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CHAPITRE X

LA CONDITION JURIDIQUE DES ÉTRANGERS EN HAITI.

SOMMAIRE: Des mesures de défaveur prises contre l'étranger de race européenne. Les étrangers jouissent-ils de tous les droits civils? Discussion de l'art. 11 du code civil français. Les divers systèmes préconisés, l'interprétation de la jurisprudence. pinion de M. Laîné. - Droits de famille. patrimoniaux. Jura in re, jura ad rem.

L'oDroits L'arti

6 de la Constitution de 1889.- Droits publics. · Droits politiques.

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« Nous devons noter et signaler l'esprit de défiance et d'exclusion qui tout d'abord règna chez nous à l'égard de l'étranger et trouva son expression et son application dans des dispositions de lois sévères et rigoureuses. Les sentiments qui l'atteignent et dictent à son endroit ces rigueurs et ces défiances n'ont pas leur source comme chez les peuples antiques dans la religion et la dissemblance des coutumes et des moeurs. Ils sont le fruit du sanglant et terrible conflit qui s'est pro

duit au début du siècle entre ceux qui tenaient l'Ile d'Haïti dans leur dépendance et y voulaient maintenir le régime barbare de l'esclavage et ceux qui vivaient dans la souffrance et dans la misère. courbés, écrasés sous ce cruel régime.» (1)

D'où ces mesures de défaveur prises contre l'étranger de race européenne au lendemain de l'Indépendance nationale. Nous devons donc souhaiter que notre législation, très arriérée sur ce point. soit réformée dans un sens libéral et bienveillant à l'égard des étrangers.

La première question qui se pose est celle-ci: les étrangers jouissent-ils de tous les droits civils dont jouissent les Haïtiens? Dans l'Etat actuel de nos lois, cette question ne peut recevoir une réponse affirmative. L'on ne trouve, en effet, nulle part un texte qui détermine d'une manière formelle la condition juridique des étrangers en Haïti au point de vue de la jouissance des droits civils. En revanche, aucun texte ne les en exclut totalement. D'où il faut conclure qu'ils jouissent de tous les droits civils, qu'un texte ne leur retire pas. Cela ne suffit pas. Comme nous venons de le voir dans le chapitre précédent, il est des pays qui basent à ce point de vue leur doctrine, soit sur la réciprocité législative, soit sur la réciprocité diplomatique; d'autres, tel que l'Italie, qui admettent les étrangers à jouir de tous les droits accordés aux nationaux. En général, on peut dire ue les étrangers ont presque partout la faculté d'user des droits au fond, dans la forme et dans tous les recours auxquels ils peuvent donner lieu, sauf les exceptions formellement établies par les législations. Haïti devrait donc avoir une législation reposant sur l'un des deux systèmes actuellement en faveur chez les peuples civilisés. La doctrine de la France, nous l'avons vue plus haut,

1. Voir Nationalité, page 126, Justin Dévot.

est basée sur la réciprocité diplomatique. L'article 11 qui la préconise a donné lieu à une très intéressante discussion. Voici cet article (alinéa 1er): « L'étranger jouira en France des mêmes droits civils que ceux qui sont ou seront accordés aux français, par les traités de la nation à laquelle cet étranger appartiendra. >>

Une première opinion qui est celle de M. Demolombre, part de ce principe qu'il faut entendre par droit civil le droit privé opposé au droit politique et public. Un argument en faveur de cette doctrine se tire du rapprochement des articles 7 et 8. Dans l'article 8, le sens du mot droit civil est le sens de droit privé et le sens de cette expression est déterminé par rapprochement à l'article 7 qui ne parle que des droits politiques. En l'absence de conventions diplomatiques, les étrangers n'ont pas la jouissance des droits privés, mais certains textes leur reconnaissent certains droits implicitement ou explicitement. Il faut en conclure qu'ils n'ont la jouissance que des droits que ces textes leur accordent.

D'après M. Bufnoir, les étrangers jouissent en France de tous les droits privés, sauf ceux qui leur sont refusés par une disposition de la loi. Pour ces droits, il faut des conventions diplomatiques. Le principe est le même que précédemment, mais la conclusion est diamétralement opposée.

Une quatrième interprétation qui est celle de la jurisprudence ne donne le nom de droit civil qu'à une catégorie de droit privé. Le Code, dit-elle, comme autrefois les légistes, a voulu différencier le droit des gens et le droit civil jus gentium et jus civile).

L'article 11 reconnait aux étrangers les facultés du droit des gens. Les facultés de droit civil sont soumises à la réciprocité diplomatique. Monsieur Lainé interprète comme la jurisprudence. On a

tort, dit-il, de donner à l'article 11 le sens étroit dont il parle, et de vouloir expliquer cet article à l'aide des textes qui ne sont autres que son application et sa mise en pratique.

Lors de la discussion de la loi de 1889 sur la nationalité, on avait proposé de changer l'article 11, d'en fixer le sens, de dire que les étrangers jouissent des droits prives, à l'exception de ceux qui leur sont enlevés par une disposition spéciale. Cette disposition échoua comme contraire à la jurisprudence. Outre l'article 11 du Code civil qui n'accorde aux étrangers que les droits accordés au français dans les pays de ces étrangers, il y a à noter: 1o un droit commun des étrangers; 2° un droit des étrangers ayant obtenu une autorisation de domicile. (Art. 13); 3° un droit des étrangers appartenant à des pays, avec lesquels la France a eu des conventions spéciales.

II

Cela étant, demandons-nous quels sont les droits civils, d'une façon générale, dont jouissent les étrangers en Haïti.

Les étrangers possèdent les droits de famille, découlant du mariage, bien entendu dans les cas où leur statut personnel ne s'y oppose pas.

C'est ainsi qu'ils jouissent de toutes les prérogatives dont l'ensemble constitue la jouissance paternelle: droit de garde, d'éducation, de correction, de jouissance légale, d'administration, de tutelle légale depuis la loi de 1860.`

Quant à la tutelle, en général, elle leur reste jusqu'ici fermée sous prétexte qu'elle est une fonction publique, mais la jurisprudence évolue dans un sens opposé.

Est-ce que les droits patrimoniaux peuvent être

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