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judiciaire le soin de préserver des atteintes des partis. C'est l'honneur des Etats-Unis d'avoir réussi à assurer cette préservation et, par elle, la paix publique.

LE COMMUNISME AGRAIRE ET LES COMMUNAUTÉS INDIGÈNES AU

PÉROU.

SOURCE: Manuel V. VILLARAN, prof. à la Faculté de jurisprudence de Lima. Lima, Revista Universitaria, septembre 1907.

M. Villaran, professeur à la Faculté de jurisprudence de Lima, consacre dans la Revue de cette Université un intéressant article à des pratiques de communisme agraire qui se perpétuent au Pérou, en dépit de la législation existante, comme un dernier vestige du régime des terres au temps des Incas. Ces pratiques sont en honneur dans de petites agglomérations indigènes disséminées principalement dans la Sierra, plus rares sur les côtes et dans le voisinage des grandes villes.

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Les Indiens sont groupés en communautés qui ont à leur tête des chefs ou caciques, investis en fait d'un pouvoir semiféodal. Pour être membre de la communauté, il ne suffit pas de venir en habiter le territoire il semble qu'il y ait une sorte de privilège d'hérédité réservé aux familles établies depuis un temps d'ailleurs difficile à déterminer. La terre appartient en commun à ces familles qui constituent le groupe. Pour les pâturages et les terrains incultes de la montagne, le régime est celui de la jouissance indivise, mais les terres labourables. forment des lots qui font l'objet d'attributions individuelles. Le bénéficiaire se comporte comme ferait un usufruitier, cultive et s'attribue les produits du sol, puis au bout d'un certain temps les terres font retour à la communauté qui procède à un nouveau partage.

Cette organisation a ceci de remarquable qu'elle est entièrement en dehors de la loi, qui soumet les terres indigènes à un régime juridique tout différent. La loi ignore l'existence des communautés indigènes, qu'elle a supprimées dès les premiers temps de l'Indépendance (décrets des 8 avril 1824, 4 juillet 1825, 31 mars 1826). En 1824, chaque indigène a été rendu propriétaire de la parcelle dont il était détenteur,

et les répartitions périodiques sont considérées comme des arrangements qu'il prend volontairement sur le mode de culture. Ainsi du moins semble-t-il avoir été jugé par la Cour suprême en 1876, sur conflit entre la préfecture de Cuzco et les municipalités du département qui se disputaient la compétence pour présider à une répartition. Il a été décidé que les deux autorités devaient également s'abstenir, et se borner à empêcher les désordres, a les indigènes étant propriétaires des terres par eux possédées et libres de faire entre eux tous contrats à leur convenance au sujet de leur mise en culture. »

Cette conception parait susceptible de conduire à des difficultés inextricables. Une autre plus simple consisterait à considérer les répartitions comme autant d'échanges successifs, de sorte que chaque lot aurait comme propriétaire son possesseur actuel. Celui-ci n'a en effet qu'à manifester sa volonté pour soustraire sa terre aux répartitions futures, l'aliéner ou la transmettre à titre de succession.

Les lois qui ont voulu supprimer les communautés indigènes se fondaient sur des raisons d'ordre public et sur l'idée généreuse d'élever les Indiens et les métis au rang de citoyens et de propriétaires. Elles n'ont réussi, là où le régime primitif n'a pas résisté, qu'à hâter leur dépouillement et leur réduction à l'état de colon ou pongo, soit à un demi-servage. Les communautés répondent à un état social qui ne se supprime pas à coups de décrets, et protègent l'Indien contre le blanc. Sans doute le régime se prête mal à la culture intensive mais ce n'est pas à lui, ni mème à l'état arriéré des indigènes, qu'il faut attribuer la maigre production des terres de communauté : c'est avant tout à l'absence de routes et de débouchés. Tenir la main à l'application des lois civiles avant d'avoir ouvert des voies de communication et donné aux indigènes une instruction qui les mette à même de se défendre n'aboutirait pas à créer une classe de paysans propriétaires, mais simplement à évincer les laboureurs autonomes au profit de quelques acquéreurs de grands domaines.

Raph. ROUGIER.

QUESTIONS ET SOLUTIONS PRATIQUES

Juridiction française en pays étranger.

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diplomatique. Ethiopie. Délégation du pouvoir juridictionnel local au ministre de France.

QUESTION 171.-I. Dans un pays de juridiction, l'agent diplomatique représentant de la France peut-il accepter la délégation des pouvoirs de juridiction du gouvernement local?

II. L'intervention du réprésentant de la France ne l'exposet-elle pas à une action en dommages-intérêts de la part de Français devant un tribunal de la métropole?

Jusqu'à ce jour, aucun traité définitif n'est intervenu entre la France et l'Ethiopie en vue d'assurer à nos nationaux, comme en pays de capitulations, le bénéfice de la juridiction consulaire française. L'Empereur, en vertu de son pouvoir souverain, rend la justice lui-même tant à ses sujets qu'aux étrangers, ou donne délégation pour la rendre en son nom. Cette organisation, dans un pays dont les mœurs, les coutumes judiciaires, la législation sont profondément différentes des nôtres, n'est pas sans présenter de graves inconvénients, et les Français fixés en Ethiopie appellent de tous leurs vœux la conclusion d'un accord leur assurant en cette matière des garanties complètes.

Mais les accords de cette nature, où l'une des parties est dans la nécessité de demander à l'autre de se dépouiller bénévolement d'une importante prérogative de sa souveraineté, offrent, pour leur conclusion définitive, des difficultés considérables et ne peuvent la plupart du temps aboutir qu'après de longs et patients efforts.

Dans cet intervalle, il appartient à l'habileté des diplomates de trouver et d'obtenir la solution transitoire, mais immédiate, qui peut donner satisfaction suffisante aux aspirations de leurs nationaux. Cette solution provisoire semble avoir été obtenue en Ethiopie, par M. Klobukowski, ministre de France, d'une façon particulièrement heureuse dans les circonstances suivantes : un Français s'était rendu coupable de violences à l'égard de plusieurs de ses ouvriers abyssins. Le Négus délégua formellement ses pouvoirs de juridiction au ministre de France, lui adjoignant, pour procéder à l'ins

truction de l'affaire et rendre le jugement, un fonctionnaire éthiopien, et lui donnant mission de statuer en équité.

La question s'est posée de savoir si, dans un pays de juridiction territoriale, comme l'Ethiopie, le représentant de la France peut recevoir, du gouvernement local, délégation d'exercer la justice vis-à-vis des ressortissants français, et si ce diplomate ne pourrait pas se trouver exposé de ce chef à une action devant les tribunaux français de la part de nos compatriotes parties en la cause.

Pour solutionner cette difficulté, il faut noter tout d'abord que chaque Etat jouit, sur son territoire, du droit d'organiser la justice suivant les règles qu'il considère comme les meilleures. Ce droit est absolu; il comprend la faculté de fixer la composition des tribunaux et les règles de forme et de fond qu'ils doivent appliquer; il ne saurait être limité qu'en cas de convention internationale sur la matière et par la nécessité de ne pas diminuer les garanties dont les étrangers doivent bénéficier conformément aux règles du droit des gens. Or, le Négus possède, nous l'avons dit, le plein et entier exercice du droit de juridiction sur le territoire éthiopien; il jouit de la faculté de le déléguer en tout ou en partie : il était donc le seul juge de la mesure et des conditions dans lesquelles il devait exercer son droit et il n'a, par suite, usé que de ses légitimes pouvoirs en choisissant le ministre de France pour rendre, dans une hypothèse spéciale, la justice en son lieu et place. En conséquence, les tribunaux français ne sauraient, à ce point de vue, ni contrôler, ni critiquer tant la composition du tribunal ainsi constitué, que les règles juridiques qu'il a appliquées, puisqu'elles sont conformes au droit local.

Mais on pourrait se demander si, au regard de la loi française, le représentant de la France est compétent pour rendre la justice aux Français, en l'absence de toute mesure législative française lui donnant pouvoir spécial à cet effet; s'il possède une vocation à la juridiction sur ses compatriotes qui ne serait tenue en échec que par le respect nécessaire de la souveraineté locale, si, par exemple, dans un pays étranger où la justice organisée se refuserait à intervenir dans les litiges entre Français, ou ferait complètement défaut, le représentant de la France pourrait valablement et régulièrement faire œuvre de juge.

La question est délicate, et exigerait pour son

examen de

trop longs développements pour que nous l'abordions ici, car, à notre avis, elle ne doit pas être posée dans l'espèce que nous envisageons. En effet, le Négus ne saurait être considéré comme ayant fait, à proprement parler, abandon de son pouvoir de juridiction, puisqu'il a fait au contraire une délégation spéciale de ce droit, ce qui implique, précisément, la volonté de ne pas l'abandonner. Il a, au surplus, adjoint au ministre de France un fonctionnaire éthiopien qui a, d'ailleurs, effeetivement participé au jugement. Enfin, ledit jugement n'a pas été rendu conformément aux règles de forme et de fond de la loi française, mais en équité. Par suite, en procédant ainsi, l'empereur Menelick n'a pas, en réalité, délaissé l'exercice du pouvoir judiciaire à une autorité étrangère : il a créé une juridiction nouvelle, soumise à des règles qu'il a lui-même posées, règles légales suivant le droit éthiopien. Cette juridiction était, en un mot, plutôt une émanation de la puissance du Négus qu'une véritable autorité judiciaire française, et dans ces conditions la question ne saurait se poser de savoir si le ministre de France, agissant en cette qualité, puisait dans les règles du droit public français les pouvoirs nécessaires pour exercer la juridiction répressive à l'égard d'un de ses natio

naux.

Notre représentant en Ethiopie ne pourrait avoir de compte à rendre du rôle qu'il a ainsi rempli qu'au Gouvernement français, s'il était considéré comme ayant outrepassé les bornes des devoirs que lui imposent les intérêts de nos compatriotes. Or, il est évident que l'heureuse initiative de M. Klobukowski ne peut que mériter l'approbation du Gou

vernement.

Quant aux actions que, dans des cas analogues, des Français pourraient intenter contre lui en soutenant que son intervention leur a porté préjudice, elles ne sauraient être accueillies par les tribunaux de la métropole, sans qu'il soit d'ailleurs nécessaire, pour les repousser, d'invoquer les considérations qui précèdent. Le préjudice causé, base de toute action en dommages-intérêts, ferait défaut, en effet, puisqu'il n'est pas douteux qu'un Français ne puisse que se féliciter d'avoir été soustrait à la justice locale et puni suivant des règles moins rigoureuses que celles qui auraient dû lui être normalement appliquées.

On ne saurait donc trop encourager nos représentants en

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