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- Si jamais je suis assez votre ami, monsieur, pour entrer dans le mystère de cette vie..., dit M. de Prémont.

Et il s'arrêta, comprenant que la moindre instance le faisait indiscret.

- C'est probable, général, dit Salvator; mais, en attendant, ce sont les mystères de la vie de Brésil qu'il s'agit de sonder.

Ce n'est pas chose commode, répondit le général; et, quoique je parle sept ou huit langues, je ne me charge pas de vous servir d'interprète.

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Oh! entre Brésil et moi, il n'en est pas besoin, général, et vous allez voir comme nous nous comprenons... Et, tenez, vous l'avez vu insouciant, n'est-ce pas ? remarquez comme, au fur et à mesure qu'il approche du château, il s'anime. Ce n'est point pour la lumière qui en sort ou le bruit que l'on y fait, n'est-ce pas ? Vous voyez, il n'y brûle pas une bougie, et son cœur ne bat pas plus que celui d'un cadavre.

Et, en effet, en s'approchant du château, tout muet et sombre qu'était le sourd édifice, Brésil dressait l'oreille, portait le nez au vent, et hérissait son poil, comme s'il se préparait à un combat.

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Voyez, général, dit Salvator; je vous promets que, si la gouvernante est encore au château, soit à la cave, soit au grenier, nous l'y trouverons, si bien qu'elle puisse être cachée. Entrons, général!

Rien, en effet, n'était plus facile que d'entrer. En sortant pour se promener dans le parc, Mina avait laissé la porte ouverte; seulement, comme nous l'avons dit, l'édifice n'était éclairé que par la lumière extérieure de la lune.

Salvator tira de sa poche une petite lanterne sourde, et l'alluma.

Brésil, au milieu de l'antichambre, tournait sur lui-même, comme s'il passait l'inspection des objets et reconnaissait les localités; puis, tout à coup, prenant son parti, il alla donner de la tête contre une porte basse qui semblait conduire aux parties inférieures de la maison.

Salvator ouvrit cette porte.

Brésil se précipita dans un corridor sombre, au bout du quel, par un escalier de six ou huit marches, il descendit dans une espèce de cave, où, arrivé le premier, il poussa un

hurlement si lugubre, qu'il fit frissonner Salvator et le général, c'est-à-dire deux hommes qui ne frissonnaient pas facilement.

Eh bien, Brésil, qu'y a-t-il donc ? demanda Salvator; est-ce que c'est ici, par hasard, que Rose de Noël...?

Le chien, comme s'il eût compris la question de sor maître, reprit, tout courant, le chemin qu'il venait de suivr et disparut.

Où va-t-il? demanda le général.

Je n'en sais rien, répondit Salvator.

Si nous le suivions?

Non, s'il avait désiré être suivi, il aurait tourné la tête de mon côté pour me faire signe de le suivre. Ii ne l'a pas fait; nous devons l'attendre ici.

Salvator et le général n'attendirent pas longtemps.

Tandis que tous deux regardaient du côté de la porte, une fenêtre basse vola en éclats, et Brésil tomba entre eux deux, les yeux sanglants, la langue pendante; puis, trois ou quatre fois, il tourna autour de la cave, comme cherchant quelqu'un à dévorer.

- Rose-de-Noël, n'est-ce pas? dit Salvator au chien; Rose-de-Noël ?

Brésil hurla avec fureur.

C'est ici, dit Salvator, que l'on a tenté d'assassiner Rose-de-Noël.

– Qu'est-ce que Rose-de-Noël? demanda le général.

Un des deux enfants disparus et que M. Sarranti aurait tenté d'assassiner.

Tenté d'assassiner? répéta le général; ainsi vous en êtes sûr, l'assassinat n'a pas été consommé?

- Non, par bonheur !

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Et l'enfant ?...

- Je vous l'ai dit, général, l'enfant vit.

- Et vous la connaissez?

Je la connais.

Pourquoi ne pas l'interroger, elle, alors?

Parce qu'elle ne veut pas répondre.

Que faire, en ce cas?

Interroger Brésil! vous voyez qu'il répond, lui.
Alors, continuons.

Parbleu! dit Salvator.

Et l'on revint à Brésil, qui grattait et mordait le sol avec fureur.

Salvator regardait, pensif, la rage du chien.

- Il y a quelqu'un enterré ici, dit le général. Salvator secoua la tête.

Non, dit-il.
Pourquoi non?

Parce que je vous ai dit que la petite fille vivait. - Mais le petit garçon?

- Ce n'est point ici qu'il est enterré, lụi.

- Vous savez où il est enterré ?

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elle.

Et la petite fille?

La petite fille a failli être tuée d'un coup de couteau,

Où cela?

Ici.

Et qui a empêché l'assassinat de s'achever?

Brésil.

Brésil?

Oui, en brisant cette fenêtre comme il vient de le faire,

et, probablement, en se jetant sur l'assassin.

Mais que cherche-t-il là?

- Il ne cherche pas, il retrouve.

- Quoi?

- Regardez !

Salvator abaissa la lanterne et projeta sa lumière sur la dalle du caveau.

Ah! fit le général, on dirait des traces de sang.

Oui, reprit Salvator, c'est une permission du Seigneur que la tache faite par le sang qui sort tiède du corps de l'homme ne s'efface jamais. Ce sang, général, aussi vrai que M. Sarranti est innocent, ce sang sur lequel s'acharne Brésil, c'est le sang de l'assassin !

Mais ne disiez-vous pas que la petite fille avait faill être tuée d'un coup de couteau?

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Ici?

Probablement.
Mais Brésil?...

Il ne s'y trompe point, allez! - Brésil! dit Salvator, Brésil!

Brésil s'interrompit et vint à son maître.

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Brésil flaira les dalles et s'avança vers un petit caveau qui avait une sortie sur le parc.

La porte du petit caveau était fermée; il gratta contre la porte en gémissant avec tristesse, et, en deux ou trois endroits, lécha le sol avec sa langue.

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Voyez la différence, général, dit Salvator. Là est tombé le sang de la petite fille. Elle a fui par cette porte; je vais l'ouvrir, et vous verrez Brésil suivre la trace du sang.

Salvator ouvrit la porte; Brésil s'élança dans le caveau, s'arrêtant deux ou trois fois pour toucher la dalle du bout de sa langue.

Tenez, dit Salvator, c'est par ici que s'est enfuie l'enfant, tandis que Brésil luttait avec l'assassin.

- Mais l'assassin, quel est-il?

Je crois que c'est une femme... La petite fille, dans ses moments de folie,-parfois la pauvre enfant devient presque folle, la petite fille, dans ses moments de folie, a crié deux ou trois fois : « Ne me tuez pas! ne me tuez pas, madame Gérard! »

-Quel effroyable labyrinthe que toute cette histoire! s'écria le général.

Oui, dit Salvator; mais nous tenons une des extrémités du fil, et il faudra bien que nous arrivions à l'autre. Puis, appelant :

Brésil, dit-il, viens!

Brésil, déjà engagé dans le parc, où il semblait chercher me piste perdue, revint sur l'appel de son maître.

— Nous n'avons plus rien à faire ici, général, dit Salvator; je sais tout ce que je veux savoir, et il est important, vous vous en souvenez, de ne pas laisser fuir la gouvernante. Cherchons donc la gouvernante.

Allons, Brésil! allons! dit Salvator, remontant les marches du cellier et rentrant dans le vestibule.

Brésil suivit son maître. Arrivé dans le vestibule, il hésita un instant à travers la porte ouverte, il voyait resplendir l'étang, pareil à un miroir d'acier poli, et il se sentait attiré vers l'étang.

Un second appel de Salvator le contint.

Alors il prit l'escalier, mais sans hâte et comme une voie qui devait le conduire, non pas à un but, mais hors du vestibule.

Cependant, arrivé au corridor du premier étage, il s'élança assez rapidement jusqu'au bout; puis il s'arrêta devant une porte et poussa un grognement tendre et plaintif.

Serait-ce là que nous allons trouver la gouvernante? demanda le général.

-Non, je ne crois pas, répondit Salvator; ce serait plutôt la chambre de l'un des deux enfants. Au reste, nous allons bien voir.

La chambre était fermée à clef; mais, au premier effort que fit Salvator en poussant la porte, la gâche de la serrure céda, et la porte s'ouvrit.

Le chien s'élança dans la chambre avec un aboiement joyeux.

Salvator ne s'était pas trompé : la première chose qui frappa sa vue fut une alcôve avec deux lits jumeaux; ces deux lits étaient évidemment des lits d'enfant. Brésil allai joyeusement de l'un à l'autre, appuyait ses pattes de devant sur la couverture, et regardait Salvator avec une expression de joie à laquelle il n'y avait point à se méprendre.

- Voyez-vous, général, dit Salvator, c'était ici la chambre des enfants.

Brésil y fût resté éternellement, il se fût couché entre ces deux lits, il y fût mort.

Mais Salvator le força de sortir en l'appelant avec insi

stance.

Brésil suivit son maître, la tête basse et tout plainuf.

Nous reviendrons, Brésil; nous reviendrons, sois tranquille! dit Salvator.

Et, comme s'il eût compris ces paroles, le chien monta l'escalier qui conduisait au second étage.

Sur le palier, il s'arrêta; puis, l'œil ardent, le poil hérissé, avec un grognement terrible, il s'approcha d'une porte.

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