Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

et doit être soumis à une révision. Ailleurs, on s'attache au principe de la réciprocité, réciprocité dont la preuve doit en général être rapportée par celui qui demande l'exécution du jugement: c'est le système suivi en Allemagne et en AutricheHongrie. Dans d'autres pays enfin, et notamment en Italie, en Angleterre, aux Etats-Unis, on exige seulement que la décision étrangère réunisse certaines conditions prédéterminées compétence du tribunal, force exécutoire du jugement, possibilité de l'exécuter sans violer les principes législatifs de l'Etat où l'exécution doit avoir lieu. La Suisse offre une fidèle image de cette variété de solutions.

1. Les traités. Des traités ont été conclus sur cette matière par la Confédération suisse; d'autres l'ont été par de simples cantons, usant des pouvoirs que leur assure l'autonomie cantonale.

Les premiers, qui ont l'avantage de donner naissance à une pratique uniforme, sont au nombre de deux. L'un a été conclu avec la France le 15 juin 1869 (V. texte, Clunet, Tables générales, II, p. 388); l'autre a été passé avec l'Espagne le 19 novembre 1896. Tous deux visent seulement les décisions rendues en matière civile et commerciale. Le premier seul a donné lieu à de fréquentes applications.

L'art. 15 du traité avec la France et l'art. 1er du traité avec l'Espagne posent le principe de l'obligation réciproque de chaque Etat d'assurer l'exécution des décisions rendues au nom de l'Etat cocontractant. Mais bien entendu cet engagement n'est pas pris sans réserves, et les art. 16 et 17 du premier traité, les art. 2 et 6 du second déterminent les conditions auxquelles ce droit d'exécution est subordonné :

1) La première de ces conditions a trait à la compétence de la juridiction dont on veut faire exécuter le jugement ou l'arrêt. Il est évident que le problème de la compétence internationale des tribunaux est inséparable de celui de l'exécution internationale des jugements: il ne saurait être question, en effet, d'exécuter une décision étrangère émanant d'un tribunal incompétent. Aussi peut-on s'étonner que le traité avec l'Espagne n'ait formulé aucune règle à cet égard.

L'art. 1or du traité franco-suisse garantit aux ressortissants des deux Etats, défendeurs en matière personnelle ou mobi

1. §§ 722, 723 et 328 de la Civilprozessordnung.

lière, la compétence de leur a juge naturel », c'est-à-dire, en vertu de la règle : Actor sequitur forum rei, la compétence de la juridiction dont ils relèvent à raison de leur domicile : toute décision rendue dans un Etat en violation de cette règle est insusceptible d'exécution dans l'autre. Il ne faut cependant pas exagérer la portée de cette doctrine du juge naturel. On n'entend point affirmer par là la compétence exclusive du tribunal siégeant au lieu même où le défendeur a son domicile; on veut seulement faire entendre que la décision doit émaner des organes judiciaires de l'Etat à la juridiction duquel le défendeur est soumis. C'est en vertu d'un droit souverain que chaque Etat règle la compétence de ses propres tribunaux, et il n'appartient pas aux Etats étrangers de s'immiscer dans cette réglementation. Le juge suisse n'a donc pas à rechercher quel était le tribunal français compétent; il doit seulement s'assurer que le litige relevait de la justice française.

La garantie du juge naturel, stipulée par le traité de 1869, a pour effet de soustraire les citoyens suisses à l'application de l'art. 14 du Code civil français. On sait qu'en vertu de ce texte un étranger, même s'il n'a ni domicile, ni résidence en France, peut être poursuivi devant les tribunaux français pour les obligations qu'il a contractées cnvers un Français en France ou à l'étranger. Cette compétence exceptionnelle se trouve écartée par l'art. 1er du traité, et le jugement rendu par un tribunal français contre un défendeur suisse domicilié à Berne ne serait pas exécutoire en Suisse.

On sait aussi qu'en revanche l'art. 15 du même Code décide qu'un Français peut être poursuivi devant la justice française pour les engagements qu'il a contractés à l'étranger envers un étranger. A l'inverse de la précédente, cette disposition, qui s'applique aux Français domiciliés en Suisse, n'a pas été modifiée par l'art. 1er du traité ; en effet, en signant ce traité, c'est à ses ressortissants, et non aux Français, que la Suisse a entendu assurer des garanties. Toutefois, depuis 1878, la pratique constante de tribunal fédéral est de refuser l'exécution des décisions rendues en France contre des Français domiciliés en Suisse. Seulement cette jurisprudence se fonde, non pas sur la règle du juge naturel, dont la Suisse n'a pas à assurer l'application à des Français, mais sur l'art. 59 de la Constitution fédérale, qui dispose que tout défendeur, Suisse ou étranger, domicilié en Suisse, doit être poursuivi en

matière personnelle devant le tribunal de son domicile, et dont la règle doit être suivie en l'absence de disposition formelle du traité sur la matière 1.

Il ne peut naturellement être question d'appliquer la règle du juge naturel, lorsque le défendeur, Suisse ou Français, n'a ni domicile, ni résidence connus soit en Suisse, soit en France le demandeur peut alors s'adresser au tribunal de son propre domicile 2.

Malgré le silence du traité sur ce point, le tribunal fédéral a décidé que la garantie du juge naturel était un droit, non seulement pour les personnes physiques, mais pour les personnes juridiques, et notamment pour les sociétés commerciales 3 les unes et les autres ont, en effet, droit au même traitement dans le domaine des relations économiques.

Telles sont les personnes au profit desquelles le forum domicilii a été établi. Quant aux actions qui, aux termes du traité, doivent être ainsi soumises au juge du domicile, ce sont seulement les actions personnelles et les actions mobilières. Encore beaucoup d'actions personnelles sont-elles soustraites à cette compétence. Ainsi l'art. 4 du traité substitue le forum rei sitæ au forum domicilii pour celles de ces actions qui ont un lien avec des questions de propriété ou d'usufruit intéressant des immeubles. La garantie du juge naturel n'existe en réalité que pour les actions purement mobilières et pour celles qui sont fondées sur un droit d'obligation.

En cette matière même, en dépit des termes absolus de l'art. 1er, la compétence du juge du domicile n'est du reste pas exclusive. Le traité admet lui-même que les actions tendant à l'exécution d'un contrat peuvent être portées devant le tribunal du lieu où ce contrat a été passé, lorsque les parties ont leur résidence en ce lieu au jour du procès. D'autre part, l'art. 3 du traité, visant le cas où il y a élection de domicile, donne compétence au juge du domicile élu pour les actions relatives à l'exécution du contrat.

Sous ces réserves, le traité consacre la compétence du tri

1. Comp. Roguin, L'art. 59 de la Constitution fédérale, 1880, p. 83 et s. 2. Art. 1, alinéa 2 du traité.

3. E. Curti, Sämtliche Entscheidungen Bundesgerichtos geordnet, Zürich, 1901, n. 1629 et 1662.

bunal du domicile en matière personnelle et mobilière. Il reconnaît encore, dans son art. 4, la compétence exclusive du tribunal de la situation des biens pour toutes les actions réelles immobilières. Enfin il décide, dans son art. 5, que toutes les actions en partage ou en liquidation de succession doivent être portées devant le juge du lieu d'ouverture de la succession.

2) Lorsque la décision française a été rendue par un tribunal compétent aux termes des dispositions qui viennent d'être étudiées, cette décision remplit la première des conditions. auxquelles est subordonnée son exécution en Suisse. Une autre condition est écrite dans le traité avec la France et dans le traité avec l'Espagne : elle a trait à la nature et à l'objet de la décision rendue à l'étranger. Les deux traités, en effet, assurent seulement l'exécution des arrêts et jugements définitifs en matière civile et commerciale ». Cette formule exclut les actes de juridiction gracieuse et les décisions des tribunaux administratifs. Elle exclut aussi les jugements et arrêts rendus en matière répressive; mais il y a quelques doutes pour les décisions des juridictions répressives qui se prononcent sur l'action civile; le tribunal fédéral admet avec raison que ce sont de véritables décisions civiles, susceptibles d'exécution.

Les jugements déclaratifs de faillite ne rentrent pas ron plus dans la formule employée par les deux traités. Toutefois l'art. 6 du traité franco-suisse déclare exécutoires en Suisse, moyennant homologation, les jugements déclaratifs de faillite rendus en France. Il n'en serait pas de même des jugements rendus en Espagne.

Enfin, les dispositions du traité ne s'appliquent ni en matière de divorce, ni en matière de nullité de mariage, ni en ce qui concerne les rapports pécuniaires des époux.

On peut se demander si le bénéfice des deux traités doit être étendu aux décisions rendues dans les colonies françaises et espagnoles. Dans le silence des deux contrats, peut-être est-il plus juste d'admettre que les Hautes Parties contractantes n'ont entendu assurer ce bénéfice qu'à la métropole. Toutefcis le tribunal fédéral a appliqué les dispositions du traité franco-suisse, d'abord à l'Algérie, et en 1896 à la régence de Tunis '.

1. E. Curti, recueil cité, n. 1649.

Il faut bien entendu dans tous les cas que la décision étrangère ait force de chose jugée et soit susceptible d'exécution dans le pays où elle a été rendue. Un jugement français qui serait frappé d'opposition ou d'appel, et qui ne pourrait être exécuté en France, ne pourrait à plus forte raison l'être en Suisse.

3) Pour que la décision française ou espagnole puisse recevoir exécution en Suisse, il faut en troisième lieu qu'elle ait été rendue à la suite d'une procédure régulière. Il faut notamment que le défendeur ait eu les moyens de répondre à la demande, et les deux traités refusent l'exécution des jugements rendus à la suite d'une assignation irrégulière, ou sans que le défendeur ait été représenté dans les conditions exigées par la loi'.

Le traité avec la France ne s'oppose pas à l'exécution en Suisse des décisions rendues par défaut en France. Mais il est nécessaire de faire une réserve pour les jugements que le droit français considère lui-même comme inexistants 2, et pour ceux qui peuvent tomber par le seul effet de l'opposition.

4) Il faut, en dernier lieu, pour qu'une décision française ou espagnole soit exécutoire en Suisse, qu'elle soit conciliable avec les principes de la législation helvétique. L'art. 17, no 3, du traité avec la France, dont il faut rapprocher l'art. 6, n° 3, du traité avec l'Espagne, dispose en effet que l'exécution peut être refusée lorsqu'elle blesserait les règles du droit public ou l'intérêt de l'ordre public du pays où cette exécution est demandée. C'est ce qui aurait lieu si la décision étrangère consacrait des droits que la législation helvétique ne reconnaît pas, si elle sanctionnait une créance dont cette législation considère la cause comme immorale. La Suisse serait également fondée à refuser l'exécution d'un jugement dont le dispositif manquerait de clarté, ou d'un jugement qui aurait été obtenu par corruption ou par pression politique. Il est plus difficile de dire dans quelle mesure le refus d'applica tion ou la fausse application du droit suisse par un tribunal français ou espagnol pourrait constituer un titre au refus d'exécution en Suisse du jugement rendu par ce tribunal.

1. Le traité avec la France exclut la validité de la remise au parquet réglementée par l'art. 69 du Code de procédure civile.

2. Art. 258 du Code de procédure civile.

« PreviousContinue »