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la princesse Marie-Louise partit pour la France, et les fètes les plus pompeuses célébrèrent l'union de l'héritier de la révolution avec la descendante des maisons de Hapsbourg et de Lorraine (1810, 2 avril). Le peuple y resta froid: il aimait Joséphine, femme spirituelle, gracieuse et dévouée, qui n'avait point été au-dessous de sa merveilleuse fortune, et qu'il appelait le bon ange de l'Empereur; il regarda sa répudiation, le choix d'une Autrichienne, l'entrée de Napoléon dans la famille des rois absolus, comme une apostasie de son chef, comme un appât perfide de la coalition, comme le signal des plus grands malheurs. La nouvelle impératrice était une jeune femme de dix-neuf ans, sans beauté, sans grâce, sans esprit, qui resta une étrangère pour l'Empereur et pour la France. Elle ne plut qu'à Napoléon, heureux de mettre dans sa couche la fille des césars; qu'aux anciens nobles, qui s'empressèrent autour de la nièce de Marie-Antoinette; qu'aux nouveaux ducs d'origine révolutionnaire, qui qualifièrent ce mariage une << magnifique expiation d'un grand crime. » Les aristocraties européennes furent indignées; et les Bourbons, dans leur exil, se regardèrent comme perdus faire asseoir Marie-Louise sur le trône sanglant de sa tante semblait la consécration de la révolution. Mais la famille impériale de Lorraine-Autriche était plus clairvoyante : elle avait sacrifié au démon de la démocratie la victime qui devait l'endormir dans la confiance de sa fortune. « Ils l'ont avoué, disait Napoléon à Sainte-Hélène : c'est sous le masque des alliances, du sang même et sous celui de l'amitié qu'ils ont ourdi ma chute! >> § III. PRESSE, JUSTICE, FINANCES, AFFAIRES Religieuses. Ce fut, en effet, pour lui une époque fatale : à l'extérieur, se croyant assuré de l'Autriche, il méprisa les ressentiments de la Russie, ne regarda plus la paix avec l'Angleterre que comme une affaire de temps et de patience, enfin laissa la conduite de la guerre d'Espagne à ses généraux; à l'intérieur, il rendit sa dictature plus franche et plus complète; il répéta le mot de Louis XIV : « L'état, c'est moi!» il entacha d'arbitraire toutes ses œuvres, bonnes ou mauvaises, et principalement celles qui regardaient la presse, la justice, les finances, les affaires religieuses.

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Le pouvoir réduisit le nombre des journaux, s'attribua la propriété de ceux qu'il laissait vivre, et en distribua les actions à des gens de lettres (1810, 5 fév.); la censure fut établie même sur les livres faute immense, qui laissa les infâmes calomnies de la presse anglaise contre Napoléon et sa famille sans autre réponse que les colères du Moniteur, et qui fit de ces calomnies des croyances populaires à l'étranger. Huit prisons d'état furent instituées (3 mars),

où le gouvernement fit enfermer sans jugement, à sa volonté, les prévenus d'attentats politiques. L'organisation judiciaire fut rendue toute monarchique : on régularisa l'institution des jugesauditeurs, qui ne furent que des commissaires à la disposition du pouvoir; le gouvernement fut autorisé à suspendre le jury et à multiplier les tribunaux spéciaux ; on fit entrer dans la magistrature les fils des anciens parlementaires. Un code pénal fut promulgué (1810, 2 mars): œuvre d'anciens criminalistes, où la peine de mort fut prodiguée aux attentats politiques, et la confiscation admise. Enfin, la police fut enlevée à Fouché, que l'esprit d'intrigue avait égaré jusqu'à lui faire entamer en son nom des négociations avec l'Angleterre, et elle fut donnée à Savary, homme dévoué à l'Empereur jusqu'au fanatisme.

Le budget de 1808 s'était élevé à 811 millions, celui de 1809 à 859; celui de 1810 fut de 740, et celui de 1844 de 954. Ces chiffres étaient modiques pour un si vaste empire, mais on n'y comprenait pas les frais de perception; l'on mettait à la charge des départements une foule de dépenses accessoires, et l'armée avait été nourrie, depuis 1805, presque entièrement aux dépens de l'ennemi. L'Empereur portait, dans l'administration des finances, le zèle le plus sévère pour les intérêts publics; mais il n'était pas toujours juste pour les intérêts privés : il n'aimait pas les hommes d'argent, qu'il avait vus si rapaces sous le Directoire; il ne se piquait pas de fidélité dans ses engagements envers les fournisseurs, disant pour raison « qu'il jugeait de l'esprit, non de la lettre des contrats, et que sa mission supérieure était de redresser tous les torts faits à l'intérêt public. » Ce fut d'après ces principes qu'il fit terminer la liquidation des créances arriérées de la révolution (1er juill.), liquidation qui durait depuis vingt ans, et qui était l'opération la plus vaste et la plus compliquée qu'on eût jamais faite, puisqu'elle comprenait près de cinq cent mille créances montant à 3 milliards 1. Defermon, à qui elle fut confiée en dernier lieu, se montra impitoyable pour les sangsues publiques qui avaient abusé des nécessités de la patrie, et qui présentaient des comptes frauduleux deux mille six cent quatre-vingt-dix-neuf comptables furent constitués en débet envers le trésor pour 78 millions, et il fut reconnu que les demandes fausses ou mal justi

Cette grande dette provenait : 1o du remboursement des offices de judicature, charges militaires ou de finances, cautionnements arriérés, dettes des pays d'états, du clergé, etc.; 2o des emprunts, fournitures, réquisitions, etc., faits sous la république; 3o des dettes de la Belgique, du Piémont et autres pays réunis. Du 1er janvier 1791 au 10 messidor an x, deux cent trente-neuf mille huit cent une créances avaient été liquidées pour la somme de 1,327 millions,

fiées s'élevaient à 1,357 millions; mais il n'y eut pas que des voleurs qui furent dépouillés : d'honnêtes créanciers furent traités avec une rigueur arbitraire, et la guérison de cette grande plaie de la révolution prit le caractère d'une banqueroute.

En même temps que Napoléon se montrait si rigide administrateur des deniers de l'état, il s'attribuait la libre disposition de ressources qui auraient dû être versées au trésor public et administrées suivant les lois ordinaires, c'est-à-dire du domaine extraordinaire provenant des contributions de guerre perçues en pays étranger et des propriétés publiques dans les états conquis. Il les appliquait sans doute à couvrir les dépenses des armées, à récompenser ses soldats, à élever des monuments, à meubler les palais impériaux ; mais l'emploi n'en était pas moins arbitraire et clandestin. Au 31 décembre 1810, époque à laquelle il fit régler par un sénatus-consulte le domaine extraordinaire, la somme des capitaux provenant des troisième, quatrième et cinquième coalitions s'élevait à 754 millions, dont il avait été dépensé, soit pour le service des armées, soit en gratifications, soit en monuments, 453 millions: il restait donc 324 millions. De plus, le revenu des domaines acquis à l'étranger par la conquête s'élevait à 38 millions, sur lesquels l'Empereur distribua cinq mille cent soixante-seize dotations à ses maréchaux, généraux, officiers, soldats, princes impériaux, ministres, sénateurs, conseillers, anciens nobles, établissements publics, lesquelles montaient à 32,463,000 francs de rente.

Napoléon, en confinant le pape à Savone, avait dit : « L'évêque de Rome continuera d'être le chef de l'Église, son pouvoir reste le même. » Mais il lui avait enlevé tous ses cardinaux; il lui avait interdit toute communication avec la France et l'Italie; il avait fait déclarer les articles de 1682 loi de l'empire. Pie VII, captif et persécuté, refusa de donner l'institution aux évêques nommés par l'Empereur. Par le conseil du cardinal Maury, nommé archevêque de Paris, et d'après un décret du concile de Trente, on tourna la difficulté en faisant élire par les chapitres, comme vicaires apostoliques, les évêques nommés. Mais le pape défendit à ces vicaires, et principalement à Maury, de prendre l'administration des diocèses. Ces discordes scandaleuses embarrassaient le gouvernement: pour y mettre un terme, l'Empereur, de l'avis d'un grand conseil ecclésiastique, convoqua un concile national (1814, 17 juin). Cent prélats se réunirent à Paris : ils décrétèrent, mais sous la réserve de l'approbation du pape et d'après une note que celui-ci leur avait envoyée, que « dorénavant le pontife devrait donner l'institution aux évêques dans les six semaines qui suivraient leur nomination,

sinon les métropolitains étaient autorisés à donner cette institution. » C'était tout ce que l'Empereur avait demandé; mais il s'irrita des discussions des prélats sur le pouvoir des papes, fit fermer le concile, et ordonna l'arrestation de plusieurs évêques ( 10 juill.). Cependant il se radoucit et autorisa une députation à aller à Savone pour y conférer avec Pie VII. Celui-ci donna un bref par lequel il adhérait au décret du concile, mais dans des termes qui parurent injurieux au gouvernement. Napoléon rejeta ce bref, soit par un orgueil mal entendu, soit pour n'avoir pas, en laissant le pape captif, à engager avec lui une lutte nouvelle sur la question des états de l'Église; et, jusqu'à la fin de son règne, les affaires ecclésiastiques restèrent dans un provisoire qui le discrédita aux yeux des peuples.

§ IV. NAISSANCE DU ROI DE ROME. RÉUNION DE LA HOL LANDE, DU HANOVRE, DES VILLES ANSÉATIQUES. Le 20 mars 4811, l'impératrice accoucha d'un fils qui fut salué du nom de roi de Rome et divinisé dans son berceau par les adulations de toute l'Europe. Cette naissance excita la plus vive allégresse: on crut que l'Empereur allait prendre des sentiments pacifiques et de conservation; mais il fut enivré de son bonheur : il était enfin maître de l'avenir! il irait, chef de race, dormir dans les caveaux de Saint-Denis; c'était maintenant sur lui-même que reposait son système dynastique, qu'il avait appuyé jusqu'alors sur des frères ingrats dont il lui fallait briser les absurdes résistances.

La grande pensée du système dynastique était d'assurer l'exécution des décrets contre l'Angleterre, et, par conséquent, d'amener la paix. Ce n'était pas pour eux-mêmes que Napoléon avait élevé ses frères : c'était pour lui, pour son système continental, pour la France. « Mon enfant, dit-il un jour au fils de Louis, qu'il avait fait grand-duc de Berg, n'oubliez jamais, dans quelque position que vous placent ma politique et l'intérêt de mon empire, que vos premiers devoirs sont envers moi, vos seconds envers la France tous vos autres devoirs, même ceux envers les peuples que je pourrais vous confier, ne viennent qu'après. » Mais Louis, Jérôme, Murat, Joseph, avaient pris leurs dignités au sérieux : pour se nationaliser dans leurs nouvelles patries, ils épousaient les intérêts, les haines et les amitiés de leurs peuples, jusqu'à s'isoler entièrement de la France, jusqu'à courtiser la coalition, jusqu'à trahir Napoléon. Leur royauté les aveuglait à tel point qu'ils semblaient s'imaginer que la France s'était sacrifiée à leur donner des trônes uniquement pour leur grandeur personnelle. « Nommais-je un roi, disait le prisonnier de Sainte-Hélène, aussitôt il se croyait

roi par la grâce de Dieu, tant le mot est épidémique. Ce n'était pas un lieutenant sur lequel je pouvais me reposer : c'était un ennemi de plus dont je devais m'occuper. Ses efforts n'étaient pas de me seconder, mais bien de se rendre indépendant. Tous avaient aussitôt la manie de se croire adorés, préférés à moi; c'était moi qui les gênais, qui les mettais en péril. Si, au lieu de cela, chacun d'eux eût imprimé une impulsion commune aux diverses masses que je leur avais confiées, nous eussions marché jusqu'aux pôles; tout se fût abaissé devant nous; nous eussions changé la face du monde; l'Europe jouirait d'un système nouveau ! »>

La Hollande, transformée en royaume, était devenue l'ennemie de la France, qu'elle avait si fidèlement servie quand elle était république. On y insultait les Français; on y pensait à s'allier à l'Angleterre; on y rappelait les affronts faits par les marchands d'Amsterdam à Louis XIV. Nul état ne souffrait davantage du blocus continental, mais aussi nul ne le violait plus ouvertement. Louis était un homme doux et éclairé, qui, dans des temps ordinaires, aurait parfaitement gouverné ce pays; mais, pour plaire à ses sujets, il favorisait la contrebande, et la Hollande était devenue l'entrepôt des marchandises anglaises pour le continent. Napoléon lui en fit de vives réprimandes : « Votre royaume est une province anglaise, lui dit-il; mais, sous aucun prétexte, la France ne souffrira que la Hollande se sépare de la cause continentale. » Et il proscrivit toute marchandise provenant de la Hollande; puis il menaça Louis de réunir son royaume à la France, en l'invitant à en avertir les Anglais; enfin il le fit venir à Paris : « En vous mettant sur le trône de Hollande, dit-il, j'avais cru y placer un citoyen français aussi dévoué à la grandeur de la France et aussi . jaloux que moi de ce qui intéresse la mère-patrie; mais vous avez tendu tous les ressorts de votre raison, tourmenté la délicatesse de votre conscience, pour vous persuader que vous étiez Hollandais. » Il lui reprocha les injures que la France recevait d'un pays qui devait aux rois de France son existence primitive. « Vous devez comprendre que je ne me sépare pas de mes prédécesseurs, et que, depuis Clovis jusqu'au Comité de salut public, je me tiens solidaire de tout... » Enfin il lui fit signer un traité par lequel la Hollande s'engageait à n'avoir ni commerce, ni communication avec l'Angleterre; le Brabant méridional et la Zélande étaient cédés à la France, et le thalweg du Wahal devenait la limite entre les deux états; dix-huit mille hommes de troupes françaises étaient chargés de la garde des côtes et des embouchures des fleuves. Louis se retira dans son royaume, décidé à résister et même à faire la

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