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Cette thèse prétendait s'appuyer sur les termes de l'arrêt de Paris du 2 janvier 1901 (précité). Il eût été plus logique de la faire procéder des mêmes raisons de principe qui ont amené l'unanimité des auteurs à reconnaître que les immeubles privés appartenant à des ambassadeurs même accrédités sont soumis à la loi locale et que les actions qui s'y réfèrent sont de la compétence des tribunaux locaux.

Mais Mine R... répliquait que, quelque fût le caractère de eette résidence, elle se trouvait dans la même situation que l'agent diplomatique résidant momentanément sur le territoire français et que par conséquent des motifs, analogues à ceux développés ci-dessus, exigeaient qu'elle bénéficiât de l'immunité de juridiction.

Le tribunal ne s'est point prononcé sur la valeur de cette distinction, Mme R... ayant été purement et simplement mise hors de cause comme irrégulièrement assignée. Il semble cependant que seule elle soit de nature à répondre à la raison d'être de l'immunité de juridiction et à satisfaire aux exigences de l'ordre public international.

D'ailleurs, il n'est pas sans intérêt de faire observer en terminant que même comprise ainsi lato sensu l'immunité de juridiction ne porte pas atteinte aux intérêts particuliers. Il reste à la disposition des tiers lésés un double recours contre les agents diplomatiques soit dans leur pays d'origine, soit plus simplement devant le ministre des affaires étrangères. Les intérêts privés sont donc sauvegardés et l'on peut sans crainte de leur nuire étendre l'application de l'immunité diplomatique en ne tenant compte que des nécessités de l'intérêt général.

Henry FORT-DUMANOIR,
Avocat à la Cour de Paris.

Extradition.

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ditionnel.

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Traité franco-britannique, 14 août Dètenu. Faits non visés à l'acte extraJugements par défaut. CondamnaSignification à personne dans la - Nullité. Condamnation civile.

tion pénale.

maison d'arrêt. - Validité.

QUESTION 173.

La signification à un individu extradé et détenu en prison, de décisions par défaut rendues contre lui à raison de faits non visés dans l'acte extraditionnel, est-elle contraire ou non aux effets limitatifs de l'extradition, et doitelle être déclarée valable ou nulle?

La question se pose à propos d'une affaire venue devant la Chambre criminelle de la Cour de cassation. Les faits sont les suivants :

Marc Lapierre, directeur du journal « La Cocarde », se trouvant sous le coup de nombreuses poursuites, avait pris la fuite au début de 1906. Il fut arrêté à Londres le 12 mai de la même année, et extradé le 10 août suivant, par décision de la Haute-Cour de justice, Division du Banc du Roi, « pour délit de tentative d'extorsion de fonds, au préjudice d'un sieur Giordan »>, directeur de la Mutuelle de France et des Colonies.

Incarcéré à la prison de la Santé, MarcLapierre reçut signification d'un nombre considérable d'exploits. Il s'agissait tantôt de citations à comparaître en police correctionnelle, tantôt de significations de jugements par défaut rendus contre Marc Lapierre pendant que celui-ci était en fuite. Sur les citations à lui adressées, Marc Lapierre comparut à de très nombreuses audiences, souleva de non moins nombreux incidents de procédure, fit défaut sur d'autres poursuites. Le Parquet ne connut pas d'adversaire plus récalcitrant que lui.

Marc Lapierre donna la mesure de son inlassable énergie en assignant à son tour devant la Chambre correctionnelle de la Cour, le Procureur général près la Cour d'appel de Paris, pour voir déclarer nulles deux significations que lui avaient faites, à la prison de la Santé, Me Doré, huissier, de deux jugements rendus par défaut contre lui, l'un à la requête d'un sieur Boulaine et portant condamnation à 15 jours de prison et 2000 francs d'amende, pour tentative d'extorsion de fonds; l'autre à la requête d'un sieur Grente, et portant

condamnation à 500 francs de dommages-intérêts pour diffamation par la voie de la presse.

Marc Lapierre, extradé seulement pour le fait Giordan, se plaignit que ces deux significations portaient illégalement atteinte aux effets limitatifs de son extradition. Il se plaignit en outre que les mentions insérées par Me Doré dans ses exploits étaient erronées, et il s'inscrivit en faux contre elles.

La Cour de Paris rendit le 12 décembre 1906 deux arrêts, un sur la signification Boulaine, l'autre sur la signification Grente, par lesquels elle repoussait la demande de Marc Lapierre, et déclarait que lesdites significations lui avaient été valablement faites.

La Cour fit le raisonnement suivant, que la Chambre criminelle saisie de pourvois contre les deux arrêts du 12 décembre 1906, a approuvé 2. Marc Lapierre, étant en France, par suite de son extradition, tous les actes de procédure le concernant doivent lui être signifiés à personne; il est détenu : ces actes doivent donc lui être signifiés à la maison d'arrêt. Marc Lapierre s'était plaint que l'huissier, chargé des significations, se fût introduit dans sa cellule, contrairement aux règlements, et qu'il lui eût remis, malgré son refus de les recevoir, les exploits dont il était porteur. La Cour décida, avec raison, que l'huissier, ce faisant, n'avait enfreint aucun texte de la loi, les dispositions du Règlement des prisons qui visent les endroits où doivent être faites les communications aux prévenus

1. V. texte de l'arrêt, Clunet 1907, p. 732.

.....

L'arrêt sur la signification Grente était conçu dans les mêmes termes : il contenait seulement en outre avant le dispositif, les trois considérants suivants : « Considérant enfin que par suite de l'amnistie, l'arrêt dont il s'agit ne prononce contre Lapierre aucune peine, et qu'il le condamne seulement à des dommages-intérêts envers la partie civile; Considérant que cet arrêt serait donc devenu définitif 5 jours après une signification faite au domicile du prévenu et à son insu; Considérant que dans ces conditions Lapierre est particulièrement mal fondé à se plaindre de ce que l'on a employé envers lui le mode de signification qui pouvait le mieux lui éviter toute surprise et sauvegarder pleinement son droit d'opposition. Par ces motifs : Mème dispositif que dans l'arrêt reproduit, Clunet 1907, p. 732. »

2. Marc Lapierre s'est pourvu en cassation contre les deux arrêts du 12 décembre 1906, aussitôt après le prononcé des deux décisions. La Chambre criminelle a statué sur les deux pourvois par un seul et même arrêt en date du 27 février 1908, texte infra, p. 796.

étant des dispositions d'ordre intérieur échappant à ce titre au contrôle des détenus, et d'autre part, la validité d'une signification n'étant pas subordonnée au consentement de la personne à qui elle est adressée.

La question principale était de savoir si le fait de signifier à un extradé des jugements par défaut rendus contre lui à raison de faits non visés dans l'acte extraditionnel, portait atteinte, comme le prétendait Marc Lapierre, aux effets limitatifs de l'extradition. La Cour de Paris avait répondu par la négative; la Chambre criminelle a fait au contraire une distinction, qui est conforme aux principes juridiques de la matière. La Cour de Paris avait dit ce que l'extradition interdit, c'est d'opérer sur l'extradé une contrainte matérielle ou morale à raison de faits « réservés », c'est-à-dire de faits délictueux pour lesquels l'extradition n'a pas été accordée. Or, une signification n'exerce en aucun cas une contrainte sur celui à qui elle est faite on peut donc valablement signifier à l'extradé des jugements par défaut rendus contre lui à raison de faits réservés, mais ce qu'on ne peut pas, c'est l'incarcérer pour les condamnations prononcées par ces jugements. La Cour de Paris avait décidé en conséquence que les arrêts, bien que valablement signifiés, ne pourraient être exécutés contre Marc Lapierre, tant que celui-ci serait détenu en France en vertu de l'acte extraditionnel.

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Le raisonnement de la Cour était juste, mais insuffisant : la Chambre criminelle l'a complété ce que l'extradition interdit, c'est bien d'exercer une contrainte à raison des faits réservés', mais il y a des cas où la signification d'une décision relative à un fait réservé comportera, contrairement à l'opinion de la Cour 2, une contrainte à l'égard de l'extradé.

1. Il ne faut notamment donner aucun autre sens à l'art. 4 du Traité d'extradition franco-britannique du 14 août 1876, V. texte Clunet 1878, p. 639. V. à ce sujet l'un des « attendus » de l'arrêt de la Chambre criminelle par cet « attendu », la Chambre criminelle applique le traité franco-britannique, après avoir rappelé qu'au contraire, s'il s'agissait d'interpréter ledit traité, une pareille tâche ne pourrait qu'incomber aux hautes puissances contractantes entre lesquelles il est intervenu. (V., à ce sujet, les références citées aux notes 9 et 10 sous l'arrêt du 27 février 1908 reproduit D. P. 1908, 2o partie). Adde sur les effets limitatifs de l'extradition la note 1 sous Paris, 25 juin 1901 (D. P. 1904.2.457) et sur diverses applications du traité franco-britannique du 14 août 1876, Clunet, Tables générales, v° Extradition, p. 827, no 90, 115, 122, 152, 213, 266, 267. 2. V., dans le même sens, que l'arrêt de la Cour Crim. cass., 9 février 1883, R. Dalloz, Suppl., v. Traité international, n° 86.

Le jugement rendu à la requête du sieur Boulaine avait condamné par défaut Marc Lapierre à 15 jours de prison et 2.000 fr. d'amende. Marc Lapierre, extradé, en ayant reçu signification dans sa prison, ne pouvait choisir qu'entre deux partis ou faire opposition dans les cinq jours (art. 187, § 1, Code Inst. crim.) ou ne pas faire opposition. Comme l'avait dit la Cour de Paris, il n'y avait là aucune contrainte. Mais ce que la Cour n'avait pas vu, c'est que cette signification ôtait à Marc Lapierre un moyen de défense dont il aurait pu user, s'il n'avait pas été extradé, et si par conséquent le jugement n'avait pu lui être signifié à personne. Marc Lapierre n'ayant pas été extradé, le jugement Boulaine aurait été signifié au Parquet Marc Lapierre, qui l'aurait ignoré, aurait eu alors pour faire opposition non pas cinq jours, mais jusqu'à l'expiration des délais de prescription de la peine (art. 187, § 3, Code Inst. crim.). La signification à personne ayant ôté à Marc Lapierre cette faculté, rendait incontestablement sa situation pire que s'il était resté en Angleterre et n'avait pas été extradé. C'est pour ce motif que la Chambre criminelle a cassé l'arrêt de la Cour de Paris rendu sur la signification Boulaine.

Elle a au contraire rejeté le pourvoi formé par Marc Lapierre contre l'arrêt de la Cour rendu sur la signification du jugement Grente. Ce jugement ne portait aucune condamnation pénale il condamnait Marc Lapierre seulement à 500 francs de dommages-intérêts. Qu'il ait été signifié au Parquet ou à Marc Lapierre en personne, celui-ci n'aurait eu à sa disposi tion que des moyens identiques. Il ne pouvait en effet se prévaloir du § 3 de l'art. 187 Code Inst. crim., puisque ce paragraphe n'a effet qu'au cas de jugements par défaut portant condamnation pénale ' il ne pouvait user dans les deux cas que du § 1 de l'art. 187, c'est-à-dire faire opposition dans les cinq jours de la signification. Si cette signification avait été faite au Parquet, Marc Lapierre n'aurait pu très vraisemblablement faire opposition en temps utile; il avait, au contraire, tout intérêt à ce que la signification fût faite parlant à sa personne. En lui faisant signifier le jugement Grente, le Parquet n'avait donc pas diminué ses moyens de défense: il les avait au contraire favorisés, en lui permettant de faire opposition

1. V., en ce sens, D., Rép., v° Jugement par défaut, no 429.

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