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faits à vérifier ne sont que des délits qui n'entraînent pas des peines afflictives ou infamantes, soit parce qu'on aura créé, pour beaucoup de crimes, des tribunaux d'exception.

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. En effet, on a besoin d'altérer tous les élémens tous les ressorts de l'ordre judiciaire quand on a résolu de réduire à des mots vides de sens les garanties qu'on a proclamées. Avant de tourner contre elles le ministère des juges ordinaires institués pour les défendre, on commence volontiers par créer des tribunaux révolutionnaires, des cours spéciales permanentes, extraordinaires ou autres, des conseils de guerre, des commissions militaires. Presque tous ces noms-là du moins avertissent assez de ce qu'il faut attendre; chacun sait de reste que ce n'est point à protéger l'innocence ni à raffer mir des garanties qu'on emploie une telle justice. Les gouvernans se hâtent de s'en servir pour se débarrasser de leurs ennemis ou de ceux qu'il leur a plu de déclarer tels; et, lorsque le cours des vengeances est devenu si rapide, le nombre des victimes si exorbitant, l'iniquité si palpable et si révoltante, qu'ils en sont effrayés eux-mêmes, ils se déterminent, non sans regret, à briser quelques-uns de ces instrumens de proscription, et à les remplacer

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par des cours, tribunaux ou conseils dont l'ap→ parence soit plus régulière. L'une des idées dont ils s'avisent quelquefois, est de donner des attributions judiciaires à un conseil d'état que la loi fondamentale ne reconnaît point, qui bien exister dans une monarchie absolue, mais qui n'a point de place dans un véritable système représentatif, parce que, n'étant ni responsable ni indépendant, remplissant à la fois et confondant des fonctions de toute espèce législatives, ministérielles, administratives, et enfin judiciaires, il est réellement indéfinissable, et incompatible par sa nature avec une constitution proprement dite, comme il l'est, par la dépense inutile qu'il entraîne et qu'il provoque, avec toute sage économie. Quand ce conseil est employé comme tribunal, c'est le gouvernement qui juge, et le plus souvent dans sa propre cause. Cependant, comme il est difficile de ne pas limiter cette juridiction aulique à certains genres d'affaires, les gouvernans ne croiraient pas juger assez s'ils ne disposaient des tribunaux ordinaires ou constitutionnels; et, pour que ceux-ci ne se montrent pas indociles en se prévalant de leur inamovibilité, on s'applique à la rendre illusoire, comme tout le reste. La nomination des juges ne sera done

que provisoire tant qu'ils ne seront pas institués, et on ne les instituera qu'après avoir pris, pour les diriger, les éprouver, les épurer, un délai de plusieurs années. Avant l'expiration de ce délai, on fera, dans l'organisation judiciaire, quelque changement d'ailleurs superflu ou nuisible, mais qui annulera les nominations précédemment faites, en autorisera de nouvelles, et reculera de plus en plus l'institution fatale. Après même qu'elle sera consommée, une réorganisation restera toujours possible, toujours annoncée, toujours l'objet des craintes et des espérances de chaque juge, toujours le motif de sa docilité et de sa complaisance. Il n'oubliera jamais qu'il peut, dans cette hypothèse et en bien d'autres circonstances, se voir destitué avec ou sans pension, ou bien promu à un grade supérieur. Voilà comment les jugemens criminels et même civils auxquels les gouvernans prendront intérêt, n'émaneront en dernière analyse que d'euxmêmes, comment ils subjugueront un pouvoir qui devait rester indépendant et impartial. Sans doute l'autorité souveraine doit avoir dans les tribunaux des officiers qui lui soient propres, qui s'y montrent dignes d'elle par la décence et la gravité de leurs discours, que leur charge ne

dispense point d'obéir à leur conscience, et qui surtout ne transforment jamais une accusation publique en un tissu déplorable de sophismes décrédités, de fictions calomnieuses, d'observations satiriques ou d'imprécations violentes : mais à côté, au-dessus même de ces organes du gouvernement, la loi a aussi les siens : ce sont les juges; et tout vestige d'ordre et d'équité disparaîtrait d'un tribunal, si le premier des juges qui le composent se constituait, sans le moindre déguisement, la partie adverse des accusés; s'il menaçait les défenseurs; s'il circonscrivait les défenses; si, trouvant le secret d'être injuste, même envers des coupables, il ne faisait, dans tout le cours des débats, que prononcer, avec l'accent de la colère et de la vengeance, l'arrêt qui les doit terminer. En vain de pareilles sentences se répéteraient par écho, de degré en degré, dans plusieurs cours: l'opinion publique les réprouverait d'une voix unanime et calme, que les juges seuls auraient le malheur de ne pas entendre; parce que, ne prêtant l'oreille qu'à la voix des hommes dont ils dépendent, et de ceux qu'ils tiennent sous leur propre dépendance, ils s'entretiendraient dans des illusions de parti depuis long-temps dissipées au sein de la société. Il se prononce

assurément beaucoup de sentences injustes sous le pur despotisme; mais, si quelqu'un écrivait jamais les annales des iniquités judiciaires, les époques qui fourniraient le plus de matériaux à cette horrible histoire, seraient encore celles où un gouvernement infidèle rendait illusoires les garanties qu'il avait promises. Ce régime, quelque couleur et quelque direction qu'il prenne, qu'il soit démagogique ou dictatorial, révolutionnaire ou réactionnaire, est par essence celui du mensonge, de l'effronterie et de la cruauté. C'est alors que, sans aucune exception, toutes les questions se décident, non par l'examen des faits, mais par l'idée qu'on a des sentimens politiques de chaque prévenu; et tandis que les forfaits les plus avérés demeurent impunis, dès qu'il sont censés commis pour la cause qualifiée bonne, les opinions contraires à celles des gouvernans sont des crimes irrémissibles. Les procès d'état se multiplient sans mesure, plus arbitraires, plus irréguliers que sous la monarchie absolue; et l'on est tenté de regretter les procédures secrètes qui couvraient au moins tant de scandales.

Il n'est jamais difficile de prévoir comment doit finir le régime frauduleux dont nous par

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