Page images
PDF
EPUB

deux domestiques. J'ordonnai qu'à partir de Talpan, un soldat de la partie s'avançât pour avertir Rosales qu'on venait à son aide, et qu'ensuite un autre courût savoir le résultat du signal donné. Pendant ce temps, les autres devaient marcher en se dissimulant et à distance, mais pourtant de façon à pouvoir se porter secours en cas d'attaque.

Le premier éclaireur annonça au second que Rosales entretenait Orllie sous les poiriers et près d'un endroit planté de roseaux, mais qu'il y avait quelques Indiens à côté d'eux.

La partie s'étant avancée sans bruit, après avoir assuré ses derrières, Quintana se précipita sur Orllie, se saisit de son épée, et, l'ayant obligé à monter à cheval, l'entraîna avec une vitesse plus qu'ordinaire. Hier, à six heures du soir, le roi d'Araucanie entrait à Nacimiento, au milieu d'une foule qui s'apitoyait sur le sort d'un insensé, dont les rêves auraient pu plonger dans les plus grandes calamités les Indiens ignorants et enclins à prendre pour des réalités la fable et le mensonge.

Orllie mis au secret, je fis procéder à l'instruction de son affaire, et j'en envoie le détail à Votre Seigneurie, ainsi que l'inventaire de son équipage, dans

lequel on a trouvé deux drapeaux semblables à ceux qu'il a distribués aux caciques, et quantité de papiers comprenant des proclamations, des lettres, des projets de constitution, et des pétitions adressées de France à l'effet d'obtenir des emplois dans la nouvelle France. N'étaient l'ignorance, le fanatisme et les préventions des Indiens, cette tentative ne m'aurait paru d'aucune gravité.

Lecture faite de tous ces papiers, je m'applaudis de m'être emparé d'un homme aussi supérieur, capable de capter des esprits avec cette chimère, la fondation d'une nouvelle France.

Orllie reçoit le meilleur traitement possible, c'està-dire avec toutes les atténuations que permettent les nécessités de sa situation. On lui a restitué tout ce qu'on lui avait enlevé, moins les papiers, que j'enverrai demain avec le prisonnier à Votre Seigneurie, aux Anjeles.

Pour que Votre Seigneurie, si elle le juge à propos, puisse instruire la cause et ordonner le payement des frais, je porte à sa connaissance que, jusqu'à ce jour, et sans compter les dépenses qu'occasionnera la translation d'Orllie, j'ai déboursé cinquante piastres.

J'ai cru juste de récompenser largement la bonne

volonté, le dévouement et l'habileté de Lorenzo Villagra, qui s'est si bien tiré de cette entreprise. J'ai donné dix piastres à Rosales, et aux civils une gratification correspondante.

Bientôt, je transmettrai à Votre Seigneurie ce que j'aurai appris de nouveau relativement à l'équipée du roi d'Araucanie.

Dieu garde Votre Seigneurie!

Signé Manuel A. FAES. »

LETTRE DU MÊME AU MÊME.

Nacimiento, le 7 janvier 1862.

Je mets, sous bonne escorte, à la disposition de Votre Seigneurie, le prince de Tounens. Le chef de la partie est le même Rosales qui a contribué si efficacement à la capture de Tounens, dont la présence prolongée à l'intérieur aurait été si préjudiciable.

J'envoie en même temps à Votre Seigneurie l'instruction que j'ai fait commencer contre lui, ainsi que tous les papiers trouvés dans son portefeuille et dans son équipage.

Dieu garde Votre Seigneurie!

Signé Manuel A. FAES. »

CHAPITRE V

Départ de Nacimiento.

Manifestations sympathiques de la foule. Recours au consul de France à Concepcion. Conférence avec l'intendant des Anjeles. - Vive altercation. Incarcération rigoureuse.

Le même jour, 7 janvier, on m'expédia aux Anjeles, entre quatre cavaliers ayant à leur tête un de ceux qui m'avaient vendu, mon propre domestique, lequel s'était adjugé mon cheval, une excellente monture, et m'avait repassé le sien qui était de la pire espèce. Ces cavaliers étaient armés d'un sabre et d'une carabine, fermée par un liége et ornée d'un bouquet de rubans rouges. Quant à mes effets, ils suivaient, transportés à dos de mulets.

Il nous fallut fendre une foule serrée, composée surtout de femmes, qui s'écrièrent: « Puissiez-vous être bientôt libre! » Je les remerciai avec atten

drissement, et elles ajoutèrent : « Est-il possible de donner un si mauvais cheval à un aussi brave seigneur!» Force fut de le changer à moitié chemin, car il refusait le service; et je ne tardai pas à me féliciter d'avoir été si mal monté. Rosales, mon ancien domestique, entra chez un propriétaire pour emprunter un cheval, et tandis qu'on allait le chercher aux champs, on me fit entrer aussi chez M. Zerano c'était le nom de ce propriétaire. M. Zerano m'apprit qu'il était le beau-père du consul de France à Concepcion. Je lui demandai alors s'il voudrait faire parvenir une lettre de moi à son gendre, et, sur sa réponse affirmative, je m'empressai d'écrire brièvement ce que j'avais fait, ce qui m'était arrivé, et la situation dans laquelle je me trouvais. Je terminai en priant le consul de faire part du tout, au plus vite, au chargé d'affaires de France à Santiago, et, en attendant l'intervention de ce dernier, de profiter de sa proximité des Anjeles pour intercéder lui-même en ma faveur.

Au moment où je remettais ma lettre à M. Zerano, arriva le cheval qui m'était destiné, et qui était de bonne race.

Nous arrivâmes aux Anjeles à la tombée de la nuit;

« PreviousContinue »