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XXIV. Dewlet-Ghéraï II ne fut occupé qu'à faire la guerre aux chrétiens; il leur enleva de riches dépouilles, dont il enrichit ses sujets. On ignore les motifs, si toutefois il en existe, qui portèrent le Grand-Seigneur à le déposer vers l'année 1702. Ce prince

remonta sur le trône.

A cette époque, Sélym reparaît une quatrième fois à la tête des affaires; mais alors il était vieux et accablé d'infirmités aussi les deux années de son nouveau règne sont-elles dépourvues de tout éclat.

:

Sélym, digne contemporain de Louis XIV et d'Abbas-le-Grand, mourut en 1704.

XXV. Ghazy-Ghéraï II, second fils de ce prince, fit jouir ses peuples de tout le bonheur que peuvent procurer la paix et la confiance sous un gouvernement paternel. Il mourut en 1707.

XXVI. Kaplan - Ghéraï, troisième fils de Sélym, ne fut pas heureux dans les guerres qu'il entreprit; et la Porte crut devoir le déposer après un an de règne. Rhodes fut le lieu désigné à

son exil.

Dewlet-Ghéraï II est rappelé. A l'exemple de son frère, il attaque les Moscovites; mais, plus heureux que lui, il les bat en diverses, rencontres, ravage leur territoire, enlève du butin et des prisonniers, et force Pierrele-Grand, qui régnait alors, à venir lui-même défendre ses domaines à la tête d'une puissante armée. De leur côté, les Turcs se joignent aux soldats de Dewlet, et leurs forces réunies vont affronter le czar sur les bords du Pruth. La bataille dura un jour et demi le succès en fut douteux; mais les Russes manquant de vivres, et réduits à l'extrémité, étaient peut-être perdus sans ressource, si Catherine, qui n'était encore que la maîtresse de Pierre Ier, ne se fût dévouée pour eux. Elle tenta de négocier elle-même directement avec les Turcs, et le succès couronna son entreprise. La Russie abandonna la ville d'Azow, et la paix fut signée immédiatement (1711). Ce fut, dit-on, le souvenir de cet événement qui, plusieurs années après,

engagea Pierre-le-Grand à faire couronner sa maîtresse.

La Porte reconnut mal les services éminents que Dewlet lui avait rendus dans cette glorieuse campagne; elle le déposa, en 1713, pour rappeler Kaplan-Ghéraï. Dans cette seconde période de son règne, Kaplan fut investi du commandement d'une armée othomane destinée à agir contre les Polonais. Il entrait sur leur territoire au mois de décembre 1716, lorsqu'il reçut la nouvelle de sa déposition; il fut relégué à Brousse, d'où nous le verrons revenir au pouvoir une troisième fois.

XXVII. Kara-Dewlet, fils d'AdilGhéraï, fut choisi pour le remplacer. Ce prince, âgé alors de 50 ans, n'était nullement agréable aux Tatares, qui refusèrent de le reconnaître pour souverain. Ils envoyèrent même, à cet effet, des ambassadeurs à Constantinople.

XXVIII. Sadet-Ghéraï, troisième du nom, était, disent les écrivains orientaux, un prince lascif et avare. Il fut déposé après sept années de règne (1724-5.)

XXIX. Menghély-Ghéraï II, son successeur, était un bon prince, qui renonça aux conquêtes pour s'occuper des affaires intérieures de son peuple. La Crimée était alors infestée par des bandes de voleurs et d'assassins qui se présentaient audacieusement aux portes mêmes des villes. A ces malfaiteurs se joignaient souvent les mécontents et les rebelles. Menghély prit, à l'égard de ces bandes, des mesu es si vigoureuses, qu'en peu d'annes elles furent détruites et le pays entièrement pacifié. Le sultan Ahmed, satisfait de cette conduite de Menghély, l'appela à Constantinople, où il lui fit faire une entrée triomphale. La faveur du khan était à son apogée lorsqu'une révolution éclata soudainement dans la capitale de l'empire des Othomans. Ahmed, précipité du trône, entraîna son favori dans sa chute.

Kaplan-Ghéraï fut rappelé de nouveau. Ce monarque accomplit l'œuvre commencée par son prédécesseur, en

achevant d'exterminer les voleurs et les rebelles. Il n'eut pas le même succès dans sa campagne de 1736 contre les Russes ceux-ci avaient violé les conditions de leur dernier traité avec les Turcs, et repris notamment la ville d'Azow. Élisabeth, alors czarine, envoya ses troupes en Crimée. L'irruption des Moscovites fut si instantanée que les Tatares, à peine revenus de leur malheureuse expédition, se trouvèrent hors d'état d'opposer une résistance sérieuse; Baghtchi-Séraï fut pris et incendié par les vainqueurs, qui demeurèrent maîtres absolus de la presqu'ile pendant trois mois. Kaplan descendit du trône, la paix fut négociée, et les Russes se retirèrent; mais il fut aisé de prévoir dès lors que la Tauride finirait, tot ou tard, par devenir une de leurs provinces. A partir de cette époque, la politique des czars épia toutes les occasions de fomenter les troubles intérieurs de la péninsule; elle s'attacha surtout à brouiller les khans avec le Grand-Seigneur; elle accueillit, à bras ouverts, les mécontents, les transfuges, les rebelles de toute espèce, et ne cessa de leur fournir des secours, soit ouvertement, soit en sous main, jusqu'au moment où elle put enfin réaliser ses ambitieux projets.

XXX. Sous le règne de FétahGhéraï II (1737-8), les Russes font une nouvelle irruption en Crimée; ils brûlent Kara-sou-Bazar, et emmenent avec eux un grand nombre de prisonniers. Fétah fut déposé l'année même de son avénement au trône.

Menghély-Ghéraï II reparaît sur le trône tous ses efforts se tournent vers les Russes, dont il envahit le territoire, portant de tous côtés le fer et la flamme, sans pitié pour l'âge ni le sexe des habitants. Mais l'hiver, ce formidable auxiliaire de la puissance russe, vint au secours des vaincus, et les Tatares, décimés par le froid, songèrent bientôt à rentrer chez eux, ne s'apercevant pas, dans cette retraite précipitée, que leurs ennemis les suivaient de près. Ceux-ci, en effet, entrerent avec eux sur le sol de la

Crimée; mais vaincus dans une rencontre (1738-9), l'une des plus longues et des plus sanglantes dont fassent mention leurs annales, ils abandonnèrent, pour cette fois, l'éternel objet de leur convoitise. Menghély mourut peu de mois après cet événement.

XXXI. Sélamet-Ghéraï II, prince pacifique et ami des arts, régna quatre années (1739-1743), qu'il employa à relever Baghtchi-Séraï; il y fit construire de nouvelles mosquées, des bains, des fontaines et divers édifices d'utilité publique. Une intrigue de cour amena sa déposition.

XXXII. Sélym-Ghéraï II, fils de Kaplan, appelé à régner, eut d'abord à combattre la rébellion de son lieutenant, qui, battu dans plusieurs affaires, se retira en Pologne. Peu après, Sélym eut occasion de rendre à son seigneur suzerain un service signalé. La disette la plus complète désolait Constantinople: Sélym y envoya spontanément plusieurs navires chargés de blé, sauvant ainsi cette ville d'une perte certaine.

On rapporte de ce prince un trait bizarre qui peint assez bien les mœurs de cette époque dans la Tauride. La Circassie était alors soumise aux khans; mais son vasselage se limitait à un tribut de 300 jeunes esclaves des deux sexes offert à chaque nouveau règne, tribut aussi honteux pour le peuple qui le recevait que pour celui qui le présentait. Sélym résolut de se faire payer 700 esclaves au lieu de 300; aussi, lorsque les députés teherkesses vinrent, à son avénement au trône, lui offrir leurs hommages, il les reçut avec une extrême bienveillance, les traita splendidement, et ne les renvoya pas sans leur avoir fait agréer quelques légers présents, que ces mon. tagnards recurent avec une grande joie. Mais, l'année suivante, Sélym feignant d'avoir à débattre, dans son conseil, une question d'une haute importance, convoqua les nobles tcherkesses; et ceux-ci, se souvenant de ses bons procédés, accoururent en foule à sa cour. Sélym, jetant alors le mas

que, les retint prisonniers, et ne les relâcha qu'après avoir reçu les 700 esclaves qu'il désirait. Cette insigne mauvaise foi servit, plus tard, de prétexte à la Porte pour le déposer.

XXXIII. Arslan, fils de DewletGhéraï, fut tiré de l'exil pour monter sur le trône en 1748. La Crimée compte peu d'aussi bons souverains. Son gouvernement peut être cité comme un modèle de sagesse et de fermeté. Au dehors il repoussa les ennemis, au dedans il contint les factieux; il aida le sultan, son seigneur suzerain, de ses trésors et de ses soldats; mais ayant voulu y joindre quelques salutaires avis sur la conduite de la Porte à l'égard de ses amis et de ses ennemis, cette liberté fut prise en mauvaise part, et sa déposition ne se fit pas long-temps attendre ( 12 août 1755).

XXXIV. Alym-Ghéraï, cousin et lieutenant du précédent, fut appelé à lui succéder. Son passage au pouvoir est signalé par une révolte des Nogaïs. Ces Tatares belliqueux et nomades étaient ordinairement commandés par un prince de la maison de Ghéraï, élu par eux et confirmé par le khan. Les rébellions n'étaient pas rares parmi eux; mais, cette fois, leur levée de boucliers avait un caractère plus sérieux, puisqu'elle avait lieu à l'instigation de leur général, CrymGhéraï, ambitieux qui convoitait le trône.

XXXV. Alym ayant été déposé le 21 octobre 1758, la Porte rappela, pour lui succéder, Arslan, qui languissait dans l'exil à Chios; mais, dans l'intervalle qui s'écoula entre son rappel et son arrivée aux Dardanelles, les Tatares élurent Crym - Ghéraï. Arslan partit aussitôt pour la Romélie. Crym était un politique habile, un brave guerrier, un bon tacticien; il avait, dit le baron de Tott, des connaissances en géographie, en astronomie, en musique et en chimie. Doué de toutes les qualités qui peuvent faire aimer un souverain, il ne sut que se faire haïr; mais les circonstances, il faut en convenir, eurent une fâcheuse influence sur les relations de ce prince

avec ses sujets. Son règne fut trouble par deux grands fléaux qui fondirent presque simultanément sur ses états, les Cosaques et la peste. Enfin, après six années de guerres, de travaux, de désastres de toute nature, il fut déposé (6 octobre 1764). Le motif allégué en cette circonstance fut qu'il s'était allié aux Prussiens sans l'aveu de la Porte.

XXXVI. La politique d'Azymet Ghéraï, son successeur, le rapprocha des Russes, qui étaient devenus alors trop redoutables pour ne pas être ménagés. Il fut déposé au mois de mars 1767. Arslan, rappelé pour la troisième fois, mourut peu de mois après.

XXXVII. Maksoud-Ghéraï ne connut que les dégoûts de la royauté. Trois puissances qu'il lui fallait épargner, la Russie, la Pologne et la Turquie, avaient alors entre elles de vives discussions. Enfin, en 1768, la Porte ayant définitivement déclaré la guerre à la Russie, le Grand-Seigneur sacrifia Maksoud à la politique; il le déposa pour rappeler Crym-Ghéraï, qui reçut en même temps le commandement d'une armée formidable, composée de cent vingt mille Turcs et de cinquante mille Tatares. Crym ne justifia pas l'espoir que la Porte avait mis en lui; il fut battu complétement. Au mois de février 1770, ce monarque fut empoisonné par un médecin grec.

XXXVIII. Sélym-Ghéraï III eut un règne aussi court que malheureux. Il n'arriva au trône que pour voir les Russes s'emparer de la presque totalité de la Crimée. Il fut déposé l'année même de son avénement au trône, et courut chercher un refuge sur le territoire de ses ennemis. Ceux-ci, ne jugeant pas que le moment fût venu de réaliser leurs desseins ambitieux voulurent cependant faire un pas de plus vers la domination de cette contrée en s'arrogeant la prérogative d'y nommer les khans. On vit, en conséquence, pour la première fois (1771),, la Russie, usant de son droit de conquête, appeler au trône de Crimée un prince de la famille Ghéraï; elle jeta les yeux, à cet effet, sur le jeune

Saheb, après s'être assurée prudemment de l'assentiment des Tatares.

XXXIX. Cette élection ne pouvait manquer d'être contestée par la Turquie. Cette puissance refusa l'investiture à Saheb. Backty, fils de Crym, et Maksoud, l'avant-dernier khan, briguèrent alors le trône vacant. Chacun d'eux avait des droits à faire valoir, des intrigues à mettre en jeu, des partisans à pousser en avant. Maksoud l'emporta sur son compétiteur; mais les Russes, maîtres de la majeure partie de la Crimée et de toute l'île de Taman, influencèrent si bien les Tatares, que ceux-ci refusèrent même de le recevoir. Ils confirmèrent l'élection de Sahed, lui donnant pour lieutenant (kalgah) son frère Chahyn. C'est ce dernier qui aura la triste célébrité d'être le dernier khan, et qui livra son pays à la Russie.

La Porte ne se contentait pas du droit d'investiture que lui concédait sa rivale; elle voulait conserver celui de nomination, et, s'obstinant à repousser le protégé des Russes, elle nomma un nouveau khan, Dewlet - Ghéraï. Mais les événements de la guerre déconcertèrent son opiniâtreté. Un traité de paix fut signé à Kulcuik-Kénardjy, au mois d'août 1774. Par ce traité, la Porte cède à la Russie Kertch, Jenikalé et Kilbornou; elle lui abandonne le droit de naviguer dans toutes les eaux de la domination othomane; accorde aux Tatares leur indépendance nationale et la liberté de se choisir un khan parmi les descendants de Tchinghis, le Grand-Seigneur se réservant toutefois la suprématie spirituelle et le droit d'investiture; enfin, elle consent à reconnaître l'élection de Saheb. Lorsqu'elle envoya à ce prince les attributs de l'investiture, elle en excepta le sabre, ce qui indiquait, dans le langage symbolique de l'Orient, une réserve, une sorte de protestation contre l'indépendance absolue du nouveau khan.

Au commencement de l'année 1775, une révolution subite éclate dans Baghtchi-Séraï; Saheb s'enfuit précipitamment et se jette dans les bras de la Turquie. Le Grand-Seigneur lui

assigne une pension de trois mille piastres, et l'envoie résider à Rodosto, dans la Romélie.

XL. Dewlet-Ghéraï III fut nommé en remplacement de Saheb; mais l'ambitieux Chahyn, frère et lieutenant de ce dernier, soulève les Nogais du Kouban et s'avance à la tête d'une armée de quarante mille Tatares, Nogaïs et Circassiens, dans l'intention de revendiquer le trône pour son propre compte. Dewlet rassemble ses forces, passe dans l'île Taman et vient présenter la bataille à ce rebelle. Ici, il est curieux d'observer l'attitude de la Porte et celle de la Russie: ces deux puissances, alors ennemies irréconciliables, désiraient également un prétexte pour violer le traité de Kénardjy, mais, par un reste de pudeur politique, aucune ne voulait prendre l'initiative. La Russie, en conséquence, fit passer, en sous main, des secours de toute nature à Chahyn, tandis que la Turquie en faisait autant à l'égard de Dewlet. Ce dernier venait d'être abandonné par les myrza, ou nobles, qui s'étaient déclarés ouvertement en faveur de son rival. La victoire seule pouvait le tirer de ce mauvais pas, mais le sort des armes lui fut contraire. Vaincu au mois de novembre 1776, dans une affaire générale, il rentra précipitamment dans ses états, suivi des débris de son armée. Les Russes, à cette nouvelle jugèrent inutile de dissimuler plus long-temps, et, se déclarant ouvertement les protecteurs de Chahyn, ils s'emparent de Pérécop et envahissent de nouveau la péninsule. De son côté, Chahyn passe le détroit, marche sur Caffa, d'où il se dirige sur BaghtchiSéraï. En vain Dewlet veut lutter contre cette double invasion; l'orage l'enveloppe de tous côtés, et le force bientôt à céder. Il se retire alors à Constantinople, abandonnant à son rival ce trône chancelant, qui ne subsiste plus que sous le bon plaisir des Russes (11 mai 1777).

XLI. Chabyn, dernier khan. A peine installé, ce prince entra dans la voie périlleuse des réformes, et tenta

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de civiliser son peuple. Il soumit les troupes à une nouvelle organisation, leur assigna une solde régulière, leur donna des myrza (nobles) pour officiers; il organisa un corps d'artillerie, et songea même à établir une manufacture d'armes; il diminua les redevances que les myrza percevaient sur les cultivateurs, et prit d'autres mesures portant également l'empreinte de la sagesse et du génie; mais, malheureusement, il s'adressait à un peuple que sa religion et ses habitudes rendaient ennemi de toute innovation. Au mécontentement des Tatares, premier obstacle que rencontra Chahyn, se joignit bientôt le manque d'argent. Il n'y avait plus moyen d'en emprunter à la Turquie; la Russie n'offrait que des soldats, et la Crimée était épuisée. Chahyn fit battre monnaie à un titre dont la gravité des circonstances pouvait seule excuser l'imposture, mais cette ressource précaire ne put le tirer d'embarras. La Porte intriguait sourdement pour exciter les Tatares à la révolte, et ceux-ci ne tardèrent pas à répondre à son appel. Chahyn ne put que se jeter entièrement dans les bras de la Russie. Cette puissance, heureuse de trouver sitôt une occasion qu'elle n'avait pas osé espérer encore, fit entrer des troupes en Crimée, sous prétexte de secourir le khan. La Turquie, à cette nouvelle, s'écria qu'il y avait violation des trai tés, et elle envoya dans la péninsule un corps d'armée qui se cantonna aux environs de Guslevé, petit bourg tatare, situé non loin de l'antique Cherson. On en vint bientôt aux mains; les Russes éprouvèrent d'abord quel ques échecs; Chahyn reçut deux graves blessures et fut forcé de se retirer au quartier-général de ses protecteurs, tandis qu'un nommé Sélym, son compétiteur, s'avançait vers Achmetched. Les Russes prirent bientôt leur revanche huit mille d'entre eux, sous, le commandement de Chahyn, battirent complétement l'armée turcotatare et contraignirent Sélym à s'embarquer en toute hâte. Chahyn n'était plus, à cette époque, qu'un fantôme

de souverain; la Russie gouvernait de fait dans les plaines de la Tauride, comme dans celles de Kazan. La politique de cette puissance lui suggéra, vers ce temps-là, une mesure atroce, qu'elle a quelquefois renouvelée depuis, mue par le désir de peupler les solitudes de ses vastes possessions. Les Nogais venaient d'abandonner un canton dans le voisinage d'Azow; les Russes y transportèrent de force les familles grecques et arméniennes qui, depuis plusieurs années, s'étaient etablies en Crimée. Le nombre des émigrés s'éleva, dit un grave historien anglais, à 75,000 individus de tout âge et de tout sexe. Tous ces malheu reux périrent de froid, de faim et de nostalgie (*). La Crimée, qui jadis avait pu mettre sur pied des armées de quarante mille combattants, ne possédait plus qu'une population de cinquante mille ames; mais on y transporta plusieurs familles russes en remplacement des émigrés d'Azow. Les revenus du khan peuvent être évalués, pour cette époque, à environ trois millions de francs.

Enfin, le cabinet de Versailles intervint entre les parties belligérantes, et grace à son intervention, une nouvelle paix fut signée à Aïnahly-Gavack, près Constantinople, le 21 mai 1779. Les Russes s'engagèrent à évacuer la Crimée et abandonnèrent au Grand-Seigneur le droit illusoire d'investiture et de suzeraineté spirituelle sur les khans de Crimée.

Un an s'était à peine écoulé depuis les ratifications de ce dernier traité, que les Turcs cherchèrent de nouveau à soulever les Nogais, et trouvèrent de puissants auxiliaires dans la famille même du khan, dont les deux frères, Béhader-Ghéraï et Arslan-Backty, se mirent à la tête des révoltés. Cette levée de boucliers fut comprimée, il est vrai, mais elle le fut par l'intervention des baïonnettes russes. Alors, le malheureux Chahyn, triste jouet de la politique et du fanatisme, abreuvé de dégoûts de toute nature, n'ayant

(*) Eton's survey of the turkish empire.

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