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fournisseur à la discrétion du client? Tous ne sont pas en position d'attendre l'issue d'un procès qui peut durer un an et plus s'il y a appel; et alors on compose, on fait un sacrifice pour satisfaire aux exigences d'une fin de mois. Dans ces sortes de faillites que font supporter des débiteurs de mauvaise foi, la perte d'argent n'est pas toujours ce qu'il y a de plus sensible, c'est l'injustice à laquelle on est obligé d'acquiescer; et il est peu d'industriels qui n'aient pas passé sous ces fourches caudines de la nécessité.

On voit, par ces quelques indications, quels sont les avantages que le gouvernement pourrait trouver dans les chambres syndicales s'il voulait régulariser leur constitution et les élever au rang d'institution publique.

LIVRE QUATRIÈME.

LA VIEILLESSE.

CHAPITRE PREMIER.

MUTUALITÉ ENTRE LES TRAVAILLEURS.

SES CONSÉQUENCES POUR L'AVENIR DES CLASSES OUVRIÈRES.

On dit, des commerçants, qu'ils concentrent toutes leurs facultés, toute leur intelligence au désir de s'enrichir; que, dans leur cœur, l'amour du lucre altère s'il n'efface pas toute autre affection.

En faisant la part de l'exagération, il y a cependant quelque chose de fondé dans ces reproches. Si la vie et le langage des affaires ne se prêtent pas à l'urba

nité des gens du monde et des oisifs, ou au laisseräller si plein de charmes des artistes; si, pour des hommes dont le temps est le plus précieux capital, tous les rapports, de quelque nature qu'ils soient, doivent être prompts, clairs et précis, les banquiers, les négociants et les commissionnaires pourraient, sans nuire à leurs intérêts, mettre plus d'affabilité dans leurs rapports avec ceux qui ont besoin d'eux, et qu'ils traitent trop souvent en seigneurs suzerains.

Les banquiers surtout ne devraient pas donner raison au proverbe, qui accorde au meilleur d'entre eux les qualités du marbre, qui est froid, dur et poli.

On ne saurait croire, dans cette lutte continuelle d'intérêts matériels entre le faible et le puissant, combien il se commet de petites iniquités et d'injustices qui font distiller, goutte à goutte, le fiel au fond du cœur de certains hommes fiers et irascibles obligés de les supporter. Et l'on cherche la cause de la division. qui existe entre le maître et l'ouvrier, entre le marchand et le fabricant! Que chacun dans sa condition soit juste, c'est son devoir; que ceux que le hasard de la fortune a placés dans une sphère plus élevée que leurs frères, les autres travailleurs, soient faciles dans leurs rapports et souvent moins âpres au gain, tout antagonisme cessera entre les pauvres et les riches.

Que de bien fait une bonne parole à celui qui souffre ! La charité ne consiste pas toujours à ouvrir sa bourse, mais son cœur à plus malheureux ou plus humble que soi.

Ces modestes marchands et fabricants, que les banquiers et les commissionnaires traitent si dédaigneusement, sont les aliments indispensables de leur commerce, qui n'existerait pas sans eux, et dont la société pourrait au besoin se passer.

Ceux des ouvriers qui sont parvenus à s'établir ne devraient jamais oublier leur temps de compagnonnage; quand ils le font, ils sont plus coupables que les autres, car ils connaissent par expérience les souffrances physiques et morales de leurs anciens collègues, et savent les moyens propres à les adoucir.

Enfin tous les travailleurs, quels qu'ils soient, devraient être pénétrés de cette vérité : qu'ils ne forment qu'une armée dont les chefs sont aussi utiles que les soldats sont indispensables, et que les intérêts et le travail de chaque individu concourent au bonheur général et profitent à la fortune publique.

«Pas un homme qui ne vive du produit de plusieurs milliers d'industriels différents; pas un travailleur qui ne reçoive de la société tout entière sa consommation, et, avec sa consommation, les moyens de repro

duire. Qui oserait dire, en effet Je produis seul ce que je consomme, je n'ai besoin de qui que ce soit?

» Le laboureur, que les anciens économistes regardaient comme le seul vrai producteur; le laboureur, logé, meublé, vêtu, nourri, secouru par le maçon, le menuisier, le tailleur, le meunier, le boulanger, le boucher, l'épicier, le forgeron, etc., le laboureur, dis-je, peut-il se flatter de produire seul?

>> La consommation est donnée à chacun par tout le monde la même raison fait que la production de chacun suppose la production de tous. Un produit ne va pas sans un autre produit; une industrie isolée est une chose impossible. Quelle serait la récolte du laboureur si d'autres ne fabriquaient pour lui granges, voitures, charrues, habits, etc.? Que ferait le savant sans le libraire; l'imprimeur, sans le fondeur et le mécanicien; ceux-ci, à leur tour, sans une foule d'autres industriels?

>> Toutes les industries se réunissent, par des rapports mutuels, en un faisceau unique; toutes les productions se servent réciproquement de fins et de moyens; toutes les variétés de talents ne sont qu'une série de métamorphoses de l'inférieur au supérieur 1. >>

1 Proudhon, Qu'est-ce que la Propriété ?

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