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formules empruntées à la loi anglaise et qui énuméraient les catégories d'objets dont les dommages donnaient lieu à l'application de ce système. Au point de vue français, ce genre de rédaction avait paru, à juste titre, un peu singulier. Il donnait lieu effectivement à des difficultés et ne visait pas les indemnités d'assistance ou de sauvetage. L'avant-projet adopté à Venise contient la disposition suivante :

« Le propriétaire du navire n'est tenu que sur le navire, le fret et les accessoires du navire et du fret afférents au voyage : a 1o Des faits et fautes de l'équipage, du pilote ou de toute autre personne au service du navire;

« 2o De l'indemnité d'assistance ou de sauvetage et des obligations contractuelles ou légales assumées par le capitaine.

« Le propriétaire est tenu sans limitation des gages de capitaine et de l'équipage et des créances pour réparations et fournitures ».

On doit se féliciter que l'accord ait pu se faire sur cette formule nouvelle qui est bien meilleure à tous égards que celles qui avaient été antérieurement adoptées.

Il convient de noter, en particulier, parmi les autres dispositions de l'avant-projet, celle qui est relative à la saisie du navire en cours de voyage. La saisie conservatoire, qui occupe si peu de place dans notre droit écrit et qui joue cependant un rôle si considérable dans la coutume maritime, a servi à dénouer avec facilité l'une des questions que soulevait la divergence des législations. Le patrimoine de mer est-il le seul gage des créanciers pour l'ensemble des accidents qui peuvent survenir au cours du voyage? Ou bien constitue-t-il un gage par accident? Les membres anglais étaient attachés à ce dernier système. On s'est aperçu que la pratique de la saisie leur donnait satisfaction etqu'en réalité il n'y avait pas matière à controverse, puisqu'après chaque accident, les créanciers peuvent saisir le navire et se faire donner une caution.

1. Le propriétaire du navire n'est pas tenu personnellement, mais seulement sur le navire, le fret, etc... des dommages ou pertes occasionnés par le fret du capitaine, etc. :

1° Aux biens, marchandises et tous autres objets quels qu'ils soient, se trouvant sur le navire;

2. A un autre navire, aux biens, marchandises et tous autres objets, quels qu'ils soient, se trouvant à bord d'un autre navire;

3° Aux digues, quais et autres objets fixes.

L'avant-projet, dans cet ordre d'idées, dit que la caution donnée n'est pas affectée par des événements ultérieurs. Par le jeu naturel de la pratique dont il s'agit, la fortune de mer, qui constitue un gage par voyage, peut être forcée d'enfanter, après chaque sinistre motivant son arrêt, une filiale qu'elle laisse comme otage afin de recouvrer sa liberté et qui constitue le gage incommutable et exclusif des créanciers diligents.

Le dernier avant-projet prévoit, ce que n'avaient pas fait les précédents, le cas de la séparation des qualités de propriétaire et d'armateur. Bien entendu, lors que le propriétaire et l'armateur sont une même personne, la responsabilité du propriétaire ne saurait se doubler d'une responsabilité d'armateur de nature et d'étendue différentes. S'il n'y a pas de responsabilité illimitée dans ce cas, il ne doit pas logiquement en exister une dans celui où les qualités de propriétaire et d'armateur appartiennent à des personnes distinctes. Sur ma proposition, l'Association française avait demandé l'addition. d'une disposition visant ce dernier cas. L'idée a été accueillie et il a été énoncé que l'armateur non propriétaire et l'affréteur ne sauraient être tenus d'une responsabilité indéfinie 1.

La Conférence ayant chargé le bureau permanent d'apporter au texte de l'avant-projet des modifications de détails, il est permis d'espérer que les défectuosités minimes de certains textes disparaîtront. Il est à souhaiter spécialement que l'on supprime purement et simplement l'art. 4 qui n'est pas en harmonie avec la formule du début, et qu'on amende l'art. 9 qui contient des termes empruntés an langage qui a cours dans le système de l'abandon. Ce dernier article spécifie que le propriétaire peut prendre, dans l'intérêt de qui de droit, toute mesure utile en ce qui touche le navire pour être déchu du droit d'exercer les options prévues par les dispositions précédentes. Il nous semble qu'on pourrait trouver une autre formule en concordance avec l'article initial déclarant le propriétaire tenu seulement sur la fortune de mer. J'avais proposé de dire: Si la valeur du gage. déterminé par les articles précédents est diminuée par un nouveau voyage ou par un fait du propriétaire accompli dans son intérêt, il est

1. V., à ce sujet, une intéressante étude de M. Abram, Autran, XII, p. 559.

tenu personnellement par le montant de cette diminution et, dans aucun cas, il n'est tenu au delà. Cette disposition serait en harmonie avec celle qui permet au propriétaire de substituer au navire sa valeur à la fin du voyage: s'il a diminué cette valeur par son fait, il est tout naturel qu'il doive la reconstituer, mais il est utile de spécifier qu'à cela se borne son obligation, car il importe à l'intérêt général qu'aucune initiative de sa part ne soit paralysée par la crainte d'une responsabilité supérieure à la diminution de valeur. La continuation de l'exploitation et les actes quelconques de disposition doivent être possibles, sans qu'il y ait risque de voir un créancier soutenir que, faute de pouvoir représenter le gage de mer intact, le propriétaire est tenu d'une responsabilité indéfinie ou au moins égale à huit livres par tonne. Je continue à penser qu'un amendement de la disposition adoptée à Venise est nécessaire pour mieux remédier au mal qu'on a eu en vue, mais qu'on n'a considéré qu'incomplètement et sur lequel on ne saurait trop insister.

Avec quelques amendements tels que ceux que viennent d'être suggérés, l'œuvre du Comité maritime international apparaîtrait claire et bien équilibrée et défierait, semble-t-il, les critiques dont elle a fait l'objet à l'une des conférences antérieures, celle d'Amsterdam, où l'on avait vu l'Association néerlandaise s'attacher à des querelles subtiles sur l'impossibilité de fusionner des notions de responsabilité réelle et de responsabilité personnelle. Si on la considère mieux, cette œuvre, on constate qu'elle ne mélange point des notions contradictoires. Voici comment elle peut se résumer, si l'on tient compte à la fois des dernières solutions qui ont prévalu à Venise et du courant d'idées maintes fois affirmé par l'Association française.

Tout d'abord, on proclame que, dans une sphère déterminée, la responsabilité du propriétaire de navire réside et se cantonne dans un patrimoine dont on fixe les éléments, puis on ajoute que ce patrimoine est susceptible, grâce à un bénéfice légal fondé sur une raison d'utilité pratique, d'être dégagé ou racheté par le paiement d'une somme déterminée à l'avance. Pour un motif de commodité, celle-ci est fixée au chiffre adopté par les Anglais comme limite de responsabilité et considéré par eux, en 1862, comme représentant la valeur moyenne des navires. Il y a là un système très simple et très net dans ses grandes lignes.

Au second plan, on remarque les solutions suivantes : Dans le patrimoine d'exécution, le principal élément, le navire, peut être remplacé par sa valeur. Le propriétaire peut aussi prendre toute mesure, sans jamais être tenu, en cas de diminution de valeur par son fait et dans son intérêt, que de la reconstitution de la valeur enlevée au gage. D'ailleurs, grâce à la saisie, le créancier diligent peut toujours obtenir un gage non soumis aux risques ultérieurs du voyage.

En résumé, les difficultés naissant du système de l'abandon étant supprimées, l'on se trouve en présence d'un patrimoine d'exécution qui forme le gage des créanciers, et qui peut être dégagé par le paiement d'une rançon dont la loi fixe le maxi

mum.

Que l'on se place à un point de vue général ou au point de vue français, on constate que cette gémination des limites continentale et britannique est bonne.

En effet, le système continental a des inconvénients qu'il n'y a pas à dissimuler. Il fait correspondre la responsabilité à la valeur du navire. Par suite, tandis que la responsabilité s'atténue et devient presque nulle pour le propriétaire du navire qui vieillit et se démode, elle croît et devient très lourde pour le propriétaire des paquebots neufs qui résument en eux les derniers progrès de l'art des constructions navales, non seulement quant au luxe et à la commodité, maia aussi quant à la vitesse et à la sécurité. Un tel système tend à décourager les armateurs de l'exploitation la plus dispendieuse, de celle pourtant qu'il importe de favoriser. Sans doute les nécessités de la concurrence ne cessent pas de provoquer les perfectionnements coûteux. Malgré tout, il est permis de déduire des observations qui précèdent que le système pur et simple de la fortune de mer est critiquable,

Ses défauts, d'ailleurs, se sont accusés au cours du XIXe siècle. Autrefois, il n'avait pas des conséquences aussi fâcheuses que celles qu'il présente aujourd'hui. Il y avait peu de différences entre les navires de commerce quant au coût initial des constructions. De nos jours, au contraire, des écarts considérables se manifestent entre le coût d'un voilier ou d'un vapeur de charge de la dernière catégorie et celui du paquebot du meilleur type. Si l'on ajoute la différence d'âge à celle de la construction, on se rend compte que le système continental ou la fortune de mer aboutit à des disproportions

de responsabilités non prévues par les législateurs du commencement du XIXe siècle et qui apparaissent comme énormes, si l'on essaie de les traduire par des chiffres, puisqu'un paquebot neuf peut valoir mille francs par tonne ou même davantage, et un vieux cargo-boat ne valait que le prix de ses matériaux à l'état de démolition.

A ces considérations générales s'en ajoutent d'autres, spéciales aux pays qui ont, comme la France, des régimes particuliers d'encouragement de la marine marchande. Les navires acquéreurs de primes ou de subventions postales peuvent avoir une valeur supplémentaire qui tient à cette qualité et qui provient du jeu de règles purement nationales. Si les contrats postaux subordonnent l'octroi de la subvention à la condition que le navire subventionné soit de construction nationale, si les primes à la navigation sont réservées, soit en totalité, soit en partie, aux navires construits sur les chantiers du pays, la construction nationale se trouve encouragée, mais, par suite de cette combinaison, le propriétaire navignant sous un régime de ce genre se trouve en général exposé à une responsabilité plus considérable que celle du propriétaire d'un navire étranger similaire. Sans doute, ni la prime, ni la subvention ne doivent être comprises dans la fortune de mer. Cette solution n'empêche pas que le capital exposé par l'armateur d'un navire subventionné ou primé n'expose un capital artificiellement majoré par rapport aux prix des navires sur le marché mondial.

Le système continental aboutit donc à des conséquences regrettables que n'a pas le système britannique.

Par contre, que vaut ce dernier lui-même? Au premier abord, la limitation uniforme à un prix moyen semble une incitation à éliminer les siens outils d'une valeur inférieure à ce prix. Ce caractère existerait peut-être si la règle anglaise pouvait toujours produire ses effets normaux. Mais celle-ci devient illusoire quand le navire forme tout l'actif d'une société à responsabilité limitée. Cette société peut alors bénéficier de deux limites et elle a l'option entre elles, puisqu'elle peut se dire libérée si le navire a péri, tandis que, dans le cas contraire, elle peut conserver son actif en payant huit livres par terme. Il est vrai que les paquebots de première catégorie appartiennent en fait à de grandes compagnies. Mais il suffit que la division des flottes en petites sociétés soit possible,

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