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main armée, s'il ravageoit les propriétés de ses concitoyens 【murmures). Permettez que j'examine la question en génér

ral.

L'inviolabilité absolue ne peut pas exister dans vos décrets. Quoi ! un individu roi tenteroit de renverser la constitution et d'asservir ses concitoyens, la nation françoise ne pourroit pas le déposer et le punir! Néron, Calignla eussent été inviolables en France ! Ils auroient pu impunément se livrer à tous les goûts féroces dont leur histoire est souillée, se baigner à loisir dans le sang des malheureux que la loi leur (Murmures).

auroit asservis.

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Vous avez déja prévu, dans votre décret sur la régence, an cas où le roi peut être déposé. Me dira-t-on que dans ce moment l'inviolabilité ne peut pas recevoir cette exception; mais je suppose que le cas de la démence n'ait pas été prévu. Prétendroit-on pour cela que la nation füt obligée de laisser les rênes du gouvernement dans les mains d'un imbécille ? Non. Hé bien! voudroit-on conserver un parjure à la constitution, parce que l'assemblée nationale, dans son honozable sécurité, n'aura pas soupçonné que Louis XVI pût le devenir ?

Je prie l'assemblée de suivre avec confiance ce raisonnement dans son développement. Je dis qu'indépendamment de ces deux décrets, et sans qu'il soit intervenu aucun autre décret sur cette matiere; vous êtes dans la nécessité de prononcer en ce moment, ou de faire prononcer la nation sur le délit de Louis XVI.

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Je pourrois m'autoriser ici de l'histoire d'Angleterre et même de la nôtre sous les deux premieres races : je pourrois vous citer les plus célebres publicistes, Rousseau, Mably, Puffendorff, le malheureux Sydney, qui fut lui-même l'exemple de cette terrible vérité, que les rois ne pardonnent jamais; mais je me bornerai à suivre dans tous ses développemens l'un des plus zélés défenseurs des prérogatives du trône, Blakstones: il est assez remarquable pour pouvoir s'y arrêter il se fait les mêmes objections, il finit par les résoudre dans un sens tout contraire. Blakstones a dit que le roi d'Angleterre n'est inférieur à nulle personne sur la terre, en supposant qu'il ne peut abuse de son pouvoir par de mauvais conseils; que sa personne est sacrée : Blakstones prétend aussi que s'il arriveit en Angleterre que le roi pût faire quelque reproche au parlement, ou que les chambres pussent accuser le roi d'abuser de son pouvoir, alors la législature qui accuseroit, et celle qui seroit accusée ne subsisteroient plus, et la constitution seroit renversée, parce que dans le sens de nos

adversaires, la balance des pouvoirs ne pourroit avoir licu, ce qui seroit une grande marque de foiblesse du pouvoir politique.....

Plusieurs voix: On ne vous entend pas.

M. Buzot: Mais si le silence de la loi, ajoute Blakstone, ne nous permet pas de décider toutes les circonstances où un roi est sensé avoir abdiqué sa couronne, ce sera aux générations futures à prononcer à cet égard lorsqu'elles seront forcées, , pour le salut de la patrie, d'avoir recours à ce moyen; car les droits naturels de la société ne peuvent jamais être détruits ou affoiblis, ni par le tems, ni par aucune constitution. Jamais gouvernement, continua-t il, ayant pour principe l'inviolabilité, n'est admis dans toutes les rigueurs de ses conséquences. C'est par ce passage même que je réponds à ceux qui veulent couvrir de son inviolabilité les délits commis par Louis XVI.

Maintenant je m'étonne comment un des préopinans a pu citer à son appui l'exemple de l'Angleterre. Blakstone a bien senti, contre l'opinion du préopinant, que si l'on vouloit conserver le balance des deux pouvoirs, la constitution ne devoit prévoir ni même supposer aucun cas où un des deux pouvoirs seroit jugé par l'autre ; et en cela il est d'accord avec les principes de tous les gouvernemens libres, qui ne reposent que sur la confiance. Il n'auroit pas proposé, comme on l'a fait à cette tribune, des loix de déchéance dont l'application seroit faite par le corps législatif : il auroit bientôt senti que par ce moyen le pouvoir exécutif étoit dans la dépendance du corps législatif chargé du jugement: il auroit bien senti que ces loix devoient nécessairement prêter d'un côté au vague et à l'arbitraire; et de l'autre, qu'elles seroient impuissantes contre un roi qui, par la force des armes, se seroit rendu oppresseur. Il auroit craint avec raison que dans cette lutte effrayante des deux pouvoirs, la constitution ne fût bientôt renversée.

Moi, comme Blakstone, je dirai que si la loi ne veut pas présumer ceux à qui elle confie le pouvoir suprême, capables de renverser la constitution, que si la loi les suppose incapables de faire le mal, attendu qu'elle seroit dans l'impuissance d'y remédier; je pense comme lui que, dans le cas où quelqu'un de nos rois s'efforceroit de renverser les loix constitutionnelles, soit en protestant contre la constitution, soit de tout autre maniere, c'est à la nation, c'est à la génération affligée d'un tel malheur, à prononcer à cet egard, lorsqu'elle se trouvera forcée, pour le salut de l'état, à rechercher des remedes extraordinaires pour des maux qui

ne doivent pas être prévus; car ces droits naturels de la société ne peuvent jemais être détruits ou affoiblis par le tems, et sont absolumeut indépendans de toutes les circonstances. Je dirai: si pour ne pas rompre la balance de tous les pouvoirs, il faut se garder de placer le pouvoir exécutif dans la dépendance du corps législatif; car je ne déteste pas moins la tyrannie des représentans que celle du roi, il ne s'ensuit pas que l'on doive soustraire ce derniar à la jurisdiction impérissable et seule souveraine de la nation sur ses délégués et ses chefs. Pourquoi attribuer au corps législatif? Laissez au peuple à faire une accusation simple; l'accusé avec le coupable; l'accusateur avec le juge.

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Ce seroit ici le lieu d'examiner comment un roi coupable peut être jugé par la nation; mais il ne faut pas enchevêtrer la premiere question, la seule sur laquelle vous ayez à prononcer. Au surplus, quand on auroit posé le principe eût trouvé très aisément un mode d'exécution. Je remarque seulement que ce ne fut pas le parlement d'Angleterre qui prononça la déchéance de Charles II; mais ce fut une convention nommée et convoquée ad hoc pour destituer et remplacer ce roi. Je ne crois pas que dans les principes vous puissiez tenir une autre conduite.

Mais cette convention, me dira-t-on, pourroit occasionner de nouveaux troubles, et précipiter la France dans les plus grands malheurs. Pourquoi, parce qu'il s'agit de remplir une indispensable devoir, chercher à s'en dispenser par de vaines terreurs? La peur nous donnera-t-elle un roi que nous n'avons pas ? Les tyrans aussi craignoient les assemblées du peuple. Ne nous défions jamais de la volonté nationale; n'avons nous pas des preuves assez manifestes de son attachement, de son amour pour la liberté. Lors de la déposition de Charles II, les Anglois pouvoient avoir les mêmes craintes ; la révolution de 1688 offroit les mêmes dangers, les mêmes inquiétudes; cependant la convention ent lieu, et il n'en arriva aucun événement fâcheux. Le parlement, fidele à son devoir, n'excéda point ses droits, et ne s'exposa point à la responsabilité immense dont il étoit chargé. Imitons son exemple; et cependant marchant d'un pas de géant vers le jerme de nos travaux, entouran: nos frontieres de forces respectables, hâtons-nous d'achever notre constitution pour en remettre le dépôt à nos successeurs.

Au reste si l'assemblée nationale se croyoit en droit de juger le chef du pouvoir exécutif, ce ne pourroit être assurémrnt que comme assemblée constituante; et je ne pense pas

que dans aucun cas le corps législatif puisse prononcer un pareil jugement. Dans ce systême toutes les objections qu'on a faites contre le pouvoir du corps législatif, ne peuvent pas nous être opposées. L'assemblée constituante doit se considerer comme la nation elle-même : elle ne doit pas souffrir qu'on place le roi au-dessus du souverain; elle ne peut pas prononcer que le roi ne peut pas être jugé par elle, sans porter une atteinte coupable à la souveraineté du peuple..

Mais l'assemblée, comme corps constituant, peut-elle se considérer encore sous tous ses rapports, comme souverain, comme investie de toute la puissance nationale, de sorte que le peuple ne soit rien pendant qu'elle est assemblée constituante? Un corps de représentans quelconques peut-il enfin se mettre à la place des représentés? J'ose le dire, je ne le crois pas. Il ya plus: dans cette affaire qui paroît avoir été principalement dirigée contre l'assemblée nationale, auroitelle le droit de revendiquer la décision, lorsqu'elle seroit ici peut-être juge et partie tout à la fois? A regret je m'explique à ce sujet ; mais puisque personne n'a encore paru appercevoir cette question sous ce rapport extrêmement délicat, je me permettrai d'en toucher quelque chose.

Comment doit-on qualifier le mémoire du roi? Je ne sais ; mais je craindrois que nos ennemis ne le présentassent comme un appel au peuple. Dans ce cas, l'assemblée nationale pourroit-elle être juge dans sa propre cause? Si elle ne peal juger le roi coupable, elle n'a pas plus le droit de le juger innocent. Sans doute que dans cette circonstance orageuse, la nation entiere a manifesté son dévouement à la constitution que vous avez décrétée. Toute la nation a regardé avec indignation la conduite du roi; moi je crains fort qu'à l'indignation ne succede le mépris. L'indiguation est souvent passagere, comme le sujet qui l'a fait naitre : elle ne laisse après elle qu'une impression légere et fugitive; mais le mépris imprime dans l'ame un souvenir qui est intarissable. Celui une fois méprisé, est perdu pour jamais; mais quel que soit le sentiment actuel de la nation françoise pour le roi, quel que soit son attachement pour vous et son dévouement à la constitution, cela ne change pas la nature de la cause; cela ne vous donne pas un droit que vous ne pouvez pas avoir. Ne tentons pas, messieurs, une asurpation de pouvoirs: nous avons bien assez de la mission qui nous a été confiée, sans nous charger encore d'une autre qui ne nous l'a pas été, La nation elle-même, par une convention de députés nommés ad hoc, jugera si le roi, qui jura la constitution que vous avez décrétée, qui plusieurs fois,

que

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dans le sein de cette assemblée, vous renouvella son serment, qui assura officiellement aux puissances étrangeres qu'il s'étoit déclaré le chef de la révolution et l'amide la constitution, est maintenant un parjure: elle jugera si, au moment où vous aviez annoncé le terme prochain de vos immenses travaux, le roi dût abandonver la France aux horreurs de la guerre, pour se jetter au milieu d'un camp entre les bras de Bouillé et de ses complices, sur une frontiere où les ennemis n'attendoient peut-être que son arrivée pour commencer la guerre et tenter de replacer un despote sur le trône de nos rois elle jugera s'il mérite encore sa confiance et son

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amour.

Elle jugera d'après une information complette de tous les faits, en réunisssant et comparant entr'elles toutes les dépositions, en réunissant et comparant entr'elles toutes les preuve les mouvemens des émigrans sur nos frontieres et leurs menaces insultantes, l'insolence de nos ennemis intérieurs et leurs espérances trahies par une joie imprudente avant le départ même du roi, la inarche des troupes sur son passage pour faciliter sa fuite, les tentatives faites pour suborner les officiers françois, et placer un camp à Montmedi où le roi devoit se trouver, l'état de nos places frontieres dénuées de tout, la protestation écrite et signée, les ordres et la déclaration donnés par le roi, et les intelligences de Bouillé avec les puissances étrangeres, tous ces événemens enfin sur lesquels l'information répandra le plus grand jour. La nation seule jugera si Louis XVI peut prétendre encore à sa confiance, s'il peut reprendre les rênes d'un gouvernement extrêmement difficile à conduire après une longue révolution si l'on peut se promettre enfin sous un tel prince l'ordre et la tranquillité qui ne peuvent renaître que par l'harmonie et la confiance entre les gouvernés, leurs représentans et leurs chefs.

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Messieurs, je pense que vous ne pouvez espérer de tranquilité que dans le parti que je vous propose. Daignez y réfléchir dans le calme des passions; et vous serez convaincus qu'il est conforme aux principes les plus purs, sans vous exposer à augmenter nos dangers. Les puissances étrangeres ne seront point à craindre tant que nous serons unis entre nous : mallieur à ceux qui voudroient nous désunir; mais l'opinion est la reine du monde. Un de vos commissaires vous l'a déjà dit: vous êtes la scule providence à laquelle la nation veuille croire. Ne hasardez pas de perdre cette salutaire confiance et d'exposer la liberté, la constitution, la tranquilité de l'empire françois au ha

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