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doit être aussi pourvu d'une corne de bœuf, qui lui sert à se désaltérer dans les rivières qu'il rencontre.

Les armes sont une lance de cinq mètres de long, en bois très-dur et très-flexible, terminée par une pique très-pointue et aiguisée; des couteaux, des poignards et des sabres, achetés aux marchands chiliens, ou pris sur les soldats chiliens.

Les hostilités ne commencent qu'après de longues délibérations générales.

Ces préliminaires achevés, les Araucaniens vont à la rencontre des Chiliens, leurs seuls ennemis, non pour leur offrir une bataille rangée, mais pour les surprendre.

Lorsqu'ils croient le moment propice, ils se divisent par escadrons celui qui est en tête se met en garde, c'est-à-dire que chaque soldat se dresse sur le pied droit en ramenant la jambe gauche sur la selle et en appuyant le bras gauche sur le cou du cheval, et que, de la main droite serrée contre l'aisselle, il tient en avant sa lance démesurée; après quoi, ce premier corps se précipite sur l'ennemi, qu'il s'agit de traverser ou de mourir, car l'Araucanien ne recule pas. Les Chiliens font feu, quelques hommes tombent, mais les autres passent; et avant que les fusils aient

pu être rechargés, les escadrons suivants se ruent à travers les rangs plus ou moins reformés. Jamais de lutte corps à corps : ce sont des trombes vivantes renversant et détruisant tout sur leur chemin; on n'a pas de peine à comprendre la terreur que de pareils adversaires inspirent aux soldats chiliens.

Dans ce pays, le costume est d'une simplicité primitive pour les hommes, il se compose de deux pièces d'étoffe carrées, dont l'une est destinée à couvrir la partie inférieure du corps depuis la ceinture, autour de laquelle elle est attachée par des lanières de cuir ou des lianes; et l'autre, trouée par le milieu pour donner issue à la tête, tombe sur le buste comme une sorte de mantelet.

Le costume des femmes est à peu près le même ; seulement, elles ont les bras à découvert, afin de ne pas être gênées dans leurs travaux, et leur taille est entourée d'une large ceinture de cuir, que ferment des boucles d'argent. Ce sont elles qui font leurs propres vêtements et ceux des hommes.

Les maisons, faites moitié de bois et moitié de paille, affectent une forme ronde ou légèrement ovale. Au sommet sont pratiqués deux trous par où s'échappe la fumée. La porte ne se ferme pas plus la

nuit que le jour. Devant chaque maison, s'élève une manière de hangar, formé de quatre pieux que surmonte un lit de branchage. Une quinzaine de maisons réunies constituent un village.

L'agriculture ne diffère pas de celle d'Europe; seulement, chaque famille ne sème et ne plante qu'en proportion de ses besoins. Quelquefois il arrive qu'elle se trompe dans ses calculs, et elle se trouve réduite à la viande et aux plantes marines.

La vigne s'acclimaterait très-bien en Araucanie, comme au Chili, où elle a parfaitement réussi, mais où, en général, l'on ne fait guère, par ignorance, que de méchants vins, sauf le mosto de Concepcion, qui, lui, est très-renommé. On se contente de boissons fermentées, préparées par les femmes avec de l'orge, du maïs, du blé et des pommes; quant à la nourriture, elle consiste habituellement en viande bouillie, saupoudrée de farine de blé grillé.

Les Araucaniens sont industrieux; ils travaillent l'argent avec une certaine adresse: ils en font des boucles d'oreilles et autres ornements pour leurs femmes, et, pour leur usage, des éperons, des étriers et des mors. Ce sont eux qui fabriquent leurs selles et leurs lances.

Je ne parle que pour mémoire de leurs plats et de leurs cuillers de bois, aussi bien que de leur poterie qu'ils font sécher au soleil, et de leurs couvertures de laine qui sont l'ouvrage des femmes.

Ils n'ont de relations commerciales qu'avec le Chili; en échange des liqueurs, des mouchoirs, des couteaux, des haches, des pots de fonte, des verroteries, etc., que leur apportent les marchands chiliens, ils donnent des bestiaux dont le pays abonde, des cuirs, des suifs et des laines (1).

Ils n'ont point de monnaie courante, et n'acceptent d'ordinaire celle de leurs voisins que pour la convertir en bijoux.

:

L'Araucanien est une sorte de centaure. Il est toujours à cheval. Les juges même excrcent leurs fonctions à cheval ils tiennent leurs audiences au grand air, dans une plaine; les plaideurs exposent leur cause; les avocats présentent leur défense, et le verdict est aussitôt prononcé. Après quoi, avocats et juges reçoivent chacun, pour leurs honoraires, un mouton ou un bœuf, ou un cheval, suivant l'importance de la cause. Lorsque j'étais sur les bords du Cauten, j'eus l'oc

(1) On pourrait exporter d'Araucanie des millions de quintaux de laine, an prix moyen de 1 franc à 1 fr. 10 cent. le kilogramme.

L

casion de suivre un procès que je vais citer comme

caractéristique.

Un bœuf avait été volé. Selon le propriétaire, un témoin (1) désignait comme le voleur tel individu, déclarant qu'il l'avait vu saigner l'animal, et sa femme recevoir le sang dans un vase, et qu'il avait entendu le voleur, dévorant un morceau du bœuf, vanter l'excellence de sa chair, laquelle prouvait qu'il n'avait pas porté le joug.

Ce témoignage circonstancié ne suffisait pas pour déterminer une condamnation; il fallait encore que le propriétaire lésé indiquât ce qu'était devenue la peau de son bœuf, découpée en lanières ou conservée intacte. Il lui fut impossible de donner un renseignement certain à ce sujet, car, quelques jours après, j'appris qu'il avait perdu son procès.

Lorsqu'un cheval a été volé et que le délit est établi, le voleur est condamné à ramener devant la maison du plaignant le même cheval flanqué de deux

(1) Les témoins ne comparaissent jamais; ils restent dans l'ombre, et pour cause la partie adverse, si elle les connaissait, leur ôterait le moyen de témoigner une autre fois. Les plaideurs payent les témoins.

Le propriétaire du bœuf, dont il est question, me dit qu'il avait payé 50 francs pour savoir comment était mort son bœuf, et qu'il aurait encore autant à donner pour savoir ce qu'on avait fait de son cuir.

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