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CHAPITRE VI.

SUISSE. Tentative des étrangers réfugiés en ce pays pour révolutionner la Savoie. Insuccès de cette tentative.-Notes diplomatiques à ce sujet. -Mesures prises contre la Suisse par les états voisins. Expulsion de tous les étrangers qui avaient pris part au mouvement contre la Savoie. -Le Vorort envoie une députation au roi de Sardaigne. Nouvelles notes diplomatiques.-Arrangement de cette affaire.-Ouverture de la diète. Débats sur les notes diplomatiques et la conduite du Vorort. -Décision de la diète. - Protestations de Berne et de Lucerne contre cette décision.-Contre-protestations des autres cantons.-Question de la révision du pacte.-Clôture de la diète.-Note adressée par l'Autriche ' au canton de Berne, à l'occasion d'une réunion d'ouvriers allemans. Cessation des communications diplomatiques avec Berne.

ITALIE. SARDAIGNE. Conclusion d'un emprunt. - Prospérité matérielle du pays..

MODÈNE. PARME. TOSCANE. ETATS-ROMAINS. Détails divers.
DEUX-SICILES. Arrangement des difficultés entre Naples et Maroc.
du pays.

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- Etat

Sortie heureusement de ses troubles intérieurs en 1833, la Suisse s'est vue jeter cette année dans de nouvelles complications, par suite d'une tentative préparée sur son territoire pour révolutionner la Savoie et le Piémont.

Des dépôts d'armes et de munitions avaient été formés dans les cantons de Vaud et de Genève, où se dirigèrent successivement, et par escouades plus ou moins nombreuses, un millier de réfugiés environ, polonais, allemands et italiens, qui se disposaient à envahir la Savoie: le général Romarino, connu par sa participation à la guerre de la Pologne contre la Russie en 1831, vint se mettre à leur tête; des proclamations républicaines adressées aux militaires et aux habitans annoncèrent le but qu'ils se proposaient. Il paraît en outre, qu'une révolution populaire à Genève entrait dans le plan de cette expédition, et que l'arrivée des réfugiés dans le canton devait en être le signal.

Les autorités génevoises curent donc à prendre des me> sures pour empêcher les réfugiés d'exécuter leur mouvement sur la Savoie, et en même temps à se défendre contre des tentatives d'émeute dans l'intérieur de la ville. La générale avait été battue le 1" février au matin, et une partie considérable de la milice se trouvait sous les armes. Des cris séditieux retentissaient dans les rues, des groupes d'hommes où l'on remarquait beaucoup d'étrangers présentaient une attitude menaçante, la milice elle-même montrait des dispositions équivoques.

Des Polonais, arrêtés isolément par la gendarmerie cantonnale, furent arrachés à leur escorte et emmenés à Carrouge, où était le rendez-vous général des réfugiés. De ce point ils se portèrent le 2 février sur Annecy par la route du Châble. Ici le poste de douaniers piémontais fut enlevé, et les insurgés poursuivirent leur marche; mais bientôt, instruits qu'un corps de cavalerie piémontaise arrivait à leur rencontre, ils se replièrent sur le bourg d'Annecy, où ils dissipèrent à coups de fusil un peloton de carabiniers royaux et de douaniers qui avait essayé de défendre le pont de l'Arve. Maîtres de ce bourg, ils affichèrent une proclamation et arborèrent le drapeau cisalpin (rouge, vert et blanc), sans parvenir à exciter le moindre mouvement dans la population. Après une halte de deux ou trois heures dans cet endroit, ils s'avancèrent sur la route de Thonon où ils s'attendaient à être grossis par les insurgés du Bas-Châblais. Le général Romarino en personne commandait cette petite colonne, réduite dès le milieu du jour à 400 hommes mal armés pour la plupart, excédés de fatigues et incapables de soutenir un combat prolongé contre un corps régulier; et en effet avant la nuit elle fut obligée de se disperser devant les troupes piémontaises, envoyées par deux routes différentes à sa poursuite. L'expédition avait complétement avorté.

Une tentative du même genre, mais beaucoup plus faible encore, fut faite sans plus de succès du côté des Echelles de

Savoie. Une bande de 80 à 100 hommes, la plupart Savoyards, venant de Grenoble ou des environs, pénétra le 3 vers six heures du soir aux Echelles, en criant: Vive la jeune Italic! et en semant des proclamations républicaines. Le poste des douaniers ayant été surpris et les carabiniers sardes qui l'occupaient faits prisonniers, la bande se porta à dix minutes des Echelles, annonçant l'intention de marcher le lendemain sur Chambéry, lorsque vers minuit une compagnie sardese présenta et engagea une fusillade de quelques instans, après quoi les insurgés, qui avaient eu quelques hommes tués ou pris, se hâtèrent de se réfugier sur le territoire français, où ils rendirent leurs armes et leurs effets militaires.

La colonne du général Romarino était rentrée ne comptant déjà plus qu'environ deux cents hommes, le 3 au matin, sur le territoire génevois. Elle consentit, non sans difficulté, à mettre bas les armes, et causa de nouvelles alarmes aux autorités de Genève, encouragée qu'elle était dans sa résisLance par une foule d'habitans. Cependant la paix du canton ne fut pas autrement troublée, et bientôt les réfugiés qui avaient concouru au mouvement contre la Savoie furent conduits dans l'intérieur de la Suisse et placés sous une surveillance rigoureuse.

Cette échauffourée qui ne pouvait manquer d'être connue d'avance, et par conséquent de perdre toutes ses chances de succès si elle avait pu en avoir, le vorort de Zurich et les gouvernemens des cantons limitrophes de la Savoie ayant usé de tous leurs moyens pour désarmer et retenir les réfugiés; cette échauffourée, disons-nous, eût été promptement oubliée, sans un déluge de notes diplomatiques qu'elle attira sur la Suisse de la part des puissances étrangères.

La Sardaigne vint naturellement la première. Elle com mença par exprimer ses remercimens au vorort, pour les mesures qu'il avait recommandées aussitôt qu'il avait eu connaissance des événemens qui se préparaient. Mais ces sages dispositions prévenues avec l'empressement le plus amical

par le gouvernement du Valais, secondées ou devancées par les gouvernemens de Vaud et de Genève, avec une loyauté d'intentions que le ministre sarde en Suisse se plaisait à reconnaître, « n'ont pu empêcher, ajoutait-il, que le territoire de S. M. n'ait été violé de la manière la plus scandaleuse; que son écusson n'ait été brisé; que ses employés n'aient été insultés, maltraités; que les armes d'un de ses postes de douanes n'aient été enlevées; qu'une caisse publique n'ait été pillée; qu'une bande de révolutionnaires armés n'ait osé pro clamer sur la terre du roi, mon auguste maître, un soi-disant gouvernement insurrectionnel provisoire, et publier des proclamations pour appeler les sujets de S. M. à la ré

volte. >>

Le vorort savait, disait encore le ministre sarde, comment on avait prélude à l'attaque par de ténébreuses machinations, dans quels lieux et par quels moyens on avait fait sur le territoire suisse des dépôts d'armes, des associations, des recrutemens pour l'invasion projetée, sans que la surveillance des autorités eût prévenu à temps, ou ait pu réprimer ces désordres. Bref, le ministre déclarait que l'état des choses n'offrait plus la garantie que toute puissance a le droit d'exiger de ses voisins, et que c'était contre l'occasion même qui avait fait naître le danger, que le gouvernement du roi, dans ses plus légitimes intérêts, comme dans l'intérêt général, devait demander d'être rassuré pour toujours.

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1« J'ai reçu en conséquence, continuait-il, l'ordre de réclamer avec instance et de la manière la plus positive l'intervention du Directoire fédé ral, pour que les réfugiés politiques qui se trouvent encore dans les cantons limitrophes des états de S. M. le roi de Sardaigne soient contraints de s'en éloigner avant qu'ils aient muri les nouveaux projets dont ils se vantent; pour que ces cantons, forts d'une triste expérience qui a éclairé maintenant la raison publique, n'admettent plus à l'avenir dans leur sein aucun de ces hommes qui se proclament eux-mêmes les ennemis irréconciliables de tout ordre établi; pour que des comités, semblables à celui qui s'était intitulé ici comité d'honneur, destinés à rassembler, à coordonner des élémens révolutionnaires, ne soient plus, tolérés en Suisse. Je dois enfin prier VV. EE. de vouloir bien recommander toutes les précautions, toutes les mesures que l'inexécution des dispositions déjà prises ou les circons tances qui surviendraient pourront nécessiter, afin de rendre désormais impossible le retour des désordres dont nous venons d'être les témoins, et

de l'attentat inouï qui a été commis en pleine paix contre la souveraineté du roi mon maître et le repos de ses fidèles sujets. »

L'Autriche, le grand-duché de Bade, la Bavière, le Wurtemberg, la Confédération germanique, Naples, la Prusse et enfin la Russie, après des récriminations analogues sur la tolérance que les réfugiés avaient rencontrée de la part des autorités subalternes, dans les préparatifs de leur expédi tion, exposèrent les mêmes exigences que la Sardaigne. La Russie, que l'on n'était pas médiocrement étonné de voir intervenir dans une affaire qui la touchait si peu, insista en outre, de la manière la plus formelle,« sur la dissolution des comités de propagande révolutionnaire qui, sous différéns noms et prétextes, mais tous dans le même but hostile envers l'ordre et les droits établis en Europe, s'étaient formés en Suisse, et continuaient avec autant d'audace que d'impunité. »

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Le vorort ou directoire fédéral répondit qu'avant que ces diverses notes lui fassent parvenues, il avait déclaré indignes de l'hospitalité en Suissé tous ceux des réfugiés politiques qui avaient participé à l'attentat contre la Savoie, et que dès le 18 février il avait invité les cantons de Vaud et de Genève à faire sortir ces réfugiés du territoire suisse. En adoptant de pareilles mesures, le vorort était parti du principe, qu'à côté du droit appartenant à chaque état de recevoir chez lui des réfugiés étrangers qui se tiennent tranquilles, droit que la Suisse libre avait toujours su maintenir, et auquel elle ne permettrait pas qu'il fût jamais porte la plus légère atteinte, se trouvait le droit d'empêcher des réfugiés qui profitent de l'hospitalité pour jeter le trouble dans d'autres états, de renouveler de pareilles tentatives. En ce qui concerne le mouvement tenté contre la Savoie, les diverses mesures prises, tant par le vorort que par les gouvernemens limitrophes de ce pays, prouvaient que les autorités suisses avaient la ferme volonté de respecter toutes les règles du droit des gens sur lesquelles est fondée la bonne intelligence entre les états libres et indépendans; et si malgré

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