Page images
PDF
EPUB

més autour du château, devant les agitations de Paris, òù l'on parlait de marcher sur la cour avec quarante mille hommes. « On ne saurait peindre, dit un contemporain, le frissonnement qu'éprouva la capitale à ce seul mot le roi a tout cassé. Je sentais du feu qui couvait sous mes pieds; il ne fallait qu'un signe, et la guerre civile éclatait. » La cour eut peur : elle s'entoura de troupes, garnit d'artillerie le pont de Sèvres, et remit à un autre temps d'engager la lutte par la force; car la force était déjà l'unique ressource des privilégiés en six semaines, ils avaient usé l'opposition des ordres et l'autorité royale! Toute la puissance morale était passée à l'assemblée, et la puissance matérielle allait bientôt venir à elle. Le lendemain la majorité du clergé et le surlendemain la minorité de la noblesse vinrent se réunir au tiers; deux jours après, le roi, compromettant pour la centième fois sa dignité par ses retours en arrière, invita lui-même les deux portions d'ordres qui siégeaient séparément à se joindre à tous les députés (27 juin). La cour leur fit entendre que la réunion ne serait que passagère et qu'on voulait seulement combiner des mesures certaines contre les factieux. Les privilégiés cédèrent; mais ils affectèrent de ne prendre aucune part aux délibérations de l'assemblée, et de n'y assister que debout, avec un air de moquerie, et comme en attendant.

-

§ IV. COMPLOTS DE LA COUR CONTRE L'ASSEMBLÉE.-INSURRECTION DE PARIS. - PRISE DE LA BASTILLE. LE ROI APPROUVE L'INSURRECTION. En effet, le comité du comte d'Artois et de la reine avait décidé le roi à employer la force pour venger son autorité et les lois violées. On fit venir autour de Paris jusqu'à quarante mille hommes, dont huit régiments étrangers et deux d'artillerie; tous les villages, les routes, les points militaires étaient encombrés de troupes; le Champ-de-Mars fut transformé en un camp de dix mille hommes; le maréchal de Broglie eut le commandement de toute cette armée, et le baron de Besenval celui de Paris. Mais avec leur frivolité ordinaire, les courtisans firent tous ces apprêts sans mystère et sans ensemble; le vieux maréchal méditait des plans de bataille ridicules, comme s'il eût dû combattre des armées régulières; enfin le complot fut déjoué avec tant de rapidité, que probablement les conspirateurs n'avaient pas même eu le loisir de le combiner entièrement.

Pendant ce temps, la capitale était pleine de craintes et d'agitations. On soupçonnait les desseins de la cour, et l'on répandait à ce sujet les bruits les plus sinistres que le roi devait dissoudre l'assemblée, déclarer la banqueroute, affamer Paris. Mais on

était disposé, non pas seulement à déjouer ces desseins, mais à les prévenir; et la multitude, qui était d'ailleurs tourmentée par la disette, n'avait là-dessus qu'un sentiment avec la bourgeoisie. C'était au Palais-Royal, rendez-vous des agitateurs et des nouvellistes, qu'on s'attroupait pour s'instruire des délibérations de l'Assemblée nationale et s'exciter à la résistance; c'était là que des orateurs montés sur une chaise, les uns ardents et convaincus, les autres achetés, disait-on, par l'or du duc d'Orléans, haranguaient la foule; c'était là qu'on cherchait à corrompre les troupes, principalement les gardes-françaises, régiment formé d'enfants de Paris, qui avait toujours la ville pour garnison. L'Assemblée nationale partageait les terreurs de la capitale, et craignait pour ellemême en voyant Versailles entouré de troupes et la route de Paris fermée elle se tenait en correspondance avec les meneurs du parti populaire, avec le Palais-Royal, avec les électeurs parisiens, qui, dès le 12 mai, avaient déclaré qu'ils resteraient assemblés pour soutenir les délibérations des états-généraux. A la fin, elle voulut sortir d'incertitude, et dénonça ouvertement le pouvoir à la nation dans une adresse au roi où elle demandait que la liberté fût rendue à ses délibérations par l'éloignement des troupes. Le roi répondit sèchement qu'il avait fait venir des régiments pour prévenir les troubles, et que si les états-généraux en prenaient ombrage, il les transférerait à Soissons. Ce fut le signal de la lutte, et la cour, craignant d'être prévenue, la commença.

Necker avait refusé d'assister à la séance du 23 juin, et son absence avait excité une vive colère parmi les privilégiés, qui demandèrent son renvoi; mais le ministre était si populaire que ce renvoi eût été un engagement prématuré d'hostilité, et on le garda pour couvrir de sa présence le complot formé. Lorsque la cour fut décidée à commencer ses vengeances, Necker reçut l'ordre de se démettre de ses fonctions, avec l'invitation de partir sur-le-champ et en secret pour Bruxelles. Le bruit de ce renvoi se répandit à Paris le lendemain et causa la plus vive agitation (12 juillet); malgré les troupes répandues partout, des rassemblements se formèrent, surtout au Palais-Royal, où un jeune homme, nommé Camille Desmoulins, monta sur une chaise un pistolet à la main, et s'écria: «< Citoyens, il n'y a pas un moment à perdre. Le renvoi de Necker est le tocsin d'une Saint-Barthélemy de patriotes. Ce soir même les bataillons étrangers sortiront du Champ-de-Mars pour nous égorger. Il ne nous reste qu'une ressource, c'est de courir aux armes ! » Aux armes! crie la foule, qui s'empare des bustes de Necker et du duc d'Orléans et les porte en triomphe dans

les rues les plus populeuses. Les troupes dispersent ce rassemblement, et le prince de Lambesc, à la tête d'un régiment de cavalerie, fait une charge dans les Tuileries qui tue et blesse plusieurs personnes. Alors l'indignation est à son comble on sonne le tocsin, on brûle les barrières, on pille les boutiques d'armuriers. Des brigands se mêlent au peuple, dévastent quelques maisons et augmentent la terreur. Les gardes-françaises sortent de leurs casernes où l'autorité les avait renfermées, et se portent la baïonnette en avant sur la place Louis XV, dont elles chassent les régiments étrangers. Le baron de Besenval appelle les troupes du Champ-de-Mars et veut se maintenir dans les Champs-Élysées; mais la plupart de ses soldats refusent de se battre, et il est obligé de se mettre en retraite devant le peuple et les gardesfrançaises.

Pendant ce temps, les électeurs s'étaient rassemblés à l'Hôtelde-Ville, et cherchaient à arrêter le tumulte où à le diriger : ils ordonnent la convocation des assemblées primaires des districts et livrent les armes de l'hôtel à la multitude; ils se forment en municipalité provisoire avec le prévôt des marchands, Flesselles; ils décrètent la formation d'une garde bourgeoise de quarante-huit mille hommes, portant la cocarde bleue et rouge, couleurs de Paris, qui sortaient, après plus de quatre siècles, de l'opprobre où elles étaient tombées depuis Étienne Marcel.

Le lendemain, la milice bourgeoise se forme, et l'on y fait entrer les gardes-françaises et les soldats du guet; des corps de volontaires stationnent sur les places, les districts se réunissent; on dépave les rues; on ouvre des tranchées; on cherche partout des

armes.

Le troisième jour (44 juillet), la foule se porte aux Invalides, où elle enlève vingt-huit mille fusils et vingt canons; de là elle se dirige sur la Bastille, qui n'avait pour garnison que cent quatorze Suisses et invalides, et demande des armes. Elle est accueillie à coups de fusil, et un combat s'engage. Le gouverneur Delaunay avait reçu l'ordre de Besenval de tenir jusqu'au soir, et il repousse les parlementaires envoyés par l'Hôtel-de-Ville. Après cinq heures de combat, où le peuple eut quatre-vingt-dix-huit tués et soixante-treize blessés, pendant que les assiégés n'avaient perdu qu'un seul homme, les gardes-françaises mirent leurs canons en batterie devant le pont-levis. La garnison demanda à se rendre; mais pendant qu'on pourparlait, un petit pont fut abaissé, et le peuple, se précipitant dans la forteresse, égorgea le gouverneur, trois officiers et plusieurs soldats. Alors, ivre de sa victoire, il s'en

alla à l'Hôtel-de-Ville, portant en triomphe les clefs de la Bastille; mais là il tourna sa fureur contre Flesselles, qui la veille l'avait plusieurs fois trompé en lui promettant des armes il l'entraîna de l'hôtel sur la place de Grève, et le massacra. On avait trouvé, dit-on, dans les habits de Delaunay, un billet du prévôt qui l'engageait à tenir ferme, pendant qu'il amusait les Parisiens avec des cocardes. La ville s'attendait à être attaquée pendant la nuit par Besenval, qui rassemblait ses forces au Champ-de-Mars : aussi l'on forma des barricades, on forgea des piques, on braqua les canons sur les quais; la garde bourgeoise fut tout entière sur pied; mais cette nuit-là même le camp du Champ-de-Mars fut levé précipitamment.

Pendant ces trois jours, Versailles était dans l'agitation et la terreur. La cour tremblait que les Parisiens ne se portassent sur la ville; la reine et les princes visitèrent les soldats, et leur distribuèrent de l'argent et du vin; les avenues furent garnies de troupes, et toute communication rompue avec Paris. L'Assemblée nationale se trouva à la merci de ses ennemis, protégée seulement par la crainte qu'inspirait le bruit de la fusillade de la capitale. Cependant, dès qu'elle apprit les événements du 12, elle envoya une députation au roi pour lui demander l'éloignement des troupes et l'établissement d'une garde bourgeoise. Louis refusa durement. Alors l'assemblée, redoublant de raison et d'énergie au milieu des dangers, décréta que Necker emportait son estime et ses regrets, qu'elle ne cesserait d'insister sur le renvoi des troupes et l'établissement d'une garde bourgeoise; que les ministres et conseillers du roi, « de quelque rang et état qu'ils pussent être, » étaient responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l'assemblée, de tous les malheurs présents et de ceux qui les suivraient; puis elle se déclara en permanence et continua avec calme la discussion sur les travaux préparatoires de la constitution. La cour, à ce qu'on croit, répondit à ce décret en donnant des ordres secrets pour que, dans la nuit du 14 au 15, Paris fût attaqué sur sept points à la fois et l'Assemblée nationale enlevée par trois régiments; le roi devait se transporter au parlement, y faire enregistrer sa déclaration du 23 juin et pourvoir aux besoins du trésor par la banqueroute. La prise de la Bastille fit manquer ce plan.

A la nouvelle de l'attaque de cette forteresse, l'assemblée envoya successivement deux députations au roi, qui les accueillit vaguement; le lendemain, et quand elle eut appris la victoire du peuple, elle allait en envoyer une troisième chargée des imprécations de

Mirabeau «< contre les princes et princesses qui ont gorgé de vin les satellites étrangers; » mais tout à coup l'on annonça l'arrivée du roi. Ce prince avait appris dans la nuit la prise de la Bastille par le duc de Liancourt, et il en fut terrifié : « Quelle révolte! s'écriat-il. Dites quelle révolution, sire! » Sur les instances de ce fidèle serviteur, il écrivit au comte d'Artois pour lui annoncer qu'il révoquait ses ordres : « Résister en ce moment, lui dit-il, se serait perdre la monarchie, ce serait nous perdre tous. >> Puis il se rendit à l'assemblée à pied et sans escorte, et il la rassura dans un discours simple et touchant où il annonça qu'il avait ordonné l'éloignement des troupes. « Vous avez craint, dit-il aux députés; eh bien! c'est moi qui me fie à vous... » Il fut vivement applaudi, entouré et reconduit par toute l'assemblée, aux acclamations de le foule. Alors une députation de cent membres se rendit à Paris, qui s'apprêtait à soutenir un siége, pour lui annoncer la réconciliation du roi et de l'assemblée, et elle fut accueillie avec le plus grand enthousiasme. Bailly et La Fayette faisaient partie de cette députation on offrit au premier la mairie de Paris, au second le commandement de la garde bourgeoise ou nationale. Tous deux acceptèrent, et, à leur retour, ils conseillèrent au roi de sceller, par sa présence dans la capitale, la paix avec son peuple. Louis y consentit malgré la reine et les princes, mais si bien convaincu qu'il ne reviendrait pas, qu'il fit, en s'en allant, ses dispositions pour la régence. Il partit, accompagné d'une députation de l'assemblée, et arriva à l'Hôtel-de-Ville au milieu d'une multitude armée, sombre et silencieuse (17 juillet). Le peuple ne se dérida qu'en lui voyant prendre la cocarde parisienne, à laquelle on ajouta la couleur royale : ce fut alors cette cocarde tricolore qui, suivant la prophétie de La Fayette, devait faire le tour du monde. Louis acheva la réconciliation en confirmant la formation de la garde nationale et de la municipalité provisoire, en approuvant les nominations du général et du maire, enfin en légitimant toute la révolution que la force venait de faire. § V. COMMENCEMENT DE L'ÉMIGRATION. DÉSORDRES A PARIS ET DANS LES PROVINCES. NUIT DU 4 AOUT. Les journées de juillet furent le complément des journées de juin au 17 et au 23 juin, l'assemblée s'était emparée de la puissance législative; au 12 et au 14 juillet, le peuple s'empara de la puissance publique. « L'autorité ainsi que la force se trouvèrent entièrement déplacées, » et la nation eut désormais dans ses mains tous les moyens d'accomplir la révolution. Les partisans de l'ancien régime en furent terrifiés, et ils se partagèrent dès lors en deux grandes fractions: celle

« PreviousContinue »