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Toutes les femmes présentes eurent à se louer du jeune Holder. Il fit victorieusement sa cour à la comtesse de Fierbois, et si Mme de Narcey ne subit pas le même charme, c'est que ses préventions, grossies par le sentiment d'un vague péril, furent les plus fortes. Elle répéta deux fois assez haut tandis qu'après avoir dégelé Me Decroisilles elle-même en lui parlant de ses enfans, le jeune homme reportait ses attentions avec beaucoup de grâce sur Mile Desprez dont personne ne s'occupait jamais :

— Où veut-il en venir? Il semble vraiment résolu à se concilier tous les gens de la maison.

A l'amie de Colette, il avait dit de celle-ci des choses faites pour la toucher et surtout pour atteindre les oreilles auxquelles en réalité elles étaient destinées, car tout ce petit travail préparatoire ne tendait qu'à un but: se rapprocher de Colette.

Quel couple exquis ils formaient tous les deux, maintenant assis l'un auprès de l'autre ! Objets de luxe par excellence, inutiles s'il en fut, mais à ce luxe, à cette inutilité-là, Françoise pardonnait. Ce qu'il y avait en elle de poésie latente la conduisait vers ces inconséquences et vers ces compromis que connaissent tous les gens à principes. Ennemie des royautés établies, elle trouvait bon cependant qu'il existât quelques princes et quelques princesses de contes bleus, doués par les fées dès leur berceau, ignorans de l'amertume et des colères qui viennent aux misérables, inconsciemment bons, sans recherche et sans effort, donnant l'impression à ceux qui les regardent d'une œuvre d'art achevée, d'une fleur rare, d'une manifestation de beauté. A d'autres la grandeur, l'angoisse de la lutte. Le lot de ceux-là était différent et elle n'y voyait pas d'injustice. Pourquoi?... Elle n'aurait su le dire. Il lui sembla, dès le premier soir, qu'elle serait contente si ces deux êtres selon son cœur pouvaient un jour s'appartenir, malgré l'obstacle absurde dont avait parlé Colette. L'argent! A tous les degrés de la société il créait donc des sujets de division, il faisait donc des victimes? Mais on ne pouvait être cupide avec cette figure de Prince Charmant. Ils s'aimeraient, ils s'aimaient déjà peut-être, et elle serait en ce cas le témoin satisfait de leur bonheur.

C'était par de pareilles rêveries que Françoise affirmait jusqu'à nouvel ordre sa vocation supposée de romancier.

Max se retira d'assez bonne heure, après avoir dit d'un air d'étourderie et de gaîté lorsque les d'Angenne lui demandèrent

s'il comptait prolonger son séjour à Évian: — J'y resterai tant que vous le voudrez bien.

Un baiser déposé sur la main de la baronne excusa ce que le mot avait d'ambigu et de menaçant.

-- Ces parvenus se croient tout permis, dit Mm de Narcey à Mme de Fierbois, qui répondit vertement :

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Ma foi, presque tout est permis, je trouve, à celui-ci. Il a ce qu'il faut pour oser!

Et là-dessus on se mit à parler, comme on le fait trop souvent dans les salons, du visiteur qui venait de sortir.

René de Narcey rappela que le grand-père de Max passait pour avoir fait de la contrebande dans les Vosges, sur la frontière, et qu'Anselme Holder avait commencé son étourdissante fortune par le métier de colporteur.

- Ces choses-là arrivent très souvent en Amérique, interrompit Mm de Fierbois. On appelle l'homme qui débute ainsi un self made man et il ne compte pas parmi les moins estimés. Voyez Armour, Rockefeller...

Elle se garda de nommer son propre père, préférant après tout qu'on le crût un homme de famille, quoiqu'elle défendît si haut les fils de leurs œuvres.

Personne n'avait connu la mère de Max, mais Mme de Narcey la disait juive.

Ah! voilà donc l'explication de ces yeux de velours! Mme de Narcey accorda que le type juif est souvent très beau dans la première jeunesse.

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Et cette souplesse, ce désir de plaire, cette politesse quelquefois excessive, ne trouvez-vous pas ?... signe de race aussi ! Colette ne put s'empêcher de prendre la parole avec vivacité et de dire que les manières de M. Holder lui semblaient excellentes.

Sur quoi, sa mère lui jeta un regard sévère, mais il n'y eut pas de contradiction.

Mm* Descroisilles décerna un éloge timide à l'affection admirative que le jeune homme paraissait avoir pour son père dont il parlait comme d'une sorte de génie bienfaisant, ce qui provoqua des rires étouffés.

-Le génie de la spéculation est-il si bienfaisant que cela? On ne compte pas les victimes qu'a faites cet oiseau de proic. Mais Mm de Fierbois interrompit un chuchotement où

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avaient percé les mots de syndicats, de presse subventionnée. Eh bien, après! Il n'y a pas de guerre sans morts ni blessés, et les affaires, c'est la guerre après tout. La concurrence est-elle autre chose? Vous êtes étonnans en France, avec vos scrupules. Voyez donc nos trusts!

- Et puis on dit tant de choses, la calomnie est si facile ! insinua M. d'Angenne conciliant.

- Notez que les affaires aujourd'hui ne seraient plus possibles si l'on n'acceptait comme légitimes de certains moyens d'action incriminés peut-être jadis, ajouta M. de Breuves. Tout ce que je puis vous dire c'est qu'on rencontre chez mon ami Holder la meilleure compagnie.

M. de Breuves était le boute-en-train habituel des fameux diners hebdomadaires donnés dans un très bel hôtel du parc Monceau par celui que, sans autre raison, il appelait son ami. — Mais, dame, il y a des envieux qui ne lui pardonnent pas de s'être élevé si vite et si haut...

- Et ils le lapident tout en profitant, en abusant peut-être de son hospitalité, ajouta assez âprement Odile.

Le

coup porta, car René de Narcey allait volontiers chasser chez les Holder, tantôt aux environs de Paris et tantôt en Écosse.

TH. BENTZON.

(La dernière partie au prochain numéro.)

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Le tsar et le roi de Prusse se rendirent à Dresde le 24 avril. Ils y virent arriver lord Cathcart et sir Charles Stewart, munis de pouvoirs pour traiter. L'Angleterre déclinait l'intervention de l'Autriche, mais, ce faisant, elle poussait l'Autriche dans la coalition, car l'Autriche ne pouvait prouver autrement la sincérité de ses intentions ni autrement obtenir les subsides indispensables pour agir avec efficacité. Elle se trouvait ainsi portée à précipiter, plus que Metternich ne l'aurait désiré, ses accords secrets avec la Prusse et avec la Russie, lorsque l'entrée en scène de Napoléon vint rendre à l'intervention, sinon un sérieux qu'elle n'eut jamais, au moins une consistance apparente et quelques raisons d'être, de forme et d'expédient. Arrivé à Erfurt le 28 avril, il battit, le 2 mai, à Lutzen, en Saxe, les Prussiens et les Russes. Les souverains alliés quittèrent Dresde, en hâte. Ils ne voyaient plus de salut que dans l'alliance de l'Autriche. « Qu'elle agisse, et immédiatement, et l'Europe est sauvée! » écrivait Knesebeck, le 3 mai.

Metternich ne prenait point les choses au tragique. Cette ba(1) Voyez la Revue du 1" juillet.

taille rentrait dans ses calculs : elle lui rendait une médiation possible et, par suite, le délai dont il avait besoin, le moyen de trainer Napoléon, de le tenir en suspens. Ce qu'il apprenait des récriminations des alliés, Prussiens contre Russes, n'était pas pour le contrarier. L'Autriche prendrait, dès son entrée en scène, la direction de la politique et de la guerre. Si Napoléon avait écrasé les alliés, il serait redevenu maître du monde; s'il avait été mis en déroute, la suprématie passait à Alexandre; l'Autriche n'aurait plus été qu'une chancellerie à la suite et un corps auxiliaire dans la coalition. Ce fut une passe singulièrement périlleuse et difficile pour Metternich: l'empereur François, vacillant et entêté; le public, emporté tour à tour et cffaré, ne comprenant pas, condamnant les retards à déclarer la guerre. Metternich se montra supérieur par sa maîtrise de soi-même, sa constance, sa dextérité, sa souplesse dans les défilés. « Il ne vacille pas dans l'exécution de son plan, » écrit, le 12 mai, le comte Hardenberg. Cet homme du monde, ce dandy politique, à la main blanche et nerveuse, déploya le sang-froid, le coup d'œil et l'énergie d'un vieux pilote. «Il s'agissait, a-t-il écrit, d'empêcher Napoléon de suivre sa tactique habituelle, c'est-à-dire de sc tourner vers la Bohême, afin de frapper contre nous un grand coup dont les suites auraient été incalculables pour l'Autriche. » Vers le mois de juin, l'armée de Bohême devait être prête : en attendant, il se mettrait d'accord « avec les autres puissances sur la question de la médiation, et, jusqu'à cette époque, il voulait encore dissimuler avec Napoléon. » Il prévoit la guerre entre l'Autriche et la France doit éclater par le refus que Bonaparte donnera, sans aucun doute, aux propositions que la Russie, la Prusse et l'Autriche lui feront conjointement (1). Le fin de l'affaire consistait à lui proposer des conditions qu'on serait sûr de lui voir refuser; le choix n'était pas malaisé connaissant ses vues et les nécessités de sa politique. On jouerait, à coup sûr, avec lui, cette artificieuse partie. Napoléon ne pouvait pas reculer sans perdre son prestige, s'avouer vaincu sans s'exposer à de nouvelles exigences des alliés. Metternich savait que les meneurs de l'opinion à Paris, les confidens, émissaires et « affidés » de Talleyrand, se feraient une arme contre Napoléon du refus qu'il opposerait à des conditions que, dans

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(1) Rapport de Hardenberg, de Vienne, 9 mai 1813, conversation avec Metternich.

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