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ne seraient-elles pas aussi justiciables des tribunaux militaires? Parce qu'elles ne partagent point la condition exceptionnelle des militaires? Mais c'est à raison de leurs actes seulement, et non à raison de leur qualité, que les militaires sont soumis à une juridiction exceptionnelle. Tel était du moins le système adopté par la chambre des pairs, qui avait ainsi proclamé, en faveur des militaires, l'égalité devant la loi. C'était donc au nom de ce principe que l'on donnait un privilége aux individus étrangers à l'armée ! C'était au nom de l'égalité devant la loi que l'on faisait une exception pour les militaires, dans des cas où la criminalité est identique, quelle que soit la qualité des personnes ! Ceci est évidemment une contradiction; et cette exception ainsi déterminée est mille fois plus choquante,. plus odieuse, que l'exception générale résultant du système que l'on prétendait réformer.

Depuis qu'il existe des armées organisées, elles ont eu leur juridiction particulière. Le droit romain, qui fut le droit commun de presque toute l'Europe, donnait aux tribunaux militaires une juridiction exclusive, tant en matière civile qu'en matière criminelle.

« Miles enim non nisi coram judicibus militaribus, tam in civilibus quam in criminalibus causis, conveniendus est, et coram judice paganico, conventus vel productus cum elogio, sive informationibus et processu, ad proprium judicem militarem remittendus est. » L. 2, cod. Théod. de jurisd. L. 1, cod. de offic. vicar. L. 6, Magisterio cod. de jurisd. omnium jud. L. 1, cod. de offic. Magist. Milit.

Cette règle fut longtemps suivie dans notre pays, où elle avait été adoptée, en 1587, par l'édit du prince de Parme, alors gouverneur-général des Pays-Bas. Seulement on avait excepté de la juridiction militaire les actions réelles inten

tées hypothécairement, que l'on appelait en flamand grondprocedueren.« De manière, dit l'art. 3 de l'édit, qu'un soldat ne pourra être convenu ni appelé en justice, pour aucun délit, ni dette, ni autre chose, que par-devant les auditeurs et juges militaires et nuls autres, hormis dans les causes ou actions réelles, hypothécaires et de successions des biens immeubles patrimoniaux, auquel cas un chacun les pourra poursuivre et demander en justice par-devant les juges des lieux où lesdits biens sont scituez. »

L'ordonnance du 18 décembre 1701 consacra les mêmes principes. L'art. 2 de cette ordonnance est ainsi conçu : « Nous ordonnons que par ledit conseil de guerre seront justiciables tous les fantassins, cavaliers et dragons, les sergeans de l'infanterie et les brigadiers de la cavalerie et dragons, pour les crimes et délits militaires; mais en action civile, purement personnelle, ils ne seront convenibles que devant notre surintendant de la justice militaire, comme nous voulons pareillement que tous autres officiers de nos troupes seront convenibles devant notre surintendant de la justice militaire, tant pour le crime militaire que pour le civil en action purement personnelle, à la réserve des cas qui seront exceptés par nos présentes ordonnances. »

Et l'art. 3 ajoute : « Mais en matière d'action réelle, hypothécaire et de succession des biens patrimoniaux ou immeubles, lesdits militaires, tant officiers que soldats, ne pourront être convenus, ni poursuivre leur action que devant les juges ordinaires et compétents de la situation des biens, selon les coutumes du pays. »

Ces dispositions furent toujours considérées comme étant d'ordre public, de telle sorte qu'il n'était pas permis aux militaires de renoncer au privilége de leur juridiction: Quia milites foro militari non possunt renuntiare quippe

beneficio introducto in favorem totius ordinis militaris. » L. 38. jus publicum, ff. de pact. L. ultim. cod. de re militari. Plus tard la juridiction militaire fut bornée aux affaires criminelles; mais jamais dans notre pays on ne distingua les crimes par leur nature, pour attribuer au juge civil la connaissance de ceux qui n'intéressent pas directement la discipline militaire.

On voit que la juridiction des tribunaux militaires n'est pas une chose neuve; ce n'est pas une invention de Bonaparte, comme semblent le croire certains jurisconsultes de tribune. Déjà du temps des Romains, qui savaient faire la guerre, elle fut considérée comme une institution indispensable, ne milites a castris avocentur. Le prince de Parme, Alexandre Farnèse, qui fut un des grands capitaines de son siècle, a fait voir assez par son édit du 15 mai 1587, quelle importance il attachait à la conservation de ce principe. Et l'archiduc Albert, dont j'ai omis de parler jusqu'ici, lui qui, à son arrivée aux Pays-Bas, trouva l'armée en pleine insurrection, tandis que le prince Maurice envahissait les Flandres avec des troupes parfaitement disciplinées, l'archiduc Albert écrivait dans sa déclaration du 7 novembre 1601 : «Comme il convient à la discipline militaire que les personnes militaires ne soient ni distraites ni diverties, à l'occasion des demandes et procès civils, il aura soin particulier que par lesdits juges militaires, chacun en l'instance qui le touche, lesdites causes soient poursuivies, finies et achevées, avec la plus grande brièveté que, selon le fait d'icelles, il sera possible. a

Cet édit est daté du camp d'Ostende. Il fut donc signé pendant les opérations du fameux siége de cette place, au moment où toutes les nécessités de l'état militaire se faisaient sentir.

ART. 106. La cour de cassation prononce sur les conflits d'attributions, d'après le mode réglé par

la loi.

ART. 107. Les cours et tribunaux n'appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et locaux, qu'autant qu'ils seront conformes aux lois (').

Nous ne pousserons pas plus loin les citations. Chacun sait, du reste, dans quelles circonstances Philippe V rendit l'ordonnance du 18 décembre 1701, mentionnée plus haut. La grande guerre, dité de succession, donne à l'autorité de son nom un poids au moins égal à celui des noms illustres dont nous avons cru devoir invoquer le souvenir.

(1) Une ordonnance de police locale qui trace les devoirs de l'autorité militaire est-elle obligatoire pour celle-ci? Il faut distinguer d'abord ce qui est ordonnance proprement dite, de ce qui est simple réquisition. Les conseils communaux ont le droit de faire des ordonnances de police; mais les réquisitions nécessaires à leur exécution ne peuvent émaner que des colléges des bourgmestres et échevins, parce que ces colléges seuls sont chargés de l'exécution des lois et règlements de police. (Art. 90, no 4 de la loi du 30 mars 1836.) Du reste, le droit de requérir ne suppose pas une supériorité de position: un huissier peut, aussi bien qu'un bourgmestre, requérir l'assistance de la force publique. (Décret du 18 juin 1811, art. 77.)

Quant aux ordonnances de police émanées des conseils communaux, elles ne sont obligatoires que pour autant qu'elles ne soient pas contraires aux lois et aux règlements d'administration générale et provinciale. (Art. 78, § 2 de la loi du 30 mars 1836.) Or, l'art. 68 de la Constitution dit :

ART. 124. Les militaires ne peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions, que de la manière déterminée par la loi (').

Le Roi commande les forces de terre et de mer; l'art. 118 : « La loi règle les obligations des militaires, » et l'art. 108 « Les institutions communales sont réglées par des lois. Ces lois consacrent l'application des principes suivants : 5° l'intervention du Roi ou du pouvoir législatif, pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions. »

Il résulte évidemment de ces diverses dispositions que les obligations des militaires sont réglées par le Roi et par la loi; que par conséquent un conseil communal sortirait de ses attributions, s'il statuait par ordonnance sur un objet de cette nature; si, par exemple, il terminait une ordonnance de police en déclarant que l'autorité militaire est chargée de son exécution. Il en résulte enfin que toute ordonnance prise par un conseil communal en dehors de ses attributions est inconstitutionnelle, contraire aux lois d'administration générale, et partant sans valeur.

(1) Plusieurs lois déterminent la manière dont les militaires peuvent être privés de leurs grades, honneurs et pensions. Nous citerons d'abord la loi sur la perte du grade, du 16 juin 1836, et puis les dispositions du code pénal qui portent la peine de cassation ou la déchéance du rang militaire, et enfin toutes les lois qui prononcent des peines infamantes, auxquelles la déchéance est nécessairement attachée. Il est encore quelques lois particulières qui prévoient les cas de destitution. Telle est la loi du 8-10 juillet 1791, dont l'art. 63 du titre III est ainsi conçu :

Tout militaire en activité qui, étant majeur, aura con

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