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mon souffle pour me joindre au chœur glorieux de ceux qui crient: « A bas l'anarchie, à bas l'innovation! >>

CHAPITRE III.

SOPHISME DE DÉFIANCE.

CETTE MESURE CACHE UN piége. (Ad metum.)

Cet argument peut être considéré comme une modification particulière du sophisme de l'innovation. Une mesure est proposée, si manifestement utile et si éloignée de tout danger, qu'il n'y a pas moyen de crier à l'innovation. Mais l'anti-novateur restet-il muet? Non; voici la ressource qu'il emploie : Dans ce que l'on vous propose, dit-il, il n'y a « peut-être aucun danger; mais considérez quels << sont les auteurs de la proposition, et soyez con« vaincus que, derrière ces prétendus bienfaits, se «< cachent de ténébreux projets. Si vous laissez pas« ser ces mesures en apparence innocentes, d'au«< tres, d'un caractère plus dangereux, les suivront, << et devront passer de même. »

L'absurdité de cet argument est trop manifeste pour que sa réfutation exige de grands développements.

D'abord il commence par admettre le mérite de la mesure en question; il renferme ainsi en luimême la preuve de sa futilité; cependant, par l'évidence de cette futilité, il jette dans un certain embarras il puise pour ainsi dire sa force dans sa

faiblesse, car on ne sait d'abord comment répondre à ce qui en soi n'est rien.

Que deux mesures, A et B, soient proposées en même temps, A étant une bonne mesure, B une mauvaise, rejeter A à cause de B serait assurément bien absurde. Mais le sophisme dont il s'agit va beaucoup plus loin. Deux mesurss sont proposées, toutes deux incontestablement utiles, sans qu'on puisse leur opposer aucune objection; cependant il faudrait les rejeter, non qu'il y ait en elles quelque danger, mais parce qu'il y a quelque possibilité de danger dans d'autres que personne ne connaît et dont l'existence même est plus que problématique.

Si un pareil argument prouve quelque chose, il prouve qu'aucune loi ne pourrait jamais être proposée, qu'aucune réforme n'aurait dû jamais être acceptée, et que par conséquent toute mesure légis lative ou gouvernementale est un danger, ou plutôt que toute loi et tout gouvernement est un danger.

Ces principes politiques sont absolument ceux que l'on attribue à Hérode dans le massacre des innocents; et les hommes qui font valoir ces principes doivent avouer qu'à la place d'Hérode, ils eussent agi comme lui.

CHAPITRE IV.

LE BOUCLIER DES PRÉVARICATEURS OFFICIELS.

NOUS ATTAQUER,

C'EST ATTAQUER LE GOUVERNEMENT. (Ad metum.)

Ce sophisme consiste à considérer toute censure des hommes en place comme une attaque contre le gouvernement lui-même, comme un signal de guerre civile et d'anarchie.

Ce n'est pas sans raison, assurément, que ce sophisme est regardé par ceux qui l'emploient comme étant de la plus grande importance; car si une fois on l'admet, tous ceux qui vivent des abus d'une mauvaise administration, ou qui en tirent quelque profit, pourront se maintenir en possession de ces abus sans craindre de se voir troubler dans leurs jouissances. Les hommes les plus dévoués à la vérité seront repoussés ou punis, et l'opulence et le pouvoir seront accordés à ceux pour qui le bonheur des citoyens est un objet de mépris ou au moins d'indifférence. La récompense sera pour celui qui fait le mal, la peine pour celui qui le combat.

Tant qu'il y a dans l'administration des affaires publiques des réformes à signaler ou des abus à combattre, toutes les critiques que l'on peut en faire se réduisent à deux chefs: 4° la conduite des individus qui dirigent les affaires; 2° le système général du gouvernement qu'ils représentent. Or, il faut en convenir, on ne saurait attaquer ni le sys

tème ni les agents qui appliquent ce système, sans appeler sur le système ou sur les agents plus ou moins de réprobation ou de mépris, selon l'importance et l'étendue du vice que l'on signale. Mais en résulte-t-il pour le gouvernement lui-même des conséquences nuisibles? c'est là qu'est toute la question.

Or, je dis que c'est confondre à dessein les mots et les choses. Assurément, il est peu de personnes dans ce pays qui aient pour but avoué d'appeler le mépris sur les grandes institutions qui font la sécurité de tous. Personne, que je sache, n'attaque la royauté, le parlement ou la magistrature. Mais il n'en est pas moins permis de signaler la mauvaise direction que des ministres donnent à la volonté royale, la corruption et l'ignorance de la plupart de nos députés, la rivalité et la partialité de la plupart de nos juges.

Bien loin de voir de l'aversion et du mépris pour le gouvernement chez l'homme qui témoigne de l'aversion ou du mépris pour tels ou tels agents du gouvernement, j'y vois au contraire la preuve de sentiments tout opposés. Que désire-t-il en effet? Non pas que le gouvernement reste sans direction, mais qu'il soit confié en de meilleures mains; non pas que le pouvoir reste désarmé, mais qu'il soit mieux exercé ; non pas que dans l'exercice du pouvoir il n'y ait ni règles ni principes, mais que ces règles et ces principes soient mieux déterminés.

Tout gouvernement est une tutelle; toute charge

du gouvernement est une tutelle; et ce n'est que par sa grandeur et son importance qu'elle diffère d'une tutelle privée. Or, si je me plains de la conduite d'un individu en son caractère de tuteur, pourrait-on en conclure que je veux attaquer l'institution de la tutelle? Si je me plains des imperfections de la loi relative aux tutelles, est-ce à dire que je ne veux d'aucune loi sur la tutelle ?

Il est absurde de penser que l'obéissance aux lois sur lesquelles repose la sécurité de tous, la propriété, l'honneur et la réputation de chacun, dépende de l'opinion qu'on peut émettre sur la probité ou l'intelligence d'un fonctionnaire, ou sur l'accusation qu'on peut porter contre le système en vertu duquel il agit.

Quand même les fonctions du gouvernement seraient exercées beaucoup plus mal qu'elles ne le sont, chacun sait fort bien que c'est le gouvernement qui est le lien d'unité de la nation; que c'est du gouvernement, comme agent d'ordre, qu'il doit attendre une protection contre les hostilités intérieures et extérieures. C'est donc pour sa propre sùreté, et indépendamment des personnes qui gouvernent ou du système qui dirige ces personnes, que chaque individu se soumet à l'autorité publique.

S'il était même disposé à refuser son obéissance, sa résistance serait inutile et sans effet, s'il n'était appuyé par beaucoup d'autres, disposés comme lui; et cet état de choses ne pourrait résulter que d'un sentiment commun de mécontentement général,

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