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époque que le souvenir et l'influence des deux premières doivent rendre encore fort critique. En effet, d'une part, les désordres et les malheurs de la première semblent recommander les institutions qu'elle a renversées, présenter comme un port l'abîme qu'elle à fermé, raccréditer les prétentions insociales des anciens privilégiés, et remettre au moins en question tous les progrès et toutes les conquêtes de la raison publique. D'un autre côté, la seconde époque laisse une ample provision de mauvaises lois, de mesures arbitraires, d'habitudes serviles, de traditions et d'institutions perverses, de ressorts et d'ustensiles tyranniques. A vrai dire, pour consommer l'asservissement de la nation, il n'y aurait qu'à continuer, sauf des changemens de l'œuvre que cette seconde époque a si fort avancée : ses erremens seraient préférables même à ceux du régime qui a précédé les premiers troubles; ils tendraient bien plus sûrement à l'abolition de toute garantie individuelle. Mais, quoique exposée à tant de périls, la liberté publique peut renaître encore du sein des lumières qu'on n'a pas eu le temps d'éteindre.

noms,

Toute la question est de savoir si l'opinion publique reprendra assez d'ascendant pour ne

pas laisser un libre cours à de nouveaux brigandages révolutionnaires, entrepris en sens inverse des premiers; et pour ne pas permettre que la nation, encore une fois abusée par le simulacre d'une loi fondamentale, soit replacée sous le joug des lois d'exception et des actes arbitraires. De cette question, qui se confond avec celle de savoir si cette troisième époque sera la dernière, dépend la destinée des générations contemporaines et de celles qui les suivront. Elle est quelquefois, nous l'avouerons, fort problématique ; et il n'y a qu'une profonde estime pour la nation qu'elle intéresse, qui autorise à regarder la solution la plus heureuse comme la plus probable. Mais si, en effet, cette nation a conservé durant les deux premières époques la franchise et la noblesse de son caractère; si elle a plus gémi des abus que l'on a faits de sa puissance que des malheurs qu'ils ont attirés sur elle; si, au sein même de ses revers, courageusement subis, elle a redemandé la liberté et repris le rang éminent que lui assignaient, entre les peuples, les progrès de sa civilisation, de son industrie et de ses lumières : il faudra beaucoup d'habileté, d'efforts et de bonheur, soit pour la frustrer des garanties qu'on lui a promises, et renouveler

des illusions pareilles à celles qu'une expérience récente a dissipées; soit pour relever, au milieu d'elle, des institutions qui étaient déjà caduques, quand elle a commencé d'en démolir l'édifice, et dont le ridicule seul est resté ineffaçable à ses yeux. Or, si on ne parvient ni à l'une ni à l'autre de ces deux fins; si le succès ne couronne ni les plagiaires des artifices de la seconde époque, ni les preux adversaires des entreprises de la première, devenus les imitateurs de ses excès: la troisième semblera d'autant mieux appelée à établir avec franchise et en réalité les garanties individuelles, qu'elles sont, comme nous l'avons vu, le plus véri table intérêt, et du prince, et des ministres, et des grands, et du corps entier des gouvernés.

Qu'auraient, en effet, les garanties de si redoutable au pouvoir, de si nuisible aux hommes puissans, et qu'est-ce, après tout, qu'elles exigent?

Qu'on ne puisse être arrêté ni détenu que pour être régulièrement jugé dans le plus bref délai possible;

Que les propriétés consacrées par les lois soient à l'abri de toute atteinte et de toute extorsion arbitraire;

Que l'industrie, si elle n'est pas délivrée de

toutes ses entraves, n'ait plus à craindre au moins celles qui ont été abolies;

Que l'injure, la calomnie et la sédition soient poursuivies comme des délits ou des crimes, et que toute autre opinion manifestée de vive voix, par écrit ou par la presse, soit affranchie de toute censure préalable ou subséquente, et de toute direction administrative;

Que le culte privilégié, entretenu aux frais de tous les citoyens, même de ceux qui ne le professent pas, ne restreigne au moins en aucun sens et en aucune manière la liberté des autres croyances religieuses quelconques.

Voilà les seuls points à garantir; et, pour y parvenir, voici quelles sont les institutions strictement nécessaires :

Que les juges, sagement choisis et aussitôt institués que nommés, soient inamovibles, sauf le cas de forfaiture jugée ;

Que toutes les questions entre les citoyens et l'autorité publique soient jugées par eux ou par des jurés, et non par les agens amovibles du gouvernement;

Que tous les faits à punir comme crimes ou comme délits, soient préalablement vérifiés et déclarés par des jurés que l'autorité suprême n'ait pas choisis ni fait choisir par ses agens;

Enfin, qu'une assemblée de représentans régulièrement et librement élus, sans influence mînistérielle, exprime, avec une parfaite indépendance, le consentement de la nation à tout impôt, à tout emprunt, à toute loi nouvelle."

Or, de telles barrières défendent le pouvoir suprême encore plus qu'elles ne le circonscrivent; car que lui interdisent-elles, sinon des violences, des vols, des fraudes, des attentats ou méfaits pareils à ceux qu'il réprime? Sans doute, la tyrannie n'obtient quelque sécurité qu'en retenant un peuple superstitieux et dépravé dans les ténèbres et dans la misère; mais une autorité sage et modérée a pour garanties toutes celles qu'elle donne, les lumières qu'elle laisse briller autour d'elle, les industries qu'elle anime, les propriétés qu'elle protége et qu'elle respecte. L'homme qui repousse les garanties individuelles, quelle que soit sa position, sa condition actuelle ou passée, qu'il soit plébéien, noble, ministre ou même prince, méconnaît ses intérêts les plus immédiats et les plus chers: apparemment il trouve si doux l'espoir de nuire à autrui, qu'il consent, pour le conserver, à courir les risques d'être opprimé, persécuté, proscrit lui-même. Cette manière

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