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Parmi les questions que nous aurons à examiner, il en est une dont je ne vous ai pas encore parlé et qui tient à la fois de nos deux grands principes fondamentaux: le TRAVAIL et le CAPITAL. Cette question, toute moderne, est celle des machines, de ces merveilleux instruments qui, inventés par l'homme, le supplée à leur tour, se font intelligentes à son image et accomplissent tout le labeur matériel pour ne plus lui laisser que le soin de la direction; des machines, en un mot, qui exigent le concours du travail des plus savants et des plus habiles, et des capitaux des plus riches et des plus puissants.

Malheureusement les machines, comme toutes les choses humaines, ne sont pas parfaites. Si elles ont l'avantage de produire beaucoup, vite, mieux et à plus bas prix, elles ont aussi le grave inconvénient de supprimer le travail,et de réduire, pour un temps, à une misère profonde ceux qu'elle récompensera plus tard, sans doute, avec usure, mais peut-être trop tard!

Voyez une filature de coton, travailleuse infatigable, marchant jour et nuit tant que le feu dévore ses poumons de fer; pénétrez dans ses salles et admirez avec quelle facilité un homme et un enfant font en se jouant le travail de 3 à 400 fileuses d'autrefois. N'est-ce pas là un magnifique résultat? Et lorsque vous vous rappelez que, malgré cet immense économie de main-d'oeuvre, il y a cependant aujourd'hui vingt fois plus d'ouvriers employés à la filature du coton qu'avant la découverte d'Highs, perfectionnée par Arkwrigtt et Hargreaves, n'avez-vous

pas un irréfutable argument contre ceux qui se plaignent des machines? Oui sans doute. Mais songeons cependant qu'avant d'en arriver à cette révolution si heureuse, il a fallu traverser des temps. bien durs, et que beaucoup de travailleurs dépossédés sont morts de faim ou tombés à la charge de la paroisse.

Sans doute, malgré les maladies de la croissance, l'humanité avance et marche; mais devons-nous considérer les choses seulement de ce point de vue, et devons-nous détourner les yeux du spectacle affligeant de tant de laborieux travailleurs, que chaque machine nouvelle vient jeter en proie à l'oisiveté et à ses déloyales suggestions?

Qu'importe à l'ouvrier auquel vous promettez dans deux ans un salaire raisonnable, et du drap ou de la toile à meilleur marché qu'aujourd'hui, s'il ne peut dîner demain? Ah! combien il escompterait volontiers cet avenir si attrayant pour la sécurité qu'il n'a plus.

Cette question, quoique posée depuis longtemps, est encore pendante. Elle a inspiré le livre d'économie politique le plus éloquent que je connaisse, les Nouveaux Principes de M. de Sismondi, et ni lui, ni d'autres, jusqu'ici n'ont pu la résoudre. Elle sou·lève avec elle toutes les difficultés attachées à ces grands problèmes des salaires, de l'intérêt de l'argent, de l'usure, etc.; et, comme vous le pensez bien, elle ne concerne pas seulement la filature du coton, mais toutes les industries, depuis la plus humble en apparence jusqu'à la plus importante: la navigation

à la vapeur, les chemins de fer, les scieries mécaniques, les moulins à vapeur, les terrassements mécaniques, les ciselures, les gravures mécaniques; les procédés Collas, Gavard et Grimpé; un pour dessiner et lever les plans sans calcul et triangulation, l'autre pour produire sur le papier le relief des médailles et des bas-reliefs; l'autre enfin pour sculpter en quelques minutes, et pour trente-cinq centimes, des bois de fusil que les ouvriers les plus habiles ne pouvaient faire qu'en un jour, et au prix de 4 francs 50 centimes et encore maintenant au prix de 2 francs 50 centimes. Les mêmes machines, différemment disposées, vont être employées pour la sculpture des bois destinés à la décoration intérieure des appartements. Il y aura là encore bénéfice pour la consommation; mais, pendant un temps, souffrances pour les ouvriers momentanément privés de travail.

Ce sont toutes ces complications, et celles dont je vous ai parlé précédemment, dont nous aurons à nous occuper ensemble, pour leur trouver, s'il est possible, un remède efficace.

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Vous vous rappelez ce que nous avons dit sur l'influence économique des capitaux et du travail, qui sont les véritables sources de la production et comme les deux grands bras du progrès. Malheureusement, ainsi que plusieurs exemples nous en ont fourni la preuve, leur emploi n'est pas aussi simple qu'on pourrait le désirer; il est entravé souvent ou du moins rendu difficile par des embarras et des complications de toute nature.

Chaque jour on voit des hommes réussir où d'autres se sont ruinés, et d'autres échouer lorsque tout semblait devoir les faire prospérer. Ces contradictions apparentes, que l'ignorance rejette sur le hasard, sur la bonne ou mauvaise fortune, s'expliquent presque toujours par des différences dans l'observation des lois rigoureuses de l'économie industrielle. Un exemple fera mieux ressortir l'exactitude de cette proposition.

Soit, deux capitalistes voulant tous deux établir une filature de coton, et ayant tous deux une somme de 300,000 francs à consacrer à cette entreprise.

Admettons que tous deux se conforment égale

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ment à cette prescription de la science, qui veut que les établissements industriels soient placés dans les meilleures conditions pour l'approvisionnement des matières premières et des débouchés, c'est-àdire à proximité des grandes places de commerce et sur les bords de routes, canaux, fleuves ou rivières y conduisant.

Tout, jusqu'ici, est égal entre les deux concurrents, parce que tous deux ont été également sages et prévoyants; mais supposons que le choix de l'emplacement une fois fait, l'un des deux entrepreneurs soit possédé, ce qui n'arrive que trop souvent, de la manie du luxe architectural; qu'il fasse élever sa fabrique en pierre de taille, que l'entrée soit un riche portique, que le fronton et les colonnes, leurs chapiteaux et leurs corniches, soient décorés par d'habiles artistes; le tout d'un ensemble à la fois noble et gracieux. Une somme de 200,000 francs aura été facilement engagée dans ces constructions à la fois élégantes et solides; elle grevera le chapitre des frais généraux d'une somme de 12,000 francs pour intérêt du capital mort, et ne laissera au propriétaire, d'ailleurs homme de goût, qu'une somme de 100,000 francs pour son capital circulant, pour ses approvisionnements de matières premières, ses avances de salaires, ses crédits, etc.

Le second capitaliste, au contraire, qui aura plus étudié Barème que Vitruve, aura construit simplement en brique, ses murs seront minces, la porte principale dépourvue d'ornements; le seul luxe du bâtiment et de ses dépendances sera sa propreté et

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