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et plus sérieusement efficace. Ainsi, contre l'individualisme commercial, elle n'a trouvé d'autre remède que le monopole! Remède, nous ne dirons pas pire que le mal, mais qui était lui-même le mal, puisque, en assurant la loyauté des denrées fournies à la consommation, il en augmentait le prix et en privait le peuple dans une certaine mesure.

» Le monopole des professions serait un remède aux inconvénients de la concurrence, mais il n'en est pas un aux inconvénients de l'individualisme; la preuve, c'est qu'en limitant le nombre des bouchers, on les a organisés en syndicat. Ne pouvait-on pas les associer sans les limiter? Voilà la question que nous soumettons à tous les esprits versés dans les sciences économiques. Nous croyons fermement que, non-seulement la profession des bouchers et celle des boulangers pourraient être organisées sans que le nombre de ces débitants fût limité, mais que le commerce du vin, comme le commerce de la viande et de la farine, que toutes les branches de commerce, que tous les métiers existants et possibles devraient être organisés sur le principe de l'association; que ces professions devraient former un corps ayant sa tête et ses membres ; c'est-àdire qu'elles devraient avoir des chefs librement élus, chargés de la défense des intérêts collectifs, de l'ad

ministration d'un fonds commun; d'une caisse de secours et de prévoyance, de toutes les institutions qu'on jugerait à propos de fonder; que ce corps élu devrait avoir un certain droit de réglementation et de surveillance disciplinaire sur tous les associés, droit qui serait déterminé par la législation générale, de manière à ne pouvoir porter atteinte ni au principe de liberté ni au principe de propriété, mais qui maintiendrait l'honneur du corps professionnel, en assurant la loyauté de ses productions et la probité de ses opérations. >>

Nous partageons entièrement l'opinion de M. de Lourdoueix sur la nécessité de ramener le commerce et l'industrie dans les voies d'honnêteté dont ils s'écartent trop souvent. Nous sommes encore de son avis, quand il réclame, au nom de la bonne foi commerciale, une surveillance spéciale exercée dans chaque industrie par les industriels eux-mêmes; nous sympathisons de cœur avec lui lorsqu'il émet l'idée de caisses de seCours et de prévoyance venant en aide aux travailleurs malades, ou ne pouvant plus vivre de leur travail. Mais nous aurions désiré connaître les principes sur lesquels repose son système. Cet éminent écrivain sait mieux que nous combien les théories les plus simples, en apparence, offrent de difficultés dans l'exécu

tion, el, tout en approuvant ses bonnes intentions, nous croyons que la pratique en serait, sinon impossible, au moins très-difficile. Autant que nous pouvons en juger par l'aperçu que nous avons soumis à l'appréciation du lecteur, il nous semble que l'on remplacerait l'individualisme personnel, qu'on nous permette cette expression qui rend notre pensée, par l'individualisme de commerce et de métiers dont chaque branche formerait un corps ayant son organisation et sa vie particulière. Ce serait faire revivre les corporations, moins les maîtrises et les jurandes. Nous pensons même que, sans remonter si loin, on peut trouver dans les lois et les institutions nouvelles toutes les ressources nécessaires pour arriver au résultat proposé par M. de Lourdoueix.

En effet, ces corporations, à tout jamais détruites par les décrets de 1791, se sont cependant reconstituées (partiellement, il est vrai) dans ce qu'elles avaient de de plus utile et de plus généreux :

Dans les sociétés de secours mutuels, par exemple, formées dans le principe, soit exclusivement d'ouvriers, soit de maîtres et d'ouvriers, institution qui a reçu un développement nouveau et des bases plus larges, par les lois des 8 mars, 5 et 15 juillet 1850, qui ont établi des sociétés dans toute la France, en ont créée

ne à Paris dans chaque arrondissement, et qui ont fait participer, sous le nom de membres honoraires, ceux qui veulent coopérer à cette œuvre de philanthropie et de fraternité1;

Dans les chambres syndicales, composées de maîtres de chaque industrie, dont la mission est de régler les différends entre acheteurs et fournisseurs, ou entre les industriels entre eux;

Enfin, dans les conseils de prud'hommes qui ont à prononcer sur les questions de tarifs, de livrets, et surtout sur celles qui sont relatives à l'apprentis

sage.

En ajoutant la création de la caisse des retraites pour la vieillesse et l'établissement d'un asile pour les ouvriers blessés et convalescents, ou autrement dire des invalides civils, nous trouvons dans ces di

1 Voir à l'Appendice la loi sur les sociétés de secours mutuels. 2 Voir à l'Appendice la loi sur les conseils de prud'hommes. 3 Voir à l'Appendice la loi sur les livrets des ouvriers des deux

sexes.

Voir à l'Appendice la loi sur les contrats d'apprentissage.

5 Voir à l'Appendice l'extrait de la loi et du décret qui créent une caisse de retraite pour la vieillesse.

Voir à l'Appendice la loi et le décret qui établissent deux asiles pour les ou iers convalescents ou qui auraient été mutilés dans le Cours de leurs travaux.

verses institutions, avec les modifications et extensions que nous proposerons dans la suite de cet ouvrage, un système complet d'assurance contre la misère, et, pour le bien-être des travailleurs, tous les avantages des anciennes corporations, sans les abus qui ont amené leur chute, et sans les entraves qu'elles apportaient à l'intelligence et à la liberté.

Les ouvriers de notre époque ne profiteront pas de toutes les améliorations qui se sont produites depuis 1848; mais leurs enfants leur en seront reconnaissants. L'homme ne se repose pas toujours à l'ombre de l'arbre qu'il a planté.

Malgré les avantages incontestables obtenus par les travailleurs depuis de longues années, s'il était possible de placer dans une balance, d'un côté la portion de bien-être dont ils sont à même de jouir aujourd'hui, et de l'autre les conditions d'existence dans lesquelles ils se trouvaient avant la révolution, on serait étonné de voir qu'elle ne penche pas en faveur de notre siècle.

Voilà la plaie sociale !

Autrefois, le travailleur souffrait plus du corps et moins de l'esprit; aujourd'hui, c'est le contraire, .le corps est mieux portant, l'âme est plus malade; la douleur, pour être déplacée, n'en est pas moins vive,

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