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Le principe général est donc incontestablement reconnu, mais ses applications particulières restent subordonnées à l'agrément du pouvoir réglementaire. « C'est à lui qu'il appartient de décider si la profession d'artiste dramatique doit être inscrite dans le décret d'institution de tel ou tel Conseil de Prud'hommes, déterminé en tenant compte de l'importance de la profession dans les localités, de la nature. des travaux et du nombre réel des employés qu'elle y occupe » (Déclaration de M. Strauss au Sénat, Journal officiel, 23 février 1907, p. 443).

Il est inutile de discuter la singularité théorique de ce départ d'attributions. Pratiquement, en l'absence de tout critérium précis, la solution des questions d'espèces qu'il soulèvera ne sera pas sans présenter de sérieuses difficultés.

A Paris, où la matière est d'ores et déjà réglementée par le décret du 23 mars 1908, les artistes chorégraphes, dramatiques, lyriques, choristes, musiciens, artistes de cirque et de concert et les forains sont classés parmi les justiciables du Conseil de Prud'hommes (Décret du 23 mars 1908, Journal officiel du 24, p. 2090).

Mais en raison de l'assimilation des artistes et directeurs aux employés et patrons commerçants, cette justiciabilité se restreint aux difficultés relatives au contrat d'engagement, entre deux per- onnes ayant entre elles un lien de subordination et seulement lorsque le chiffre de la demande n'excède pas mille francs.

Il est évident que du fait de cette dernière limitation le champ de la compétence des Prud'hommes se trouve sensiblement circonscrit puisqu'un très grand nombre d'engagements stipulent des dédits ou des appointements supérieurs à mille francs. Mais comme on l'a dit au Parlement, avec une insistance peut-être exagérée, la loi nouvelle n'a pas été faite. pour les « étoiles qui par leur talent ou leur réputation ont tous les moyens de se défendre elles-mêmes ». Le législateur de 1907 a surtout visé la protection des petits artistes modestes et malheureux trop souvent exploités par une série d'entrepreneurs ou d'intermédiaires peu scrupuleux, et qui trouveront dans leur admission aux tribunaux prudhommesques le moyen de se faire rendre justice plus économiquement et par une juridiction plus en rapport avec la modicité de leurs prétentions (Journal officiel, 22 février, 16 mars 1907, loc. cit.).

Les artistes étrangers peuvent-ils être admis à participer aux avantages de la loi nouvelle au même titre que leurs camarades français ?

Le doute a pu naître d'une interprétation erronée des exigences de la loi relativement à l'électorat. On s'est demandé si étant donné le caractère arbitral et conciliateur de la juridiction des prud'hommes, il n'en résultait pas la nécessité d'être électeur pour être justiciable et dès lors si les étrangers ne s'en trouvaient pas exclus, puisque la loi de 1907 pose comme première condition de l'électorat l'inscription sur les listes politiques réservée aux seuls nationaux.

Ce serait méconnaître la différence originelle entre le droit de choisir et désigner les juges et celui de recourir à leur arbitrage. Si le premier doit être l'apanage d'une élite de citoyens offrant toute garantie de maturité de compétence et attachés au Pays par le lien de l'indigénat, le second à raison de l'esprit de la loi, doit être extensible au plus grand nombre de travailleurs.

Parmi les Français mêmes, il se trouve actuellement beaucoup d'ouvriers et d'employés qui, pour être dans l'impossibilité de remplir toutes les conditions imposées aux électeurs, n'en sont pas moins justiciables des Conseils de Prud'hommes. (V. entre autres cas celui dont il est question dans l'intéressant article de M. Rouzier-Dorcières, Comœdia du 17 avril 1908.)

Rien du reste dans la loi ne permet d'évincer les étrangers du bénéfice de son application et, dans les conditions actuelles du droit international, ils sont recevables à soumettre leurs revendications au jugement des Prud'hommes.

Le monde des théâtres a énergiquement revendiqué le droit à la juridiction prud'homale, il attend encore beaucoup de sa justice et de ses facilités. Cependant il est à redouter que l'application pratique de la loi nouvelle ne dissipe assez vite l'illusion qui se cache au fond de ces espérances. Sans refuser aux tribunaux de prud'hommes des avantages d'économie, de rapidité, de simplicité, l'on peut, sans témérité, émettre des réserves sur la compétence technique promise (Sénat, séance du 22 février 1907, loc. cit.). Il est des procès de théâtre qui sous l'apparence de minces intérêts matériels dissimulent des délicatesses artistiques ou des « à côté » tout à fait spéciaux dont la solution nécessite moins une habi

tude courante des affaires qu'un peu d'observation psychologique et beaucoup de parisianisme.

A ce point de vue, les Conseils de Prud'hommes offriront-ils plus de garanties que les tribunaux civils?

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QUESTION 175.

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Non applicabilité des

Une étrangère née en France de parents étrangers nés à l'étranger, mariée mineure avec un étranger, ne devient pas Française, avec effet rétroactif, si elle réside en France lors de sa majorité.

Elle ne peut donc être considérée comme ayant perdu la qualité de Française par son mariage; par suite, les enfants issus de ce mariage ne peuvent eux-mêmes devenir Français en vertu de l'art. 10 du Code civil.

Une question de nationalité, nouvelle et intéressante, s'est récemment posée devant le tribunal de Nice et la Cour d'Aix (Clunet 1908, p. 498). Son intérêt naît de ce fait que, pour la résoudre, il est nécessaire, à notre avis, de dégager nettement les conditions que doit remplir la résidence en France d'un étranger soumis à l'art. 8, § 4, du Code civil, pour que cette résidence entraîne, pour lui, attribution de la nationalité française.

L'espèce est la suivante : M. Squillario, Italien, né en Italie, avait souscrit le 26 avril 1906 devant le juge de paix de Nice, au nom de son fils mineur, Paul-Jules, né en Suisse, une déclaration en vue de réclamer en son nom la qualité de Français, conformément à l'art. 10 du Code civil. Il se fondait sur ce fait que sa femme, Martinelli, Pauline, née à Grasse (A. M.) le 16 mars 1874, de parents italiens nés en Italie, était devenue Française à l'âge de vingt et un ans (art. 8, $4, du Code civ.) puisqu'elle résidait en France à cette époque et bien qu'elle fût à ce moment engagée dans les liens du mariage avec un étranger. Il soutenait qu'en vertu de l'effet rétroactif de l'acquisition de la nationalité française (art. 8, § 4), sa femme devait être considérée comme ayant été Française dès sa naissance: elle aurait perdu cette qualité

pendant sa minorité par suite de son mariage avec un étranger (art. 1) Code civ.) : d'où il résultait que son enfant se trouvait être né d'une femme ayant perdu la qualité de Française et remplissait par suite la condition imposée par l'art. 10 du Code civil pour devenir Français à son tour par l'effet d'une simple déclaration.

La Chancellerie n'adopta pas cette interprétation de la loi : pour elle, la demoiselle Martinelli, en se mariant avec un étranger, était devenue pleinement étrangère; elle avait, pour ainsi dire, effacé l'effet de sa naissance en France et tacitement renoncé à se prévaloir du bénéfice de l'art. 8, § 4, du Code civil. La Chancellerie considérait qu'au surplus le législateur a voulu que la nationalité de la femme fût fixée irrévocablement par le mariage et qu'elle ne fût modifiée dans l'avenir que par une manifestation de sa propre volonté et avec l'autorisation de son mari: s'il en était autrement, l'unité de statut se trouverait rompue malgré le désir contraire des conjoints; la femme pourrait acquérir la qualité de Française malgré son mari ou pourrait être empêchée par celui-ci de l'abandonner s'il refusait de l'autoriser à souscrire une décla ration de répudiation.

Le tribunal et la Cour ont adopté la thèse de la Chancellerie; mais alors que la Chancellerie s'était gardée de rappeler en cette matière la fiction de rétroactivité de l'art. 8, § 4, le tribunal et la Cour l'ont au contraire invoquée. Or, il semble tout d'abord qu'on ne peut que louer le ministère de la justice de n'avoir pas fait sienne cette théorie des conditions suspensives et résolutoires en matière de nationalité qui engendre des conséquences si extraordinaires. Sans vouloir nous livrer à une étude complète de cette question, bornons nous à faire observer que, pour qu'il y ait condition, il faut un contrat, un accord de volontés entre personnes capables. Or, à quel moment, dans l'art. 8, § 4, intervient la pollicitation de l'Etat qui offre à un étranger, remplissant certaines conditions déterminées par la loi, de devenir Français, s'il le désire, ou de répudier cette qualité, s'il le préfère? A quel moment intervient l'acceptation de l'offre ? Est-ce à la naissance de cet étranger? Non, évidemment, puisqu'il ne remplit pas encore une des deux conditions imposées par la loi dans l'art. 8, § 4: la condition de résidence en France à vingt et un ans et qu'on ne sait même pas s'il la remplira

jamais. C'est à sa majorité seulement que l'accord interviendra que l'offre de la nationalité française sera acceptée ou refusée. Par suite, si l'on veut assimiler, dans une certaine mesure, ce que nous croyons possible, l'application de l'art. 8, § 4, à une sorte de contrat entre l'Etat et un particulier, c'est à l'époque de la majorité de ce dernier que ce contrat prend naissance et se conclut par suite, les règles relatives aux conditions ne sauraient conduire, en l'espèce, à faire remonter les effets dudit contrat à la naissance de l'étranger intéressé. (Dans le sens de la non-rétroactivité : BaudryLacantinerie, t. I, p. 69; Lesueur et Dreyfus, La nationalité, p. 165; Campistron, Commentaire pratique, p. 107; Ch. Foulquié, Etude sur la rétroactivité de la condition; G. de Lapradelle, La nationalité d'origine, p. 299 et s.; Stemler, dans Clunet 1890, p. 393 et s. En sens contraire: Weiss, Traité, p. 166; Vigié, Cours de droit civil français, t. I, p. 60.)

Quoi qu'il en soit, tout en admettant que l'acquisition de la nationalité française en vertu de l'art. 8, § 4, soit rétroactive, ni le tribunal ni la Cour n'en ont tiré les conséquences qui auraient paru logiques et que le sieur Squillario en avait tiré lui-même. Pour refuser d'admettre sa prétention, ils ne disent pas, il est vrai, avec la Chancellerie, que la femme a renoncé tacitement par son mariage aux avantages futurs de l'art. 8, 24, ce qui n'est guère soutenable, en effet, car notre loi sur la nationalité ne connaît pas, en cette matière, de renonciation tacite, et a pris soin, au contraire, de ne permettre les renonciations que dans une forme obligatoirement authentique et solennelle. Mais ils admettent, comme la Chancellerie, que l'acquisition de la qualité u'étrangère par le mariage est définitive et irrévocable aux yeux de la loi française, que la nationalité de la femme ne peut être modifiée qu'avec l'autorisation de son mari ; et la Cour ajoute que le mariage de la femme mineure crée un obstacle à l'application de l'art. 8, § 4, parce que ladite femme n'avait qu'une aptitude à l'acquisition de la nationalité française et que cette aptitude a été anéantie par le mariage.

Examinons sommairement ces divers arguments.

Dire que la nationalité étrangère de la demoiselle Martinelli a été définitivement fixée par le mariage nous paraît être une fausse interprétation de la loi française, et constituer, en outre, une méprise sur le statut qui était applicable à l'intéressé.

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