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peu, s'il était adopté, il réaliserait les avantages qu'on en attendait. La position était assez embarrassante pour M. Vidal; il fallait dire aux ouvriers qu'ils n'avaient rien à espérer de ce côté de la république démo-cratique et sociale qui venait d'être proclamée par l'assemblée constituante; et que c'était un tort de vouloir changer les conditions de leur travail pour des chimères qui les rendraient moins heureux. Cependant, il fut obligé de convenir « que dans le moment, et avec les institutions qui régissaient l'industrie, on ne pouvait faire l'application du règlement proposé. » Ainsi se termina, dans l'industrie de la tapisserie, la question des salaires, et les choses continuèrent à se passer comme auparavant.

Depuis cette époque, par suite de la reprise des travaux, la journée ordinaire de quatre francs s'est élevée à cinq, celle de cinq à six. Les autres ont suivi la même progression. La journée des ouvrières est aujourd'hui de deux francs. Cela s'est fait sans bruit, sans pression, sans tarif, par la force naturelle des choses.

Si je me suis longuement étendu sur cette question du salaire, c'est qu'elle s'est présentée à peu près sous la même face dans toutes les industries où elle a reçu une pareille solution.

Quand on examine aujourd'hui ces demandes faites. au nom du progrès, on est étonné qu'elles aient pu un instant occuper si vivement la société. Cependant, toutes ces questions de travail et de salaire avaient été traitées depuis longtemps par des hommes de talent et de style, dans de nombreux ouvrages qui s'étaient répandus dans les classes ouvrières, comme un évangile nouveau, et leur avaient inspiré des désirs de satisfaction et de bien-être matériels qui se sont traduits pour beaucoup en faits coupables et ont attiré sur leurs auteurs la misère et la honte.

Le drame lugubre qui s'est déroulé à Angers prouve quelle perturbation la politique apporte dans les intérêts du travailleur, quelle démoralisation et quelle funeste influence elle a sur son existence et sur celle de sa famille.

Là vivaient des ardoisiers, qui, plus favorisés que des milliers de leurs concitoyens, avaient, dans les conditions de leur travail, tout ce qui pouvait les rendre heureux.

Presque tous ces malheureux, affiliés à la société secrète la Marianne, étaient liés entre eux par un serment dont la révélation était punie de mort. Comme autrefois les membres de la Sainte-Wehem, les francsjuges, ils devaient aveuglément obéir aux ordres qu'ils

recevaient de chefs invisibles, et tuer impitoyablement la victime qui leur était désignée, fût-ce leur parent ou meilleur ami. Au moment où l'autorité découvrit cette association, les conjurés étaient en route, escortés de voitures, pour aller piller la ville d'Angers et en rapporter le fruit de leurs rapines.

Quatre-vingt-quinze accusés comparurent devant le jury. Les plus coupables, les chefs furent condamnés à la déportation hors du territoire et dans une enceinte fortifiée, les autres à la déportation simple, les moins compromis à la détention ou à l'emprisonnement 1.

De pareils actes nous reportent aux plus mauvais jours de la chouannerie et des chauffeurs, et nous feraient douter du progrès de la civilisation, si on ne savait que l'instruction et l'intelligence sont comme ces plantes qui donnent la santé ou la mort, suivant le sentiment qui préside à leur préparation.

Plus récemment encore, les tribunaux correctionnels ont eu à prononcer des condamnations moins graves, il est vrai, contre des ouvriers affiliés à des sociétés secrètes. N'est-ce pas le cas de rappeler ici les paroles de M. Béranger :

Pour plus de détails, voir les journaux judiciaires du 10 octobre 1855 et jours suivants.

« La répression de semblables désordres exige une législation énergique. Énergique! pour atteindre les véritables instigateurs, et séparer d'eux, par l'effet de l'intimidation, les hommes faibles qui se sont laissé entraîner; appliquée avec une grande modération! car l'expérience a prouvé qu'une justice impitoyable à l'égard de coupables de crimes politiques, irrite les esprits au lieu de les ramener, et augmente le mal loin de le guérir.»

De la répression pénale, de ses formes et de ses effets. Par M. Béranger, membre de l'institut, président à la Cour de cassation.

CHAPITRE IV.

DES GRÈVES OU COALITIONS.

Il y a encore une autre cause de trouble qui vient trop souvent désorganiser la vie du travailleur, c'est la grève, ce que la loi appelle coalition, délit qui entraîne, pour ceux qui s'en rendent coupables, un emprisonnement d'un mois à trois mois, et qui peut être élevé pour les chefs de deux à cinq ans, et cinq ans de surveillance. Ces pénalités indiquent quelle importance la société attache à ce que la vie industrielle ne soit pas subitement interrompue par des exigences ou des prétentions inopportunes.

L'ouvrier, lorsqu'il contracte un engagement avec un maître, peut demander pour sa journée le prix qu'il juge convenable, et refuser son travail si le prix qu'on lui offre ne lui convient pas. Il peut demander

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