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égales avec ces chrétiens dont ils méprisaient les arts et les connaissances militaires. « Du moment, dit Rulhière, « qu'ils eurent forcément reconnu des limites à leur empire, tout dégénéra « dans cet État, uniquement fondé par la guerre, qui ne possédait aucun des « arts de la paix, où les arts militaires « eux-mêmes n'élevaient aucune autre « école que la guerre. L'habitude des «< conquêtes, et cette suite de grandes et importantes affaires dans lesquelles << ils s'étaient vus si longtemps engagés, avaient auparavant suppléé à « toute autre instruction; mais enfin << les sultans n'avaient plus eu cette « école de succès et de revers, ces le« çons de la fortune, les seules qu'un << sultan pût recevoir; et désormais, << abandonnés aux adorations d'une « cour qui les servait dans le silence de « la terreur, la suprême puissance avait « tout dégradé en eux. Le goût de la «< commodité, de l'aisance et du plaisir, «< qui, dans les premiers temps de cette « révolution, avait partout prévalu sur « l'antique frugalité, dégénéra bientôt « en amour de l'indolence; et, dans «< cet assoupissement général, le crédit « des gens de loi, à la fois juriscon« sultes et prêtres, n'avait cessé de « s'accroître. Le droit civil et le droit << politique chez les musulmans sont «< une même science, parce que le Co« ran, leur Bible, contient aussi leur « code. Chez eux, comme chez les juifs, « les lois sacrées, politiques et civiles, « ont formé une triple chaîne, qui ne laisse, dans aucun genre, aucune li« berté aux esprits. De là cette longue « persévérance dans leurs usages, cette << horreur superstitieuse des connaisasances qui manquaient aux siècles précédents, cette obstination à re« pousser tous les progrès que les mo«<dernes ont faits dans les arts. Or, « toute nation sans lumières, lors « qu'elle cesse d'être ou sauvage, ou « fanatique, ou féroce, est une nation «avilie, et qui, à moins d'un miracle << de la fortune, ne tardera pas à être « subjuguée. »

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Néanmoins, à l'époque dont nous nous occupons, la Turquie, avec un

sultan mieux instruit de la politique européenne, et appuyée du khan de Crimée, aurait pu être encore formidable; mais le ministre de Prusse trompait le divan sur ses véritables intérêts, soit pour ménager Catherine, soit pour que la Russie, tranquille du côté de l'Orient, se hâtât de mettre à découvert ses desseins sur la Pologne.

Le roi de Danemark, que les préparatifs de Pierre III avaient sérieusement alarmé, attendait avec inquiétude le parti que prendrait Catherine.

La Perse et la Turquie, excitées par des rivalités de secte et de voisinage, et secrètement poussées par de sourdes intrigues, s'affaiblissaient mutuellement; au lieu de s'unir contre l'ennemi commun, elles semblaient prendre à tâche de favoriser ses plans ambitieux. Le khan de Crimée, plus rapproché du théâtre où se préparaient tant de grands changements, ne se déguisait point l'imminence du danger; il prévoyait qu'une fois la Pologne esclave, ce serait par la conquête de la presqu'île que se résoudrait le problème de la question russo-turque. Il possédait une armée formidable; mais le temps était passé où les Tatars, ruinant tout sur leur passage, venaient dicter des lois à Moscou, et se retiraient chargés de butin, traînant en esclavage des populations entières. Depuis les guerres d'Élisabeth, ces vastes déserts, où s'étaient fondues tant d'armées russes et lithuaniennes, avaient vu s'élever des forteresses qui servaient de barrières contre les Tatars, et jalonnaient la route d'une armée envahissante. L'empereur de la Chine, Thien-Long, quoique mécontent de ses rapports avec la Russie, après avoir déclaré qu'il ne voulait avec Catherine ni alliance ni relations commerciales, avait cependant cédé sur ce dernier article; enfin, de quelque côté de ses frontières qu'elle portât ses regards, Catherine ne voyait que des voisins hors d'état de l'attaquer, ou des rivaux moins disposés à la combattre qu'à partager avec elle une proie facile.

Les premières mesures de cette souveraine annoncèrent autant de modération que de fermeté. La guerre du

Holstein fut abandonnée comme impopulaire et inopportune; c'était se réserver en même temps le moyen de renouer avec la Prusse sur des bases nouvelles, et de se tirer avec honneur de la position délicate où se trouvaient les cabinets de Berlin et de Pétersbourg, depuis la chute de Pierre III. Nous avons dit qu'elle avait donné la souveraineté du Holstein au prince Georges; le Danemark s'en était alarmé, et il refusa d'abord de le reconnaître; mais la volonté de l'impératrice fut signifiée d'une manière si nette qu'il fallut se soumettre; et Catherine, employant avec habileté la crainte et l'espoir, laissa entrevoir à la cour de Copenhague qu'elle ne s'opposerait pas à la cession future du duché à la couronne de Danemark. Elle envoya en Suède un ministre, pour y conserver sa prépondérance.

Le plus pressé et le moins facile, c'était de prendre un parti définitif avec la Prusse. Frédéric connaissait trop l'inconstance de la fortune, pour exposer au hasard les avantages de sa position. Il devait à son génie et peutêtre à l'originalité de ses manières un renom extraordinaire. Jamais prince n'excita au même degré le fanatisme de l'enthousiasme. Le sultan Mustapha, dérogeant, par une exception unique, à la prohibition formelle du Coran, avait fait suspendre dans son appartement un portrait du monarque prussien; le khan de Crimée appuyait son admiration de tout ce qu'il avait de troupes disponibles; sans la mort du tsar, Frédéric, après avoir été tout près de sa ruine, allait tomber sur l'Autriche avec trois cent mille hommes de troupes régulières et cinquante mille cavaliers tatars. L'avénement de Catherine avait arrêté subitement ces vastes projets. Déjà cette princesse, mesurant toute la portee d'une mesure définitive, avait adopté une politique d'expectative; elle commença par rappeler un corps de vingt mille Moscovites auxiliaires, et fit saisir par ses commissaires les revenus de la Prusse royale.

près

Frédéric comprit que ces mesures

n'étaient qu'une satisfaction donnée à l'opinion, et que l'impératrice ne pouvait faire moins, après avoir mis en avant l'alliance prussienne comme le principal motif de sa conspiration.

En voyant les fautes et la confiance imprudente de Pierre III, il avait prévu la catastrophe tragique qui le renversa; et s'appliquant dès lors à flatter Catherine, il avait tracé en conséquence les instructions de son ministre, de sorte que l'événement ne l'avait point trouvé au dépourvu. Catherine ne se montra pas insensible aux avances d'un prince si célèbre; mais en définitive elle n'accorda que ce qui ne pouvait contrarier sa politique; et quand on en vint à faire chacun sa part, celle que s'adjugea la Russie prouva bien que sa complaisance n'allait pas jusqu'aux sacrifices.

Quelques historiens, pour n'avoir considéré que l'espace borné d'une époque, ont declaré que l'avantage dans ces négociations était resté à Frédéric; ils le louent d'avoir désarmé le mauvais vouloir de l'impératrice, et de l'avoir amenée à faire tous les frais du démembrement de la Pologne, en s'appropriant une partie du résultat. Cette marche pouvait convenir à la politique du moment; mais qui pourrait nier aujourd'hui qu'elle a préparé l'asservissement de l'Allemagne? En ouvrant à la Russie les provinces centrales de l'Europe, en mettant à sa disposition des villes vieillies dans la civilisation, l'Autriche et la Prusse ont fourni à cet empire les moyens d'une transition rapide à travers les phases de la vie des nations; et tous les avantages nés d'une longue éducation politique, elles les ont imprudemment confiés à une puissance nouvelle, connaissant le côté faible des différents États, et en état d'appuyer ses prétentions par une armée nombreuse, aguerrie, et dévouée jusqu'à l'aveuglement. Fredéric a su écarter habilement les difficultés de son règne; mais sa politique, qui consistait à ne rien laisser echapper, a gravement.compromis l'avenir. Si nous ne nous abusons, la supériorité de vues, soit dans les moyens, soit en présence du résul

tat, appartient à Catherine, et la suite brillante de son règne nous en offrira souvent la preuve.

Marie-Thérèse, qui s'était flattée de recouvrer la Silésie, ne put voir avec indifférence le tour qu'avait donné aux affaires l'avénement de Catherine; son dépit se couvrait des dehors d'une vertueuse improbation de la conduite privée de cette princesse; en parlant d'elle, l'impératrice d'Autriche ne l'appelait jamais que cette femme; mais Kaunitz était trop habile politique pour entreprendre une guerre purement morale; sans diminuer les forces de l'empire, il attendait, et se tenait soigneusement sur ses gardes.

La cour de France et celle de Russie en étaient aux termes les plus froids: des querelles de préséance avaient été non la cause mais l'expression de cette mésintelligence. Le véritable motif était basé sur des raisons tout autre ment importantes, sur les menées du parti français en Pologne et en Turquie, directement hostiles à la Russie. L'impératrice se plaisait à manifester son éloignement pour la France jusque dans la prédilection qu'elle affectait pour le peuple anglais. Il faut convenir que le caractere de Louis XV, avec son cortége de maîtresses et de favoris sortis des ruelles, n'était pas de nature à forcer l'estime d'une princesse qui menait de front les plaisirs et les affaires. Elle répétait souvent qu'elle ne connaissait que deux nations en Europe: la Russie et la Grande-Bretagne. C'était moins un hommage à la première puissance maritime, qu'une adroite flatterie adressée à ses propres sujets.

Tandis que l'Europe était dans l'attente, l'impératrice portait un œil vigilant dans toutes les parties de l'administration; partout l'ordre se rétablissait; sociétés savantes, colléges, hôpitaux, monuments publics, tout naissait de sa parole, et attestait l'étendue de son génie et le désir de rattacher à son nom tous les genres de gloire. Elle mit en œuvre, pour se faire des partisans parmi les écrivains les plus distingués de l'époque, la double

séduction de l'éloge et des bienfaits. Elle savait se plier à tous les tons, et, de sa main despotique, elle entretenait une correspondance libérale avec des hommes qui faisaient leur réputation en s'élevant contre les abus. Comme il y avait près d'elle matière à éloges et à profit, les panégyristes ne lui firent pas faute, et toute l'Europe retentit de ses louanges.

Elle favorisa le commerce, attira les étrangers, distribua des terres aux colons qu'attirait sa généreuse hospitalité; et comprenant qu'une bonne législation est à la fois le complément et la garantie des institutions et de l'ordre public, elle promit une réforme dans les lois de l'empire. On l'a accusée d'avoir été plus ardente à entreprendre que persévérante à accomplir; c'était la faute de son siècle et de son peuple, qui n'était sorti de la barbarie que depuis environ soixante années.

Une longue retraite lui avait appris à mettre à profit tous ses instants; art sans lequel les princes, fussent-ils doués d'ailleurs de grandes qualités, ne sont que des souverains médiocres. Elle trouvait le temps de surveiller l'administration intérieure, comme il convient à un souverain, non par une stérile attention donnée aux détails, mais avec cette hauteur de vues qui ne décompose que pour généraliser. Dans les cas importants, elle écrivait ellemême ou dictait ses ordres, ou les instructions qu'elle envoyait à ses généraux ou à ses ambassadeurs, indiquant nettement ses volontés, et abandonnant à leur intelligence l'emploi des moyens, selon les circonstances. Elle aimait à encourager le mérite; et quelques hommes remarquables dans la guerre, la politique et les lettres, illustrèrent son règne. Heureuse si, aux qualités les plus brillantes du souverain, elle eût su joindre les vertus de son sexe!

Malgré le soin qu'elle prenait de se conformer aux mœurs et même aux préjugés de son peuple, ce peuple, ennemi de la civilisation étrangère, que tant de rigueurs lui avaient fait haïr, ne voyait dans Catherine qu'une Alle

mande, dont les réformes mêmes accusaient l'origine. Moscou surtout, dont la population se compose de gentilshommes qui passent une partie de l'année dans leurs terres; Moscou, moins brillante que la nouvelle capitale, mais plus attachée aux anciennes mœurs, avait inspiré de sérieuses inquiétudes à Catherine; à la nouvelle du succès de la conspiration, les régiments, comme on l'a déjà vu, avaient été sur le point de se révolter; quelques distributions de bière et d'eau-de-vie avaient calmé cette effervescence; mais si les manifestations séditieuses avaient cessé, l'esprit public n'en était pas moins resté défavorable à l'impératrice; et l'on regrettait Pierre III, d'autant plus qu'on l'avait moins connu. Catherine résolut de dissiper ces fâcheuses impressions par sa présence, et de se faire sacrer avec la pompe et les cérémonies d'usage. Elle partit donc pour Moscou, emmenant avec elle ceux qui lui étaient dévoués et ceux dont elle se méfiait. Un morne silence l'accueillit, tandis qu'on se portait en foule au-devant de son fils, le grand-duc Paul. La cérémonie excita moins d'enthousiasme que de curiosité, tant il est difficile d'effacer dans les masses l'impression que laisse un crime! Elle distribua ensuite des grâces et des récompenses, flatta l'armée par des manifestes, et fit donner une gratification à tous les soldats et sous-officiers qui s'étaient trouvés aux journées de Jagersdorf, de Crossen et de Kunersdorf.

Déjà sure de l'armée, elle s'appliqua à gagner le clergé, ce qu'elle fit avec tant d'adresse, qu'elle parvint à lui faire employer sa propre influence pour terminer l'affaire relative aux biens de l'Église. De retour à Pétersbourg, elle chargea un synode de reviser l'oukase de Pierre III; la confiscation fut maintenue, mais elle adoucit cette décision en accordant aux propriétaires dépouillés des indemnités viagères. Cette mesure, nécessaire peut-être, mais dangereuse en tout temps, et surtout au commencement d'un règne inauguré par la violence, contribua puissamment à aigrir les esprits. On fit circuler un

prétendu manifeste de l'empereur qui désignait Ivan à la succession. Catherine était trop vigilante pour ignorer de telles menées; elle savait qu'en Russie il faut tomber ou écraser l'obstacle. L'exil et le knout prouvèrent bientôt que le trône n'était pas vacant, et l'audace séditieuse des gardes fut sévèrement réprimée. Quelque temps après, une révolte plus sérieuse éclata: elle avait pour motif ou pour prétexte le jeune grand-duc Paul, dont la santé chancelante inspirait des inquiétudes injurieuses à Catherine. Le châtiment fut proportionné au danger. L'émeute avait duré un jour, malgré les efforts des Orlof et de leurs créatures. Au milieu de cette effervescence, Razoumovski, Bestoujef et Panin se présentèrent tout tremblants chez l'impératrice: elle les reçut avec un calme et une dignité que rehaussaient encore leurs craintes. «< Pourquoi vous alar« mer, leur dit-elle? pensez-vous donc « que je n'ose pas envisager le péril? « Quelques factieux insolents, quelques « soldats mutinés, veulent m'ôter une « couronne que je n'ai acceptée qu'à « regret, et pour soustraire la nation « russe aux malheurs qui la menaçaient la Providence, qui m'a appelée à régner, me conservera pour << la gloire et le bonheur de l'empire, « et sa main toute-puissante confondra << mes ennemis. » Vingt-quatre officiers aux gardes furent jugés et condamnes; les plus coupables devaient être écartelés Catherine leur fit grâce de la vie; mais ils furent dégradés et souffletés de la main du bourreau.

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Panin attribuait ces émeutes à un mal qui resterait sans remède tant que la forme du gouvernement ne serait pas modifiée; il ne cessait de représenter à l'impératrice qu'il était urgent de reconstituer puissamment l'aristocratie, pour donner un point d'appui au pouvoir, et neutraliser les projets de la malveillance, en faisant partager à un corps nombreux et considéré la responsabilité des actes souverains. Peutêtre croyait-il réellement cette réforme possible; peut-être aussi redoutait-il que son crédit, déjà balancé par Orlof,

ne fût entièrement détruit par quelque nouveau favori. Quoi qu'il en soit, Catherine parut entrer dans ses vues, et lui ordonna de rédiger son projet. Le ministre ne se contenta point de développer sa théorie constitutionnelle, il eut l'adresse de désarmer de hautes répugnances, en plaçant en tête du conseil futur le nom de Grégoire Orlof. Cette flatterie n'empêcha pas le favori de consulter le vieux Bestoujef. Celuici désapprouva formellement cette innovation, et n'eut aucune peine à persuader à Orlof qu'il ne pourrait que perdre dans un changement qui limiterait le pouvoir de l'impératrice. Cette princesse ne demandait pas mieux que des obstacles plausibles motivassent son refus. Elle ne pouvait, disait-elle, heurter le désir de ceux à qui elle devait tout; et en paraissant ne céder qu'à la reconnaissance, elle se donnait le mérite de chercher de bonne foi le parti le plus avantageux. Panin dut renoncer encore une fois à ses espérances; quoiqu'il ne dissimulât point son dépit, il échappa néanmoins à la disgråce. Catherine le ménageait pour plusieurs raisons; son expérience des affaires réparait en quelque sorte le mauvais effet que produisait l'orgueil soldatesque d'Orlof; d'un autre côté, sa paresse habituelle le rendait incapable d'une exécution hardie; et de plus, ses fonctions de gouverneur du grandduc lui donnaient sur l'esprit public une influence qui n'était pas à négliger.

Bestoujef, en qui l'âge et un long exil n'avaient point refroidi la passion de l'intrigue, s'attribuant le désappointement de Panin, essaya de renverser son rival par une combinaison nouvelle. Orlof, qui se vantait hautement d'avoir donné le trône à Catherine, et de pouvoir l'en faire descendre quand il voudrait, semblait ne pouvoir aspirer qu'au rang suprême: Bestoujef entreprit de le lui donner. Dans cette vue, et probablement à l'insu de Catherine, il fit circuler une requête dans laquelle on suppliait l'impératrice d'assurer le repos de l'Etat, en s'unissant à un époux digne de partager son trône : on y insis-.

19 Livraison. (RUSSIE.)

tait sur la santé chancelante de Paul, seul héritier de l'empire, et on conjurait l'impératrice de faire au bien général le sacrifice de sa liberté. Bestoujef, d'accord avec Orlof, avait mis en avant le prince Ivan, dans la persuasion que cette offre serait rejetée par des raisons politiques, plus encore qu'à cause de la disproportion d'âge : en effet, les évêques, qui consentaient déjà à donner leur signature, y mirent la condition qu'Ivan serait exclu. Alors on hasarda le nom d'Orlof. Il était dangereux de se prononcer contre un favori vindicatif, qui se croyait en droit de prétendre à tout, parce qu'il avait tout procuré: un grand nombre de seigneurs avaient déjà signé leur adhésion, lorsque Vorontzof s'avisa de demander à Bestoujef de quelle autorité il agissait. Cette question déconcerta l'ex-chancelier; et Vorontzof, qui lui avait succédé, soit rivalité, soit qu'il blâmât réellement l'union proposée, courut se jeter aux pieds de Catherine, et lui représenta avec vivacité les dangers d'une telle alliance. L'impératrice put mesurer d'un coup d'œil toute la portée de l'ambition de son favori; elle déclara qu'elle était étrangère à ces menées, et que Bestoujef serait puni. Cependant il n'en fut rien, soit qu'elle eût voulu sonder les esprits à ce sujet, soit qu'une faute risquée en faveur d'Orlof eût trouvé grâce devant sa justice.

La santé du grand-duc avait servi de prétexte à la démarche de Bestoujef: Panin, comme pour donner un démenti public à ce courtisan, fit promener son pupille à cheval pendant plusieurs heures dans les rues de la capitale. L'impératrice était partie pour un pèlerinage dont la malignité publiait le motif; la vue du grand-duc, dont les traits rappelaient ceux de Pierre III, produisit sur le peuple une vive sensation. Dès le lendemain, une foule de soldats aux gardes se rendit tumultueusement devant le palais, demandant le jeune prince pour le proclamer empereur. Ces malheureux, trompés par la manifestation de Panin, et ne comprenant rien aux demi-me

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