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CHAPITRE VII

Protestation adressée à tous les chargés d'affaires des puissances. auprès du juge de lettres. Documents législatifs à l'appui.

Défense

J'adressai, deux jours après, la supplique suivante à tous les chargés d'affaires des puissances étrangères au Chili :

Monsieur le chargé d'affaires,

Les autorités du Chili m'ont fait arrêter et me retiennent prisonnier aux Anjeles. Elles donnent comme motif de ma détention le projet que j'aurais conçu de soulever les Indiens d'Araucanie et de les déchaîner contre le Chili, pour forcer les populations qui se trouvent sur la rive gauche du Bio-Bio à passer sur la rive droite.

Je proteste, devant vous et devant le monde entier, que jamais je n'ai tenu à mes sujets les discours que l'on me prête, ni provoqué aucune prise d'armes contre le Chili (1).

Les misérables qui m'ont livré n'ont eu pour mobile que les 250 piastres (1,250 fr.) promis par l'intendant Saavedra. Voulant déguiser leur trahison, ils ont mis à ma charge les paroles de guerre prononcées par les Indiens, qui m'ont maintes fois répété qu'ils regarderaient les Chiliens comme leurs ennemis, tant que les populations établies sur la rive gauche du Bio-Bio ne se transporteraient pas sur la rive droite, et que, si ce mouvement ne s'opérait pas de bon gré, ils le feraient exécuter de force. A quoi je répondais qu'il fallait prendre patience, et qu'aussitôt nommé roi je réglerais le tout amiablement.

Voilà, monsieur, les seules paroles qui soient sorties de ma bouche à ce propos. Je proteste donc, comme je l'ai fait depuis mon arrestation, contre la

(1) Aujourd'hui que je suis libre, je renouvelle la même protestation. C'est là une invention des traîtres que l'on a fait entendre à titre de témoins. J'avais jusqu'alors regardé comme très-redoutables les procès basés sur le témoignage des hommes; je crois maintenant qu'on a tout à craindre de la preuve testimoniale.

violation de ma liberté individuelle, contre la violation de ma personne et des droits y attachés, tant comme particulier que comme roi d'Aracaunie et de Patagonie, enfin contre la violation du droit des gens, attendu que tout peuple naît ou doit naître libre par droit naturel, et qu'il peut disposer de lui comme il l'entend.

Or, les Indiens d'Aracaunie et de Patagonie m'ont librement proclamé leur roi et ont adopté mon drapeau bleu, blanc et vert. Nous n'avons fait, les uns et les autres, que ce que nous avions le droit de faire, les Aracauniens et les Patagons en me conférant le pouvoir, et moi en l'acceptant.

Le Chili n'a jamais eu aucun droit sur ces deux pays, ni par conquête, ni par soumission volontaire ; ses lois y ont toujours été méconnues; donc je ne pouvais les violer ni directement ni indirectement.

Le gouvernement chilien reconnaît publiquement et solennellement l'indépendance de l'Araucanie (1): il forme des projets et dresse des plans de conquête. Songerait-il à la conquérir, si elle était sous sa main? Il parle de frontières entre le Chili et

(1) Voir, dans ma défense, les débats législatifs.

l'Araucanie

ces limites ne signifient-elles pas que

là s'arrête le Chili?

Tous les écrits qui concernent l'Araucanie ne font que confesser et consacrer son indépendance. Il n'est pas un seul Chilien que, dans le tête-à-tête, vous n'ameniez à la reconnaître. Mais le gouvernement argue de la constitution: celle-ci donne purement et simplement l'Araucanie au Chili. D'accord, mais cet article de la constitution n'est qu'une lettre morte, puisque l'Araucanie n'y a pas adhéré, et que le Chili ne peut l'y faire adhérer de force.

Ainsi donc les Araucaniens, comme les Patagons, avaient le droit de me nommer leur roi et j'avais le droit d'accepter, pour moi et les miens, le pouvoir qu'ils me conféraient, eux, qu'aucune nation n'avait pu dompter.

Je réitère donc lesdites protestations; de plus je proteste contre toute usurpation dont l'Araucanie et la Patagonie seraient l'objet.

A ces fins, je me place sous la protection de tous les chargés d'affaires au Chili, et je fais particulièrement appel à l'appui de la France, tant pour la conservation de mes droits que pour la conservation de ma personne et ma mise en liberté.

Je vous prie, monsieur le chargé d'affaires, de peser ma supplique dans la balance du droit, et d'avoir l'obligeance de m'en accuser réception.

Veuillez agréer, Monsieur, l'assurance de ma considération la plus distinguée.

Signé ORLLIE-ANTOINE Ier.

Prison des Anjeles, le 27 janvier 1862.

Contre mon attente, je n'obtins de réponse de per

sonne.

Six jours après, j'envoyais au juge de lettres ma défense conçue en ces termes :

Monsieur le juge de lettres,

Moi, Orllie-Antoine Ier, accusé d'avoir attenté à l'ordre public, je dis à Votre Seigneurie, avec tout le respect que l'on doit à la justice :

Le ministère public, par les motifs qu'il déduit, conclut à ce que je sois jugé par un conseil de guerre ordinaire; mais Votre Seigneurie, après avoir pesé mes arguments, ne ratifiera pas ces conclusions, et ordonnera ma mise en liberté, en déclarant que rien ne motive une action contre moi.

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