Page images
PDF
EPUB

qu'un vain formalisme, au lieu d'y reconnaître une admirable et maternelle indulgence? Le prudent Oratorien se tut donc. Il laissa partir son visiteur, et il tomba dans une méditation si profonde qu'il fallut, pour l'en tirer, le double coup de sonnette de celle qu'i attendait cependant, sur l'avenir de laquelle il réfléchissait avec l'absorption d'un théologien préoccupé du plus délicat, du plus douloureux des cas de conscience..

- Vous l'avez trouvé chez lui?... demanda-t-elle, aussitôt entrée, avec une impatience de savoir, qui se transforma en une véritable détresse, quand M. Euvrard lui eut dit :

- I sort d'ici. Il y a un quart d'heure vous l'auriez rencontré.

- Et sa réponse?

- Il refuse.

Mon Dieu! gémit-elle en joignant les mains, ayez pitié de moi!... Et il veut toujours sa fille?

- Il la veut. Je lui ai parlé, comme nous en étions convenus, de vous la laisser jusqu'à sa première communion. Il refuse aussi. Il m'a chargé de vous transmettre ses conditions, car il en pose à votre retour. Il veut que vous reconnaissiez la validité absolue de votre union actuelle, et que vous promettiez solennellement de ne plus jamais lui parler d'un mariage religieux.

- Je ne commettrai pas cette lâcheté, mon Père, s'écria Gabrielle, je ne ferai pas cette promesse. J'aime mieux ne pas rentrer... Je me sauverai... J'irai à l'étranger avec ma fille. sous un faux nom... Tout plutôt que de renier ma foi et d'offenser encore ce Dieu qui m'a tant punie!... Ah! j'ai péché, mais que sa main est dure!...

- Elle s'adoucira, et bientôt... dit le prêtre. Ayez confiance. Je ne vous ai rapporté ce message de M. Darras que pour vous prouver combien j'ai eu raison de redouter les conséquences de votre départ irréfléchi. Je ne vous ai pas tout dit encore. Nous avons parlé de votre fille, deux fois. La seconde, j'ai pu sans effort amener M. Darras à renouveler sa promesse qu'il respecterait son éducation religieuse, si les choses demeuraient en état. - ce sont ses propres termes, c'est-à-dire si vous rentriez.

-

- Oui, dit-elle, il croit me tenir par là, et il a trop raison. C'est un horrible calcul, et dont je ne l'aurais jamais cru capable...

- Ne le jugez pas ainsi, répondit le Père Euvrard. Il ne le

TOME XXII.

1904.

4

mérite pas. Je l'ai bien écouté, bien regardé. C'est un homme d'une absolue bonne foi. Il veut que vous rentriez auprès de lui parce qu'il vous aime et qu'il vous croit sa femme très légitimement. I respectera l'éducation religieuse de votre fille parce qu'il l'a promis. Il fera cela, sans aucun calcul, je vous l'affirme, par devoir. Pour ce qui regarde l'Église, il est dans cet état que nous appelons l'ignorance invincible, et d'autant plus profondément qu'il est plus savant, de cette science sans lumière qui est une des grandes faiblesses de ce siècle. Il vit, par rapport à la religion, dans des préjugés qu'il prend pour des idées scientifiques qu'il n'a jamais vérifiées. Les vérifiera-t-il jamais ?... Je l'espère. Il faut, pour cela, qu'il voie auprès de lui des vertus chrétiennes... Il les aurait vues, et vous auriez obtenu tout ce qu'il vous dénie aujourd'hui, si vous aviez refusé de l'épouser il y a douze ans. Vous aimant comme il vous aimait, qu'aurait-il pensé en constatant que vous demeuriez fidèle à votre mari, même dans l'outrage et l'abandon; que pour vous, le sacrement était vraiment la chose sacrée à laquelle rien ne peut toucher, en vous regardant déployer toutes les vertus que vous avez, dans le renoncement et la foi? Il aurait compris ce que vous avez compris devant la piété de votre enfant, qu'une force était là, surnaturelle... Mais la faute commise est commise. Vous en reconnaissez l'enseignement et vous ne pouvez pas le lui montrer. C'est votre suprême épreuve. Je vous disais l'autre jour que l'on ne sort pas si aisément de certains chemins. Le divorce est un de ces chemins. Vous en êtes la prisonnière, même à présent qu'il vous fait horreur et que vous en avez démêlé les funestes conséquences en vous et autour de vous, dans votre fils, dans ses rapports avec son beau-père, dans la triste union qu'il va contracter, dans vos rapports, à vous, avec lui et avec M. Darras... Ce refus d'un mariage religieux, c'est la dernière de ces conséquences... Mais comment y échapper?... continua-t-il après s'être accoudé à sa table, le front dans sa main dans une attitude de réflexion profonde. Oui. Comment y échapper?... La règle est absolue : vous n'êtes pas mariée avec cet homme... D'autre part, il y a le salut de l'âme de votre fille, et, par cette âme de votre fille, peut-être le salut du père... Si vous ne rentrez pas, plus d'éducation religieuse pour l'enfant, le père de plus en plus irrité contre l'Église. Vous-même, si vous rentrez?... Ah! la prison! la prison! La

[ocr errors]

voilà... Puis, après une nouvelle pause dont la longueur parut interminable à la pauvre femme qui se taisait, elle aussi, accablée et regardant son sort se débattre dans cette conscience d'un grand savant doublé d'un saint: - Vous pouvez essayer de rentrer, finit-il par dire, avec votre fille, dès aujourd'hui. A aucun prix vous ne devez consentir au reniement que M. Darras a indiqué comme condition de ce retour, à aucun prix... Il Vous verra. Vous lui direz: « Me voici, je ramène l'enfant, je reviens; mais je ne peux pas renier ma foi. Si vous l'exigez, il faut que je reparte... » S'il l'exige, il faudra repartir... S'il ne l'exige plus, si son émotion de vous retrouver est plus forte que son orgueil, s'il recule sur ce point, alors, vous serez en droit d'espérer qu'il reculera sur l'autre un jour... Je vous ai dit qu'il était de bonne foi. Le principe de son changement possible, le voici il comprendra trois choses: la première, dont il commence à se rendre compte, en s'en désespérant, c'est que votre foi est bien vraie, bien profonde, bien sincère; la seconde, c'est que vous faites à l'éducation religieuse de votre fille le plus grand des sacrifices, et que le lien entre vous, maintenant, est là, uniquement là; - enfin la troisième, qu'il n'y aura plus de bonheur entre vous, tant que vous porterez sur votre cœur, ce poids de remords... Du jour où il aura compris ces trois choses, un travail s'ébauchera dans son esprit. Et moi, ajouta-t-il en montrant son crucifix : je prierai pour que Dieu fasse le reste!

[ocr errors]

Quelques heures plus tard, quand Albert Darras, rentrant de son bureau du Grand-Comptoir, où il avait passé toute cette après-midi encore à se dévorer d'inquiétude, arriva devant sa maison, il crut voir, avec quel battement éperdu de son cœur! - le rideau remuer derrière la fenêtre du petit salon, au premier étage, et une silhouette, de lui trop connue, épier son retour. C'était Gabrielle qui l'attendait, dans un tel état d'agitation que, s'étant levée pour aller au-devant de lui, quand elle entendit son pas, elle retomba sur son fauteuil. Lorsqu'il la vit ainsi, toute påle, les yeux lassés, les joues creusées, avec deux places blanchissantes aux tempes, où, quinze jours plus tôt, ses cheveux étaient encore dorés, une infinie pitié lui noya toute l'âme. Elle balbutiait:

M. Euvrard m'a dit tes conditions...

- Mes conditions?... interrompit-il. Il n'y a plus de conditions. Il n'y a plus que toi, toi qui es là, toi que j'aime, toi que je retrouve, et que je ne laisserai plus jamais partir.

Et il s'était mis à ses genoux, et il lui prenait ses pauvres mains enfiévrées qu'il baisait en sanglotant. Elle le regardait avec une mélancolie infinie où luisait cependant un peu d'espoir. L'expérience que le vieux prêtre lui avait indiquée, sans oser la lui conseiller, avait réussi. Sa douleur venait d'avoir raison de l'orgueil d'Albert, sur un premier point. La suite du travail annoncé comme possible par l'Oratorien s'accomplirait - elle? Gabrielle voulut l'espérer, et elle dit au père «< Monte embrasser ta fille, mon ami, » mettant ainsi entre eux deux, et tout de suite, l'enfant à cause de qui elle était revenue, et dont la piété défendue par elle, - à quel prix ! — lui obtiendrait peut-être en retour, plus tard, ce vrai mariage qu'elle souhaitait si passionnément. Mais quand ?... Et se sentant la prisonnière du divorce, la - comme avait dit si profondément le prêtre, mère de Lucien et de Jeanne maudit une fois de plus cette loi criminelle, à la tentation de laquelle sa faiblesse de femme avait succombé, loi meurtrière de la vie familiale et de la vie religieuse, loi d'anarchie et de désordre, qui, promettant la liberté et le bonheur, n'apporte que la servitude et la misère !

PAUL BOURGet.

[ocr errors]

LES ALLIÉS ET LA PAIX

EN 1813

I

LE TRAITÉ DE KALISCH

Il n'y a pas dans l'histoire de l'Empire de point sur lequel on ait plus disputé que les négociations de 1813. L'histoire coutumière, celle qui n'est prouvée nulle part et que tout le monde professe, veut que Napoléon ait refusé par deux fois la paix, la première, à Prague, dans des conditions très belles: la ligne du Rhin, la Hollande, la Belgique, la Westphalie, le Piémont, la Lombardie, la Toscane, Rome, ce qui semble impardonnable; et l'autre, dans des conditions belles encore, à Francfort: les limites naturelles, le Rhin de Bâle à la Hollande, les Alpes et les Pyrénées, ce que l'on déplore, à juste titre. Il aurait, par ambition pure, par orgueil de jouer le Charlemagne et, comme on dit maintenant, par hypertrophie d'impérialisme, méconnu les intentions des alliés et les «< admirables conseils » du plus sage des conseillers et du plus clairvoyant des amis, Metternich. Lorsque l'on met d'un côté, dans la balance la magnanimité d'Alexandre, les principes et la loyauté de François II, la sincérité de Metternich, les vertus du roi de Prusse, dignes de ses malheurs, la modération des Anglais, empressés de revenir à la paix d'Amiens, rompue, malgré leurs vœux, qu'on y ajoute le désir, très naturel d'un bon Français de voir son pays pacifié dans les magnifiques conquêtes de 1795 et de 1801, enfin cette superstition des détracteurs même les plus acharnés de Napoléon que tout lui a tou

« PreviousContinue »