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réclamés par l'étranger en Haïti? Pour les droits. patrimoniaux intellectuels la question n'offre pas de difficulté; l'étranger peut y prétendre, bien que la loi du 8 Octobre 1885 sur la propriété littéraire et artistique semble vouloir l'exclure des garanties particulières qu'elle assure aux nationaux. Mais pour les droits patrimoniaux susceptibles d'évaluation pécuniaire, il y a lieu de distinguer. D'une part, il y a des droits réels jura in re qui portent directement sur une chose déterminée, de l'autre, les droits personnels jura ad rem que l'on appelle aussi parfois, droits d'obligation.

Disons tout de suite que, suivant les articles 15, 16, 17 du Code civil que nous commenterons plus bas, l'étranger possède chez nous les droits patrimoniaux personnels, puisqu'il peut être créancier ou débiteur. Il n'en va pas de même pour les droits patrimoniaux réels: droit de propriété, servitudes réelles ou prédiales, servitudes personnelles, l'hypothèque, et d'une manière générale. les sûretés réelles. En principe, l'étranger a chez nous le droit de propriété qui résulte de la liberté de travailler et de s'approprier le fruit de son travail. Mais il n'a pas le droit de posséder des immeubles, il ne peut être propriétaire de biens fonciers. En effet, aux termes de l'article 6 de la Constitution de 1889, «nul ne peut être propriétaire de biens fonciers en Haïti, à quelque titre que ce soit, ni acquérir aucun immeuble. »

Ainsi, le droit d'être propriétaire qui, après celui de fonder une famille, est le plus important des droits naturels lui est refusé! Nous avons amplement traité cette question ailleurs, nous n'y reviendrons pas ici. (1)

Notons cependant que cette mesure de protection, à laquelle a dû recourir la nation haïtienne

1. Voir Etude sur l'immigration, publiée au Moniteur officiel de la Répu blique d'Haïti.

dans l'exercice de sa souveraineté et en vue de certaines circonstances particulières n'a plus sa raison d'être en l'état actuel des idées, et doit par conséquent disparaitre...... Car, il nest pas de sage politique, comme l'a si bien dit M. Maximilien Laforest, de conserver aujourd'hui les rancunes de nos pères qui étaient, certes, justes par les souffrances et les tortures qu'ils ont endurées; mais nous, leurs descendants et leurs admirateurs, nous avons pour devoir de tempérer ces rancunes si ce n'est de les effacer en raison des idées de l'époque présente qui différent sensiblement de celles où nos aïeux ont vécu. Du fond de leur tombe où ils dorment glorieusement, ils ne manqueront de reconnaître la sagesse de notre conduite ». (1)

Il est bon d'y insister, en abrogeant cet article 6, nous agirons au mieux de nos intérêts, car il y a là une question d'utilité économique qui ne saurait échapper à personne.

On ne peut se soustraire indéfiniment à la loi d'évolution. Une nation n'a plus le droit de laisser improductivesles ressources qu'elle possède: il faut qu'elle les mette en valeur ou qu'elle les laisse exploiter par des hommes habiles. C'est là une des conséquencees de cette politique mondiale dont nous suivons actuellement les effets sur tous les points du globe.

« Le seul moyen, dit M. Frédéric Marcelin, quelque part, de ne pas vendre le pays aux blancs ou le laisser prendre, c'est de l'ouvrir à tous. »

Nous devons donc ouvrir la porte à deux battants au bon élément étranger, à l'élément vraiment civilisateur. Nous avons pour devoir d'attirer l'étranger, de le fixer sur notre sol, de l'intéresser à la culture de nos terres, de le faire con tribuer par ses capitaux, par sa science à notre

1. Voir Revue de la Société de Législation 1895, numéros 9 et 10,

avancement tant matériel que moral, c'est de là, du reste, que viendra le salut. En fait, est-ce que l'étranger ne jouit pas chez nous du droit de propriété par le droit d'hypothèque? ....

Passons maintenant aux droits publics.

L'étranger en a-t-il la jouissance chez nous ? D'une manière générale, l'étranger à la jouissance de ces droits qui sont les facultés inhérentes à la nature humaine, et dont l'exercice le met en rapport avec l'ensemble de la société. Telles sont les diverses libertés de parole, de conscience, d'enseignement dans les limites fixées par nos

lois.

L'étranger qui prend la direction politique d'un journal exerce-il un droit politique au sens strict du mot? « La loi haïtienne sur la presse, dit Monsieur Amédée Brun, reconnait implicitement la possibilité des journaux étrangers, puisqu'elle prend soin de déclarer que le gérant de tout écrit périodique, doit être haïtien... Tout en constatant que rien ne s'oppose à ce qu'un étranger prenne la direction politique d'un journal, il est permis de trouver étrange et anormal la situation d'un journaliste dont les articles recommanderaient aux suffrages populaires des candidats pour lesquels son extranéité lui interdit de voter. » (1) Nous partageons entièrement cette manière de voir d'autant plus que d'après l'article 21 de notre Consti · tution « chacun a le droit d'exprimer ses opinions en toutes matières, d'écrire, d'imprimer et de publier ses pensées. » Pour ce qui est de l'immixtion de l'étranger dans les affaires intérieures du pays, le gouvernement haïtien est armé du droit d'expulsion, en cas qu'il dépasse les limites permises.

Quant aux droits politiques qui supposent la qualité de citoyen, ils sont refusés aux étrangers. Ils n'ont pas le droit de vote; ils ne sont ni élec

(1) Voir Revue de la Société de Législation, 1893, No 11.

teurs ni éligibles; ils ne peuvent être jurés, officiers ministériels; ils ne peuvent intervenir comme témoins dans les actes notariés; il n'en est pas de même pour le témoignage dans les actes de l'Etat civil. On leur refuse aussi la faculté d'être avocats, car ils pourraient éventuellement être appelés à remplacer des juges.

CHAPITRE XI

DE LA COMPÉTENCE DES TRIBUNAUX HAITIENS
A L'ÉGARD DES ÉTRANGERS.

SOMMAIRE: Privilegia odiosa. Haïtien contre étranger. La compétence ratione materiæ. - La compétence ratione personæ. - Dérogation à la règle : actor sequitur forum rei. Les articles 15 et 16 du code civil haïtien sont des dispositions fâcheuses.Etranger contre haiiten. Caution judicatum solvi. Les agents diplomatiques mêmes doivent fournir la caution. - Législation comparée. --Etranger contre étranger. "L'extranéité des plaideurs est une cause d'incompétence des tribunaux haïtiens. L'arrêt du Tribunal de Cassation rendu le 22 mai 1881. Exception en matières commerciales. Deux arrêts importants du Tribunal de Cassation. En France, la jurisprudence apporte un grand dombre d'exceptions à la règle générale. L'opinion de MM. Aubry et Rau. - Législation comparée.

Nous allons dans le présent chapitre examiner certaines dispositions de notre Code civil concernant les étrangers lesquelles sont désignées sous le nom de privilegia odiosa. Nous le diviserons en trois sections: dans la première, il sera

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