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leur poursuite. Le prince poursuivant sa retraite, que protégeaient quelques combats d'arrière-garde, occupait déjà Tykocin et le pont sur la Narew. Débusqué de cette position, il fut obligé de se rejeter à l'ouest de Bialistock, ce qui le coupait de ses communica tions avec le feld-maréchal. Cependant Diebitsch, informé du danger que couraient les gardes, se hâta de jeter un pont à Granne. Skrzynecki se replia vers Ostrolenka, et mit tant de lenteur à opérer sa retraite concentrique, qu'il laissa à son adversaire le temps de rallier les gardes et de prendre sérieusement l'offensive. Lubienski, chargé d'observer le Bug avec dix mille hommes, occupait les environs de Nur, et poussait des reconnaissances jusqu'à Granne et Droghiczyn. Les Russes l'enveloppèrent dans cette position; il n'échappa à une ruine totale qu'après de vigoureux efforts, et il rejoignit Skrzynecki à Sniadow.

Gielgud occupait Louza; le généralissime était loin de prévoir que Diebistch allait l'attaquer. Le 25 mai, Skrzynecki se transporta avec son état-major à Ostrolenka. A huit heures du matin, l'armée russe se montra sur les routes voisines. Les troupes de Lubienski furent assaillies les premières. Skrzynecki alors put mesurer toute l'étendue de sa faute; les bataillons polonais arrivaient un à un, et se ruaient courageusement contre les masses de l'ennemi, qui avait déployé sur les hauteurs une artillerie formidable. Le général Langermann eut un cheval tué sous lui. Tout l'effort de la cavalerie polonaise échoua contre les dispositions du terrain; les chevaux enfonçaient dans la vase jusqu'au poitrail. Deux chefs, l'orgueil de l'armée, Kaminski et Kicki, tombèrent. Vers le soir, l'artillerie polonaise, dirigée par Bem, arrêta la marche des Russes. Le jour suivant allait dévoiler toute l'étendue des pertes. Le généralissime polonais convoqua les chefs et tint un conseil de guerre; il fut résolu qu'on se replierait sur Varsovie, et que, pour utiliser le corps de Gielgud, qui allait se trouver abandonné à lui-même, on

lui donnerait l'ordre de se jeter en Lithuanie, sur les revers de Diebitsch, dans le palatinat d'Augustow. Lubienski fut chargé de la retraite, et Dembinski, avec les escadrons de Posen, alla rejoindre Gielgud pour s'associer à son expédition. Skrzynecki entra le lendemain dans Praga, et pendant trois jours les débris des corps qui rentrèrent dans la ville purent donner une idée exacte de la défaite d'Ostrolenka. L'infanterie de Pahlen et de Schakhovskoï fit tous les frais de la journée: les gardes et la cavalerie des Russes ne donnèrent point. On ne conçoit pas pourquoi Diebitsch ne voulut point profiter de sa victoire. Varsovie, vivement attaquée pendant la désastreuse défaite de ses défenseurs, n'eût pu opposer une longue résistance. Mais Skrzynecki venait de faire une faute; la courtoisie du feldmaréchal ne lui permit pas de rester en arrière. Le général Toll, après avoir si habilement conçu le plan d'attaque, vit avec douleur que le résultat definitif de la campagne était compromis par les lenteurs inexplicables de son chef.

La bataille d'Ostrolenka, une des plus meurtrières qui se donna entre les Russes et les Polonais, eut un effet moral très-fâcheux sur l'armée insurrectionnelle. Un des résultats les plus directs de cette journée fut de replacer le théâtre de la guerre dans les mêmes limites stratégiques qu'au commencement de la campagne. Gielgud, séparé de l'armée en retraite par le mouvement en avant des Russes, n'avait plus qu'à remplir sa mission, qui désormais était devenue pour lui une nécessité, celle de se jeter en Lithuanie. Il reçut l'ordre de s'emparer de Kowno, et de marcher sur Polonga, où l'on espérait trouver les armes expédiées par le comité de Paris. Dembinski rejoignit bientôt Gielgud; les deux généraux se mirent en marche, enlevant ainsi à la défense directe de Varsovie une force d'environ dix mille combattants. Il s'agissait d'enfoncer la division de Sacken avant l'arrivée des renforts dirigés sur ce point par le

feld-maréchal. Sacken, ignorant qu'il avait affaire à une division, s'avança à la rencontre de l'ennemi; mais battu, devant Raygrod, il n'eut que le temps de rétrograder sur Augustow. Gielgud, vainqueur, entra le 30 mai dans cette ville. Les partisans, électrisés par ce succès, reformèrent leurs bandes, et la division continua sa marche. Chlapowski pénétra dans la forêt de Bialowies, multipliant ses attaques, et réveillant çà et là le courage et les espérances des habitants. La nouvelle de l'entrée du corps de Gielgud en Lithuanie blessa, dit-on, son amourpropre, et l'idée de figurer comme subordonné dans cette expédition émoussa son patriotisme. Bientôt il reçut une dépêche de Dembinski, qui lui communiquait l'ordre d'abandonner la chaussée de Wilna pour se joindre à lui en Samogitie. Il rallia toutes ses forces, et rencontra Gielgud à Kieydany. Cependant la sollicitude de Diebitsch s'était portée sur Wilna : les généraux russes Kuruta, Sacken, Fricken et Malinovskoï, Khilkof et Tolstoï, se dirigeaient vers la capitale menacée. Il était déjà trop tard pour espérer d'enlever Wilna, que protégeaient tous ces renforts. Cependant Kuruta et Tolstoi n'étaient pas encore arrivés, et l'attaque offrait des chances de succès. Gielgud temporisa, et dès lors la prudence aurait dû déterminer les Polonais à la retraite. Dembinski et Chlapowski eurent à essuyer deux sorties de la garnison de Wilna. Le mécontentement gagna les insurgés; quelques-uns se présentent chez le général, le somment de marcher sur la ville ou d'abandonner le commandement. Gielgud promit tout; mais, à partir de ce moment, il désespéra de sa cause, et sacrifia le bien général à ses propres ressentiments. Chlapowski refusa d'accepter la direction de l'armée, et, satisfait de voir Gielgud humilié, il préféra le rôle d'un homme de génie qui murmure, et un blâme stérile au devoir d'un chef responsable. C'est dans ces dispositions que l'armée polonaise attaqua Wilna. On assure que Khrapovicki, gouverneur

de la place, avait menacé de tout réduire en cendres au moindre indice d'insurrection parmi les habitants. Tous les efforts de Gielgud se brisèrent contre la position retranchée de Ponary. Après un combat de douze heures, Gielgud se vit contraint d'abandonner l'attaque. Dembinski, trop éloigné pour prendre part à l'action, ne désespéra de rien; et tandis que Chlapowski refusait pour la seconde fois de déroger à la discipline, en acceptant le commandement de l'armée, Gielgud reçut de nouveaux ordres qui lui enjoignaient de se maintenir en Samogitie, En quinze jours, ce malencontreux général se vit coupé de la Baltique et de Polonga. On assure que Gielgud et Chlapowski ouvrirent des correspondances avec les autorités prussiennes. Quoi qu'il en soit, au bout de quelques jours marqués par des combats malheureux, tous les débris de l'invasion lithuanienne se trouvaient enveloppés par des forces supérieures. Dans cette extrémité, Chlapowski proposa le premier de se réfugier sur le territoire prussien. La fureur s'empare des Pofonais; ils courent chez Gielgud, qui leur promet en tremblant de livrer bataille. L'attaque de Szawle par Dembinski rallia un instant l'armée polonaise; mais elle combattit sans ensemble; personne ne recevait d'ordres; Gielgud et Chlapowski se renvoyaient de l'un à l'autre les aides de camp, et la mitraille russe ravageait les bataillons, qui combattaient avec un courage digne de meilleurs chefs. Après un dernier effort, la fortune semblait se déclarer pour les assaillants, lorsqu'ils reçurent tout à coup l'ordre de battre en retraite. Quelques officiers s'élancent vers Gielgud, l'accablent de reproches; mais le général, sans leur répondre, gagne la route de Kurszany, et déserte l'armée étonnée. A la suite d'un conseil de guerre, on décida, ou plutôt on feignit de décider que l'on partagerait les forces polonaises en trois corps: Chlapowski, avec le premier, devait retourner à Varsovie; Rohland, à la tête du second, marcherait sur Polonga; et Dembinski,

qui venait de reprocher énergiquement à Gielgud son impéritie, exécuterait avec le troisième le projet qu'il avait présenté de se jeter en Courlande. «Quoique les projets des trois généraux ne fussent pas un mystère, et que Chlapowski ne se fût même pas donné la peine de les déguiser, l'on se berçait de l'espoir que quelques succès ramèneraient les chefs à des sentiments plus élevés...» (Mieroslawski.) A deux milles de Lukniki, Gielgud se rapprocha de Chlapowski; à quelque distance, quelques chefs d'insurgés vinrent prendre les ordres des deux généraux, qui les renvoyèrent brusquement. Cependant le corps de Rohland, aux prises avec les Russes, sollicitait vivement du secours. Chlapowski se contenta de répondre aux aides de camp que chacun se battait pour son compte. Aussitôt il monta à cheval et se rapprocha de la frontière prussienne. Ce mouvement vers l'est pouvait s'expliquer par le rapprocheinent des Russes. L'amour-propre national se réfugiait dans des doutes honorables, pour n'avoir pas à envisager toutes les conséquences d'une triste vérité. Enfin parut un ordre du jour qui autorisait les officiers à se détacher du corps d'armée pour continuer une guerre de partisans dans l'intérieur de la Lithuanie. Chlapowski s'approcha tout à coup de la frontière prussienne, et informa les autorités royales qu'il demandait à se réfugier sur le territoire neutre pour y déposer les armes. Le corps de Rohland, harcelé sans relâche, se repliait sur Twer; Staniewicz se sépara de Rohland à Kulé, et, rassemblant les débris de ses anciennes bandes, il préféra les dangers du chef de partisan à l'hospitalité prussienne. Cependant le corps de Rohland apprit la défection de Gielgud et de Chlapowski.

«La fureur se réveille dans les cœurs longtemps affaissés sous l'infortune; les plus entreprenants montent à cheval et courent délivrer leurs frères. Arrivés en face de la plaine, où la rage arrache des larmes aux vété rans désarmés, ils s'entendent appeler

par leurs noms, invoquer comme des génies sauveurs. Il n'y a plus de frontière; les rangs des prisonniers et des libérateurs se confondent; ceux que le point d'honneur ne retient pas dans les fers allemands profitent du tumulte pour reprendre leurs armes, sautent le fossé qui sépare les deux empires, et, conduits par quelques officiers et presque tout l'état-major de Gielgud, se jettent au milieu du corps de Rohland. « Les soldats prussiens cherchent en vain à s'opposer à cette fusion; mais Chlapowski et Gielgud interposent leur autorité, ordonnent aux soldats de rester en place, et pendant que les indécis balancent entre la servitude prussienne et une mort de héros, les troupes royales se déploient sur le terrain. Au milieu de cet effroyable chaos, où quelques grandes âmes, en révolte contre les traîtres, les menaces, l'attente et la mort, sacrifient un temps précieux à la délivrance de leurs frères, quelques voix désignent les chefs à leur vengeance. De l'immense colonne qui se meut à deux pas de la frontière se détache, le pistolet au poing, le propre aide de camp de Gielgud, Skalski. Il vole droit au groupe des généraux, arrête son cheval à vingt pas d'eux, ajuste Gielgud, et l'étend par terre en lui jetant une malédiction. Chlapowski s'enfuit et se cache au milieu de ses lanciers; mais se voyant en butte à toutes les imprécations, il demande asile aux autorités prussiennes, qui lui forment un cortége. A l'instant même, l'arrière-garde signale l'approche de l'ennemi. Les officiers du corps de Robland ramassent les pelotons débandés et ordonnent la retraite.

« Le corps, brisé par tant de misères et de déceptions, marcha continuellement poursuivi jusqu'à NowoMiasto: là il fit volte-face, et se battit pendant toute une journée. Arrivée à Dekilcié, la colonne apprend tout à coup que la division Kreutz, détachée de la grande armée, s'avance déjà par la route de Marioupol, et va occuper la ligne du Niémen. Jurborg se trouvait également au pouvoir de l'ennemi. Trois jours auparavant, on aurait pu

trouver une issue de ce côté; alors la chose devenait impraticable; le temps, perdu en perfidies de la part des généraux, en incertitudes de la part des troupes, en temporisation de la part de tous, avait tué l'insurrection. Le corps de Rohland mit le pied sur le territoire prussien, à Packen-Mohnen, au nombre de quatre mille hommes, de deux mille chevaux et de vingt pièces d'artillerie. Chlapowski avait été désarmé avec deux mille hommes et douze cents chevaux. Trois mille insurgés étaient rentrés dans leurs foyers, et trois mille autres parcouraient encore les forêts et les marécages, faisant une guerre d'extermination à l'ennemi. Il ne restait donc sous les armes d'autres troupes réglées que celles de Dembinski: leur nombre excédait à peine quatre mille hommes, et ils n'avaient pour toute artillerie que six pièces de canon. » (Miéroslawski.) Nous ne suivrons pas ce général dans sa retraite périlleuse. Il avait eu l'idee de se jeter en Courlande, mais la hardiesse de ce projet effraya ses compagnons d'armes; alors il résolut de s'ouvrir un passage vers le royaume, en tournant Wilna et Lida, toujours poursuivi par des forces supérieures, évitant les rencontres décisives, et ranimant quelquefois le courage de sa petite troupe par des succès inespérés. Les obstacles que lui opposaient les localités ajoutaient à la difficulté de sa retraite; mais ces mêmes obstacles arrêtaient la poursuite des Russes, dont les mouvements, coordonnés à une marche régulière, étaient plus difficiles à exécuter que ceux d'un chef de partisans, qui n'avait d'autre but que d'échapper au réseau de baïonnettes qui l'environnait. Le 26 juillet, il entra dans la forêt de Bialowies, solitude presque impraticable, traversée par quelques rares sentiers. Un faible renfort que lui avait envoyé Skrzynecki le rencontra à Rudnia le 3 d'août ces deux corps réunis rentrèrent à Praga.

Nous avons cru devoir donner quelques développements à ces épisodes de l'insurrection polonaise, pour mon trer quelles étaient les ressources des

provinces révoltées, et par quel concours de circonstances la lutte concentrée dans les palatinats du centre perdait de son énergie, à mesure que le gouvernement essayait d'agrandir le théâtre où se vidait la querelle de la liberté. Cette marche était conforme au vœu national, qui comprenait instinctivement que la résistance, pour être efficace, devait s'organiser sérieusement dans toutes les provinces de l'ancienne Pologne; mais les chefs, mieux instruits de l'état des choses, prévoyaient que ces expéditions excentriques, loin de pouvoir rétablir l'équilibre entre les parties belligérantes, ne feraient qu'énerver les ressources des palatinats de la Pologne de 1815. Iis eurent un tort, celui de supposer que Nicolas consentirait à traiter avec des rebelles; mais on ne peut leur faire un crime d'avoir compté sur la coopération de l'Occident, à une époque où une saine politique conseillait à la France et à l'Angleterre d'intervenir dans ce grand debat. Ces puissances agissaient alors sous l'influence des nécessités qu'elles s'étaient créées. LouisPhilippe voulait réorganiser fortement la monarchie, avant d'exposer aux chances de la guerre la jeune royauté de 1830; l'Angleterre suivait d'un œil inquiet toutes les démarches de sa rivale émancipée, et se résignait plutôt à voir la Russie rétablir les limites du traité de Vienne, qu'elle n'était disposée à figurer activement dans une lutte à la suite de laquelle la France pouvait redevenir prépondérante. Quant à l'Autriche et à la Prusse, le rôle qu'elles avaient à jouer était dicté par les circonstances elles-mêmes la résurrection de la Pologne devait ruiner tôt ou tard toute l'économie des partages, sans qu'il fût possible de prévoir où s'arrêterait la limite des restitutions. Il y avait donc pour ces puissances toute probabilité d'un morcellement de territoire, et en outre une question de principes qui ne leur permettait guère d'adopter une autre ligne de conduite. On peut ajouter à ces considérations que l'épuisement où la Russie se trouvait à la suite des guerres d'O

rient et des efforts qu'elle faisait en Pologne la mettait pour quelques années hors d'état d'inquiéter l'Allemagne. Reportons maintenant nos regards sur Varsovie, et reprenons le fil des événements à partir de la déroute d'Ostrolenka. Le prince Czartoryski, après avoir reçu les dépêches du généralissime, convoqua les quintumvirs pour délibérer sur les mesures à prendre dans les circonstances présentes. La majorité fut d'avis que le généralissime avait bien mérité de la cause commune, et qu'on ne devait pas le rendre responsable des malheurs publics. Cette générosité dégénéra même en affectation; les représentants allèrent le trouver à Praga, et cherchèrent dans l'histoire ancienne des analogies peu applicables à la situation. Skrzynecki, prévoyant peut-être tous les embarras qui allaient surgir, choisit ce moment pour essayer d'établir une nouvelle forme de gouvernement. Les uns demandaient l'abolition du quintumvirat en faveur de la dictature; les autres pensaient que le gouvernement pouvait suffire aux nécessités du moment; quelques-uns demandaient un roi; les mécontents critiquaient tout; quant à l'armée, peu lui importait la forme du gouvernement, pourvu qu'elle eût un chef pour la conduire à l'ennemi. La question de la réforme était d'autant plus intempestive, qu'elle mettait à nu toutes les exigences des partis, en montrant à la nation que l'unité de volonté et d'action n'était nulle part. Les non-réformistes l'emportèrent à une faible majorité, et le quintumvirat, épuisé par cette dernière secousse, fut néanmoins conservé. Mais l'énergie révolutionnaire, réduite à se replier sur elle-même, n'attendait qu'une occasion favorable pour formuler nettement ses vœux; il était facile de prévoir qu'une fois résumée dans un chef, elle ne tarderait pas à agir. Les forces de la Pologne étaient considérablement réduites; l'élite de l'armée était tombée dans les champs de Wawer, de Grochow et d'Ostrolenka; cependant elle présentait encore un effectif d'environ quarante mille hom

37° Livraison. (RUSSIE.) T. II.

mes sous Varsovie. Les corps expéditionnaires, les garnisons de Praga, Modlin et Zamosc, doublaient à peu près ce nombre. On voit qu'elle était encore en état de faire face à l'ennemi, quoique la démoralisation, l'absence de chefs expérimentés et l'affluence des nouvelles levées fussent autant de chances en faveur des Russes. Heureusement pour les Polonais, Diebitsch ne sut point profiter de ses avantages; la marche de Gielgud en Lithuanie avait absorbé toute son attention. Craignant de compromettre son centre, à l'instant où ses flancs étaient menacés, il détacha des renforts pour couvrir ses ailes, et, au lieu de poursuivre une guerre d'initiative, il se renferma dans les limites d'une guerre de système. Le choléra exerçait de grands ravages dans les rangs moscovites; le feld-maréchal, dévoré de soucis, demanda, dit-on, son rappel, et, pour s'étourdir sur les suites probables d'une disgrâce, il achevait de ruiner sa santé par des excès de table. La mort du feld-maréchal a été diversement interprétée; on a été jusqu'à dire qu'il périt empoisonné par le général Orlof, que l'empereur avait envoyé en mission au quartier général de Pultusk. Cette supposition n'est appuyée sur aucun indice; d'ailleurs l'empereur, pour éloigner un chef dont il était mécontent, n'avait pas besoin de recourir à un moyen infâme; il pouvait purement et simplement le remplacer; mais l'esprit de parti adopte de préférence les interprétations les plus odieuses, et les regarde comme démontrées par cela seul qu'elles sont possibles. Nous croyons donc, avec le grand nombre, que Diebitsch déjà malade succomba, après une orgie, à une attaque de choléra. Le 11 juin, Toll prit provisoirement le commandement de l'armée, et bientôt après Orlof partit pour Minsk, où se trouvait le grand-duc Constantin. Par un jeu bizarre de la fatalité, le prince mourut de la même manière que Diebitsch, et la duchesse de Lowicz le suivit de près. Cette coïncidence de la mort de Constantin avec la visite d'Orlof accrédita

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