Page images
PDF
EPUB

l'amendement de MM. Portalis et Salverte. La Chambre alla aux voix : une première épreuve ayant été déclarée douteuse, une grande agitation se manifesta. C'est un bláme contre le jury, s'écria M. Odilon-Barrot : à l'ordre, à l'ordre, s'écrièrent quelques membres au milieu d'un violent tumulte. A une seconde épreuve l'amendement fut écarté. ·

7 janvier. Un amendement de M. de Tracy provoqua également des débats assez animés. A une phrase du 5° paragraphe, ainsi conçue: « Tout ce qui intéresse les classes laborieuses, tout ce qui a pour but de répandre et d'honorer le travail, sera accueilli par nous avec la plus vive sollicitude», M. de Tracy substituait la rédaction suivante « Tout ce qui tend à accroître les moyens et les ressources des classes ouvrières, en augmentant la demande du travail et sa juste rétribution, etc. » A l'occasion de cet amendement, qu'il repoussait en quelques mots, parce qu'il n'était pas du ressort du pouvoir législatif d'augmenter la demande du travail et d'en balancer la rétribution, M. Charles Dupin développa les questions générales relatives à la condition des classes ouvrières, à l'insuffisance de leur salaire, à leurs coalitions, et aux efforts qu'on faisait pour les employer comme instrumens de désordre, en leur insinuant qu'une nouvelle organisation sociale, que leur admission à l'exercice des droits politiques seraient les remèdes certains de leurs maux. L'orateur invoquait l'expérience pour démontrer que l'abaissement extrême du cens électoral opéré par l'Assemblée constituante, que le suffrage universel décrété plus tard, avaient eu des conséquences désastreuses, et il pensait que les mêmes causes produiraient aujourd'hui des résultats non moins funestes. Attaqué directement sur les opinions qu'il avait émises dans le cours de la discussion générale, M. Garnier-Pagès répliqua, qu'en présence des souffrances de la classe ouvrière, c'était un devoir de leur chercher des adoucissemens; qu'un des plus efficaces serait une plus juste répartition des impôts, et que cette plus juste répartition des Ann. hist. pour 1834.

3

impôts serait une des conséquences nécessaires du suffrage universel. Après avoir encore entendu M. de Tracy qui, protestant contre l'extension qu'on avait donnée par interprétation à son amendement, le ramenait à sa portée réelle d'un vœu de justice, d'humanité et de prudence, et M. Passy, qui pensait que le seul moyen qu'eût le gouvernement d'influer avantageusement sur la condition des classes ouvrières c'était d'établir la sécurité et de répandre l'instruction, la Chambre rejeta l'amendement. Un autre amendement, par lequel M. Teulon proposait que la Chambre exprimât l'espoir de voir le gouvernement élargir prochainement la base des droits politiques, n'eut pas un meilleur sort : il fut rejeté sans discussion. Il en fut de même d'un amendement présenté par M. Lacuée et tendant à manifester le vœu qu'une sage et prudente économie, en diminuant les charges de l'état, adoucît le sort du peuple, par une réduction dans les impôts. Appuyé par le général Demarçay, qui s'étendit, pour justifier cet appel à l'économie, sur les dépenses excessives du département de la guerre, l'amendement fut combattu par M. Duchatel, comme superflu, s'il n'était qu'un vœu, comme inadmissible, s'il renfermait la critique des budgets votés et la promesse impossible à réaliser de diminuer le prochain budget.

L'intérêt des questions soulevées par ces divers amendemens ayant été, pour ainsi dire, épuisé dans la discussion générale, ils n'excitèrent en se produisant que peu de sensation, malgré leur caractère politique; mais toute l'attention de la Chambre se ranima lorsque la délibération, arrivée aux paragraphes relatifs aux affaires étrangères, amena M. Bignon à la tribune.

Laissant derrière lui les points particuliers traités dans des paragraphes spéciaux, M. Bignon prit pour texte le paragraphe 16, qui contenait à la fois une sorte de résumé général et d'énonciation de principe. Ce paragraphe était

ainsi conçu:

«La France, en sa qualité de partie dans les grands contrats européens, a supporté et supporte avec un rare désintéressement l'état de possession si onéreusement établi à son préjudice; elle n'a fait aucun effort pour le changer, mais par cela même n'a reconnu et ne peut reconnaître à aucune puissance le droit de détruire ou d'altérer sans elle ce qui a été. réglé avec son concours ou ce qui existe en vertu d'un assentiment antérieur. Elle se repose sur la sagesse de Votre Majesté, disposée qu'elle est à faire tous les sacrifices que réclameraient la conservation de ses intérêts et la défense de ses droits. »

[ocr errors]

L

Membre de la commission de l'adresse et parlant en son nom, l'orateur déclarait que les termes employés au passé s'appliquaient à la Pologne. Aux yeux de la commission, d'après les protestations du ministère britannique et du ministère français, l'oppression de la Pologne, oppression contraire aux traités, n'était qu'un fait matériel et point un droit établi; on rentrerait, au contraire, sous l'empire du droit et dans les limites des traités, le jour où les Polonais briseraient le joug des Russes.

« Le jour où les Polonais eux-mêmes briseraient leurs chaînes, continuait l'orateur, le jour où d'autres nations les affranchiraient du joug de fer qui pèse sur eux, ce jour-là, ce serait le droit qui reprendrait son empire, ce serait la justice qui remplacerait l'usurpation, ce serait l'humanité qui triompherait de la barbarie. Tout n'est pas perdu pour la Pos logne ; il lui reste un patriotisme, un esprit de nationalité, que les $ cons fiscations, les cachots, les tortures ne sauraient détruire; il reste pour elle des affections et des voeux sincères dans le cœur de plusieurs rois; il lui reste les sympathies de tous les peuples; il lui reste la providence et

l'avenir. »

[ocr errors]
[ocr errors]

J

[ocr errors]

.es

‚t la anai

S'il y avait pour la Pologne malheur accompli que la France n'avait pas reconnu, il y avait pour d'autres états ménace del, malheurs semblables, que la France ne devait pas plus reconnaître, et c'était contre ces éventualités que l'adress mettait en garde. La Turquie était menacée par la Russie, états de la Confédération germanique par l'Autriche e Prusse, l'Italic enfin par l'Autriche; la France ne reco trait pas plus des atteintes portées à l'indépendance.' états, qu'elle ne reconnaissait la situation actuelle d logne. Et cette non-reconnaissance, cette protes' droit contre le fait, n'étaient pas choses à dédaign ne pouvait pas être dit consommé, tant que la F gleterre ne l'avaient pas reconnu. Dans ce

1/

de ces

Le la Po

ation dú

er; un fait rance et l'Antte situation,

[ocr errors]

tou

devant des circonstances imminentes, il était bon et utile que le grand principe, formulé par le paragraphe, fût posé: quant à l'application, il n'appartenait qu'au gouvernement d'en décider.

<< Tout ce qui est de notre domaine, ajoutait M. Bignon, tout ce qui dépend de nous, c'est de bien constater que, sur les questions où l'honneur et l'intérêt français seraient en jeu, toujours le gouvernement pourra compter sur la Chambre et sur la France; que toujours elles seront prêtes à lui offrir toute l'étendue et toute l'énergie de concours dont il aurait besoin. Notre tâche à nous, messieurs, sera donc remplie par la consécration d'un principe fondamental, dont l'application, déjà faite à un événement accompli, s'étende d'avance à tous les autres événemens de même nature que l'on peut craindre de voir se développer dans un temps plus ou moins prochain. Vous ferez un acte de prudence, utile pour le pays et pour le gouvernement, en adoptant le paragraphe que vous propose à l'unanimité votre commission. (Marques prolongées d'adhésion. )`»

Ces paroles, d'autant plus graves qu'elles étaient plus mesurées, avaient fait sur l'assemblée une profonde impression, qui redoubla encore lorsque le ministre des affaires étrangères parut un moment à la tribune pour donner, en ces termes, une entière adhésion au discours de M. Bignon:

«Les principes que l'honorable préopinant a mis en avant, nous les admettons; ce qu'il désire, nous nous efforcerons de le faire. Dans les explications qui vous ont été données au nom de la commission, il n'est rien que nous ne nous proposions d'exécuter, si le cas s'en présentait. (Très-bien! très-bien ! ) »

La discussion ainsi engagée conserva l'allure large et libre que lui avait imprimée M. Bignon, en ne tenant pas compte des divisions de matières : le vote des paragraphes et des amendemens fut provisoirement suspendu, et de nombreux orateurs prirent part aux débats.

un n

M. de Corcelles critiqua violemment la marche suivie dans tes les questions étrangères; il ne voyait pas précisément nauvais vouloir dans les actes qu'il signalait, mais un 'e, un dangereux vouloir, et il regrettait de ne pas un ministre des affaires étrangères vraiment respon

aveugi trouver sable.

8 janvier

l'Orient rena

~. M. de Lamartine, qu'un voyage récent dans 'ait compétent sur la matière, éclaira d'une vive

lumière la situation de l'empire ottoman. Il le montra dans une complète décadence. Sa décomposition devait faire naître un nouveau système européen, dont les bases fondamentales seraient, qu'aucune puissance ne pourrait intervenir isolément dans les affaires de la Turquie, mais que tous les états d'Occident établiraient un protectorat général et collectif sur l'Orient. Cette opinion fut combattue par M. Delaborde, qui pensait que la chute de l'empire turc serait de toutes façons un signal de guerre, et que par conséquent sa conservation était le seul but que l'on pût se proposer.

On a vu plus haut que le ministre du commerce avait cherché à convaincre d'erreur l'opposition en général, et M. Mauguin en particulier, dans leurs prévisions et leurs prophéties. M. Mauguin rétorqua l'inculpation et accusa à son tour le ministère de manquer de fixité, de constance dans les principes, et de prévoyance. Après avoir posé le principe de la non-intervention, on intervenait en Espagne, et cette intervention, sans être actuellement utile, pouvait devenir dangereuse. Quant aux affaires de Portugal, on avait reconnu, sous le ministère de M. Casimir Périer, dona Maria; on ne la reconnaissait plus : elle avait été reçue en reine à son arrivée en France; elle venait d'en partir en simple particulière. Relativement aux affaires de Pologne, d'Orient, d'Allemagne et d'Italie, M. Mauguin rappelait qu'il avait dit en 1832, et depuis, que la Russie réduisait la Pologne à la condition de province russe, et qu'elle menaçait la Turquie; que la Prusse et l'Autriche menaçaient les petits états germaniques, et que cette dernière puissance menaçait de plus l'Italie. Le ministère avait constamment répondu par des dénégations, par des assurances pacifiques, et cependant le projet d'adresse, adoptant le système de l'opposition reproduisait les craintes qu'elle avait exprimées; et cependant, ce qui était un fait très-remarquable, le ministère venait d'adhérer aux principes et aux explications de la commission. L'orateur faisait ressortir toute la gravité de ce fait,

« PreviousContinue »