. Cette cérémonie terminée, l'impératrice revêtit l'uniforme d'un officier aux gardes qui se trouva de même taille qu'elle; elle prit le grand cordon de Saint-Alexandre Nevski, et dans cet appareil guerrier, qui rehaussait encore ses grâces naturelles, elle monta à cheval, accompagnée de la princesse Dachkof également en-uniforme; elle passa dans les rangs, annonçant aux soldats qu'elle les conduirait elle-même contre son époux. Elle s'arrêta dans son palais pour y dîner; là, d'une fenêtre ou verte, elle but à la santé des troupes qui répondirent par des acclamations. Elle remonta ensuite à cheval, et se mit à la tête de l'armée. C'est ainsi que débuta dans sa carrière politique cette femme extraordinaire qui joignait une ambition virile aux séductions de son sexe; habile à tourner les obstacles, mais sachant renverser ceux qu'elle n'avait pas prévus, et couvrant par la grandeur de l'exécution les moyens détournés ou hardis qui en ont préparé et assuré la réussite. Mais continuons de suivre la narration de Rulhière, témoin oculaire de cette conspiration, en abrégeant toutefois les détails, et en nous tenant en réserve contre son éloquence, qui sacrifie quelquefois la vérité historique à l'éclat et à l'effet.

Sur le haut d'une colline qui domine la rive gauche de la Néva, à l'endroit

où le fleuve entre dans le golfe de Finlande, s'élève le palais d'Oranienbaum, bâti par Mentchikof, et alors résidence favorite de l'empereur. Une petite forteresse modèle, mais nulle comme défense; un arsenal, dépôt d'armes curieuses, au milieu desquelles on gardait les drapeaux enlevés aux Suédois et aux Prussiens; des casernes où logeaient les trois mille Holsteinois quí formaient la garde de l'empereur, lui avaient fait préférer ce séjour à tous les autres. Entre Oranienbaum et Pétersbourg est le château de Péterhof, construit par Pierre le Grand, et célèbre par l'abondance et la beauté de ses eaux. En face d'Oranienbaum et dans une île se présente la ville de Cronstadt. C'est dans ce port que se tenait à l'ancre, et toute prête à faire voile, la flotte destinée à transporter les troupes russes dans le duché de Holstein. Ainsi l'empereur, à l'instant où il méditait une conquête, était sur le point de perdre et la couronne et la vie, moins parce que les ressources lui manquèrent, que`parce qu'il manqua lui-même à ses ressources. Une autre flotte qui stationnait à Rével avait la même destination, et se trouvait comme celle de Cronstadt à la disposition de ce prince. Comme pour rendre sa pusillanimité encore plus impardonnable, le hasard voulut qu'il eût près de lui, dans ce moment critique, un homme qui, à lui seul, valait une armée, le vieux Munich, dont l'exil n'avait amorti ni le génie ni l'activité.

Pierre était loin de penser que cette guerre qu'il allait chercher au foin, et pour laquelle il se croyait né, venait s'offrir à lui du sein même de sa capitale. Plongé dans une profonde sécurité, il répondit à ceux qui vinrent l'informer du motif de l'arrestation de Passek: C'est un fou. Sans plus s'inquiéter de ces indices, il partit d'Oranienbaum pour Péterhof, avec sa maîtresse, son favori Goudovitch, et ce cortège de femmes qui ne quittaient point la cour. Informé à son arrivée de l'évasion de l'impératrice, il pâlit à cette nouvelle, et se fait conduire en toute hâte au pavillon qu'elle habitait.

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