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Lorsque les terreurs et les espérances de la religion sont la cause et l'origine d'une conviction, on ne doit pas s'étonner que cette conviction soit plus forte. Il y a mérite à croire, et l'on s'efforce de croire, et moins on peut expliquer la croyance, plus il de mérite à croire. Credo quia impossibile est, y a voilà l'expression la plus haute de la foi elle ne peut aller plus loin. Ici du moins, on n'a pas la prétention de s'adresser à l'entendement ou à la raison: on agit sur la volonté par des craintes ou des espérances. Il ne faut seulement que bien choisir lest

moyens.

:

Mais lorsqu'à la voix de certains hommes qui occupent certaines places, nous voyons des législateurs se laisser imposer les convictions les plus erronées, demeurer persuadés que dans le mensonge est la vérité, que dans l'oppression est la justice; ce n'est plus la volonté qui est faible et opprimée, c'est l'intelligence elle-même qui est égarée.

CHAPITRE XI.

NON CAUSA PRO CAUSA, OU L'OBSTACLE PRIS POUR LA CAUSE. (Ad judicium.)

Lorsque dans un système qui a quelques bons côtés, vous n'avez à en défendre que les abus commencez par un éloge général du système, éten,

dez-vous sur les heureux effets qui en résultent et que personne ne conteste; et de là, passant aux abus que vous avez à défendre, attribuez-leur en tout ou en partie l'existence de ces heureux effets. Cum hoc, ergo propter hoc.

Dans tout système politique qui existe depuis long-temps, qui, sans reposer sur un principe général, s'est formé peu à peu, à des époques différentes, selon les intérêts qui dominaient; quels que soient les bons ou les mauvais effets qui, dans l'état actuel des choses, en ont résulté, on peut les rapporter à trois circonstances principales: 1° celles qui ont agi comme causes effectives ou promotives; 2o celles qui ont agi comme causes préventives ou obstacles; 5o celles qui ont été des incidents sans suite et sans influence.

Dans un tel système, quels que soient les abus et quels que soient les heureux résultats, ces heureux résultats auront rencontré, dans les abus, non autant de causes efficientes, mais autant d'obstacles ou de causes préventives.

Si vous parvenez à disposer vos arguments de manière à ce que les abus, au lieu d'être considérés comme des obstacles, passent pour être les causes efficientes, vous aurez obtenu le but que vous vous proposiez.

Si cependant vous ne pouvez faire attribuer les résultats heureux aux abus qui les ont entravés, ce que vous avez de mieux à faire est d'en attribuer la cause aux circonstances indifférentes, en tâchant

de donner à ces circonstances une connexité quelconque, aux abus que vous voulez maintenir.

Dans tous les cas, vos efforts doivent tendre à rapporter les résultats heureux à toute autre cause qu'aux causes réelles; car si on voit clairement les causes qui les ont amenés, on verra clairement aussi celles qui n'y sont pour rien.

Le vrai savoir étant votre plus dangereux adversaire, vous ne devez avoir d'autre but que d'obscurcir et d'entraver sa marche.

Le vrai savoir dépend beaucoup de l'habileté à distinguer, en toute occasion, les causes, les obstacles et les circonstances indifférentes; votre étude constante doit donc être de toujours les confondre.

EXEMPLE, no 1. Bon gouvernement, obstacle pris pour la cause, influence de la couronne.

Si avec la monarchie limitée, la supériorité de la constitution anglaise sur toutes les monarchies absolues ou moins limitées, est admise sans contestation, et que la différence qui sépare cette monarchie limitée des monarchies absolues, consiste dans la part d'influence de la masse du peuple, cette influence étant exercée par la volonté des élus du peuple sur la volonté des élus du roi, et par suite sur la volonté du roi lui-même, toute circonstance qui tend à diminuer cette influence, ne peut pas être comptée parmi les causes de cette supériorité, mais doit être rangée parmi les obstacles.

Ainsi, les membres de la chambre des communes, tous censés les élus du peuple, agissent

comme s'ils étaient les élus du roi ils sont appelés comme juges pour apprécier la conduite des agents du pouvoir, et ils reçoivent les impulsions de ces agents.

Assurément, on ne pourra nier que cette influence, exercée par les agents du pouvoir sur les élus de la nation, et par le monarque sur les agents du pouvoir, n'ait pour effet de détruire l'autorité de la chambre, et surtout, dans son caractère de juge suprême de la conduite des agents.

Dans ce cas, le sophisme consiste à représenter comme une cause des heureux résultats que l'on obtient, l'influence de la couronne; tandis que cette influence, n'agissant que par la corruption, loin d'être une cause est un obstacle.

EXEMPLE, no 2. De l'obstacle pris pour la cause, sièges des évêques à la chambre des lords.

Pour contribuer aux bienfaits du gouvernement, soit en qualité d'évêque, soit en toute autre qualité, il faut prendre part aux travaux du gouver

nement.

Dans cette branche de gouvernement que comprend la chambre des lords, un homme ne peut participer aux bienfaits qu'en proportion de la part qu'il prend aux débats, soit par la parole, soit par un vote silencieux.

Or, de toute la corporation des évêques parlementaires, y compris, depuis l'union, ceux de l'Ir. lande, il n'y en a pas un dixième qui assistent aux séances; quant à faire entendre leur parole, si

par aventure cela leur arrive, ils ne font que confirmer davantage l'assertion de ceux qui prétendent que les évêques ne devraient pas siéger.

En effet, d'où vient que le nombre de ceux qui votent et surtout de ceux qui parlent, soit si petit? De ce que le sentiment général reconnaît que les affaires temporelles et politiques ne sont pas de leur ressort. Dans cette guerre de personnalités, qui fait le fond des débats dans l'une et l'autre chambre, les hommes de cette classe sont plus vulnérables que d'autres. Et, d'abord, il faut avouer qu'une assemblée législative n'est pas une place convenable pour un homme qui n'a pas la liberté de dire ce qu'il pense. Or, comment veut-on qu'un évêque puisse invoquer même les principes les plus élémentaires de la politique, lorsqu'on peut le réduire au silence par une citation empruntée à l'un des trente-neuf articles, ou à un passage de l'ancien ou du nouveau Testament.

Il est tant de choses auxquelles il faut qu'il paraisse croire, quelque incroyables qu'elles soient; Il est tant de choses qui ne peuvent se défendre la raison, et qu'il est obligé de défendre; Il a tant de côtés vulnérables qui le gênent, sans que ses adversaires en soient gênés ;

par

Il a tant de chaînes qui l'embarrassent, sans que ses adversaires en soient embarrassés, qu'il ne serait ni généreux ni honorable de le combattre avec les armes ordinaires,

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