Page images
PDF
EPUB

ce qui peut se discuter et ce que il avait pour tous ses

[ocr errors]

tous ses semblables,
nous discuterons tout le premier,
Bemblables une sympathie et une amitié virginales.

La seule fissure de ce cœur de granit et d'or tout à la fois, 'était la douleur causée par la mort de sa femme, la pauvre Thérèse, corps charmant, âme sereine, dévouement silencieux.

Aussi, quand, en mettant le pied dans l'atelier, et après avoir cmbrassé Pétrus, il le regarda comme un père regarde son fils, deux grosses larmes roulèrent de ses yeux, et, tout en tendant la main au général :

[ocr errors]

Tel que tu le vois, frère, dit-il, eh bien, c'est tout le portrait de sa pauvre mère!

- C'est possible, répondit le général; mais tu devrais te rappeler, vieux pirate que tu es, que jamais je n'ai eu l'honneur de connaître madame sa mère.

- C'est vrai, répondit le capitaine d'une voix douce et pleine de larmes, comme toutes les fois qu'il parlait de sa femme; elle est morte en 1823, et nous n'étions pas encore raccommodés.

Ah çà dit le général, et tu crois donc que nous le sommes, raccommodés ?

Le capitaine sourit.

- Il me semble, dit-il, que, quand deux frères se sont embrassés comme nous l'avons fait, après plus de trentetrois ans d'absence...

[ocr errors]

Cela ne prouve rien, maître Pierre. Ah! tu crois que je me raccommode avec un bandit comme toi! Je lui donne la main, bon! je l'embrasse, bien ! mais, au fond du cœur, il y a une voix qui dit : « Je ne te pardonne pas, sans-culotte ! je ne te pardonne pas, forban ! je ne te pardonne pas, corsaire !>

Le capitaine regardait son frère en souriant, car il savait bien qu'on fond le général avait une sincère amitié pour lui.

Puis, quand le grondeur eut fini :

Bah! dit Pierre, je te pardonne bien, moi, d'avoir servi contre la France.

Bon! dit le général, comme si la France avait jamais été la citoyenne République ou M. Bonaparte; j'ai servi

contre 93 et contre 1805, entends-tu, braconnier? et non pas contre la France.

Que veux-tu, frère! répondit avec bonhomie le capitaine, j'ai toujours cru, moi, que c'était la même chose.

- Et, comme mon père l'a toujours cru, dit Pétrus, qu'il le croira toujours; que vous avez toujours cru et que vous croirez toujours le contraire, vous, mon oncle, il faudrait, je crois, mettre la conversation sur un autre sujet.

--

- Oui, voyons, dit le général; pour combien de temps nous fais-tu l'honneur de ta visite?

Hélas! mon cher Courtenay, pour bien peu de temps. Pierre Herbel, tout en renonçant au nom de Courtenay, avait continué de le donner à son frère comme à l'aîné de la famille.

Comment, pour bien peu de temps? dirent ensemble le général et Pétrus.

Je compte repartir aujourd'hui même, mes enfants, répondit le capitaine.

G

Aujourd'hui, mon père?

Ah çà! mais es-tu décidément fou, vieux pirate! reprit le général; tu veux repartir aussitôt qu'arrivé?

Mon départ est subordonné à la conversation que je vais avoir avec Pétrus, dit le capitaine.

Oui, et à quelque partie de chasse arrêtée là-bas avec les braconniers du département d'Ille-et-Vilaine?

Non, mon frère, j'ai là-bas un ami qui s'en va mourant, un vieil ami, et qui prétend qu'il mourra mal si je ne lui ferme pas les yeux.

Ah! peut-être bien que celui-là aussi t'est apparu, dit le général avec son scepticisme accoutumé, comme ta Thérèse ?

Mon oncle!... dit Pétrus intervenant.

Oui, je sais que mon frère le pirate croit en Dieu et aux revenants. Mais, vieux loup de mer que tu es, il est bien heureux que, s'il y a un Dieu au ciel, ce Dieu ne t'ait pas vu exercer tous tes affreux brigandages: sans cela, il n'y aurait de saint pour toi ni dans ce monde-ci ni dans l'autre.

Si cela était, frère, répondit doucement et en secouant la tète le capitaine, ce serait bien malheureux pour mon

pauvre ami Surcouf, et ce serait une raison de plus pour que je retournasse au plus vite près de lui.

Ah! c'est Surcouf qui se meurt! s'écria le général.
Hélas! oui, dit Pierre Herbel.

Par ma foi, ce sera un fier bandit de moins!
Pierre regarda tristement le général.

- Eh bien, demanda celui-ci, tout pénétré de ce regard, qu'as-tu à me dévisager ainsi?

Le capitaine secoua la tête avec un soupir.

Voyons, parle, insista le général; je n'aime pas les gens qui se taisent quand on leur dit de parler; à quoi penses-tu? cela peut-il se dire?

Je pense que, lorsque je mourrai, voilà tout ce que mon frère aîné dira de moi.

- Qui? quoi? que disais-je?

— « Ah! par ma foi, répéta le capitaine en essuyant une larme, c'est un fier bandit de moins! »

- Mon père! mon père ! murmura Pétrus.

Puis, se tournant vers le général :

Mon oncle, dit-il, vous me grondiez tout à l'heure, et vous aviez raison; si je vous grondais, à mon tour, auraisje tort? dites!

[ocr errors]

Le général étouffa une petite toux qui lui échappait toujours quand il était embarrassé et ne savait que répondre. Voyons, est-il si mal, ton Surcouf? Pardieu! je sais bien qu'il avait du bon et que c'était un brave, une espèce de Jean Bart, et qu'il ne lui a manqué que de servir une autre cause.

- Il a servi la cause du peuple, mon frère ! la cause de la France!

La cause du peuple! la cause de la France! quand ils ont dit la France, quand ils ont dit le peuple, ces damnés sans-culottes croient avoir tout dit. Demande à ton fils Pétrus, à M. l'aristocrate, qui a des laquais à sa livrée et des armes à sa voiture, s'il n'y a pas autre chose en France que le peuple.

Pétrus rougit jusqu'au blanc des yeux.

Le capitaine tourna vers son fils un regard doux et interrogateur.

Pétrus garda le silence.

Oh! il te contera tout cela quand vous ne serez que

vous deux, et sans doute que tu trouveras encore qu'il a raison.

Le capitaine secoua la tête.

Je n'ai que lui d'enfant, Courtenay, dit-il, et c'est tout le portrait de sa mère.

C'était encore là une de ces réponses auxquelles le général ne savait que répliquer.

Il toussait.

Mais, tout en toussant :

Je demandais donc, dit-il, s'il était si mal, ton am Surcouf, que cela t'empêchât de venir dîner chez moi avec Pétrus?

[ocr errors]

Très-mal, mon ami, dit tristement le capitaine.

Alors, c'est autre chose, fit le général en se levant; je te laisse avec ton fils, car je suis le premier à te dire que vous avez pas mal de linge sale à laver en famille; si tu restes et que tu veuilles diner avec moi, tu seras le bienvenu; si tu pars et que je ne te revoie pas, bon voyage!

[ocr errors]

J'ai peur que tu ne me revoies pas, frère, dit Pierre Herbel.

Eh bien, alors, embrasse-moi donc, vieux scélérat! Et il ouvrit à son frère deux bras où le digne capitaine se précipita avec neu profonde tendresse mêlée du respect qu'il avait toujours conservé pour son aîné.

Puis, comme pour échapper à une scène d'attendrissement, sorte d'émotion qui était peu dans ses habitudes et surtout dans ses sympathies, le général s'arracha violemment des bras de son frère et jeta ces dernières paroles à Pétrus:

Ce soir ou demain, je vous reverrai, n'est-ce pas, monsieur mon neveu ?

Et il se précipita vers l'escalier, qu'il descendit avec la légèreté d'un jeune homme de vingt ans, tout en murmurant:

Diable d'homme, va ne pourrais-je donc jamais le retrouver sans m'apercevoir qu'il me reste une larme au fond de l'œil!

LXVI

Le père et le fils.

A peine la porte se fut-elle refermée derrière le général, que Pierre Herbel tendit une seconde fois les bras à son fils, qui, tout en serrant son père sur son cœur, l'entraîna vers un sofa sur lequel il le fit asseoir en s'asseyant près de lui.

Alors, comme s'il obéissait à l'impression des dernières paroles échappées à son frère, le capitaine laissa un instant errer ses yeux sur les splendeurs de l'atelier, sur les tapisseries à personnages royaux, sur les vieux bahuts de la renaissance, sur les pistolets grecs à pommeau d'argent, sur les fusils arabes à incrustations de corail, sur les poignards à fourreau de vermeil, sur les verreries de Bohême, sur les vieilles argenteries de Flandre.

L'examen fut court, et l'œil du capitaine n'avait rien perdu de son sourire limpide et joyeux quand il le reporta sur son fils.

Pétrus, au contraire, honteux de ce luxe qui faisait contraste avec les murs nus de la ferme de Plancoët, avec la mise simple de son père, Pétrus baissa les yeux.

- Eh bien, mon enfant, demanda le père avec le ton d'un doux reproche, voilà tout ce que tu me dis?

Oh! mon père, pardonnez-moi, dit Pétrus; mais je me reproche de vous avoir fait quitter le chevet d'un ami mourant pour venir à moi, qui pouvais attendre.

[ocr errors]

Ce n'est point, souviens-t'en, mon enfant, ce que tu ne disais dans ta lettre.

--

C'est vrai, mon père, excusez-moi; je vous disais que j'avais besoin d'argent; mais je ne vous disais pas : « Quittez

« PreviousContinue »