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qu'ils ne devoient plus mettre leur confiance qu'en Dieu seul, et que toutes les autres voies pour faire connoître leur innocence leur étoient fermées.

DE L'HISTOIRE

DE PORT-ROYAL.

SECONDE PARTIE.

Nous avons vu jusqu'ici la calomnie employer tous ses efforts pour décrier le monastère de PortRoyal. Nous allons voir maintenant tomber sur cette maison l'orage qui se formoit depuis tant d'années, et la passion des jésuites armée pour la perdre, non plus simplement de l'autorité du premier ministre, mais de toute la puissance royale. Je ne doute pas que la postérité, qui verra un jour d'un côté les grandes choses que le roi a faites pour l'avancement de la religion catholique, et de l'autre les grands services que M. Arnauld a rendus à l'Eglise, et la vertu extraordinaire qui a éclaté dans la maison dont nous parlons, n'ait peine à comprendre comment il s'est pu faire que, sous un roi si plein de piété et de justice, une maison si sainte ait été détruite, et que ce même M. Arnauld ait été obligé d'aller finir sa vie dans les pays étran

gers. Mais ce n'est pas la première fois que Dieu a permis que de fort grands saints aient été traités en coupables par des princes très-vertueux : l'histoire ecclésiastique est pleine de pareils exemples; et il faut avouer que jamais prévention n'a été fondée sur des raisons plus apparentes que celle du roi contre tout ce qui s'appelle jansénisme.

Car, bien que les défenseurs de la grace n'aient jamais soutenu les cinq propositions en ellesmêmes ni avoué qu'elles fussent d'aucun auteur ; bien qu'ils n'eussent, comme j'ai déjà dit, envoyé leurs docteurs à Rome que pour exhorter sa sainteté à prendre bien garde, en prononçant sur ces propositions chimériques, de ne point donner d'atteinte à la véritable doctrine de la grace : le pape néanmoins les ayant condamnées sans aucune explication comme extraites de Jansenius, il sembloit que les prétendus jansénistes eussent entièrement perdu leur cause; et la plupart du monde, qui ne savoit pas le noeud de la question, croyoit que c'étoit en effet leur opinion que le pape avoit condamnée. La distinction même du fait et du droit qu'ils alléguoient, paroissoit une adresse imaginée après coup pour ne se point soumettre; il n'est donc pas surprenant que le roi, à qui ses grands emplois ne laissoient pas le temps de lire leurs nombreuses justifications, crût, sur tant de circonstances si vraisemblables et si peu vraies, qu'ils étoient dans l'erreur. D'ailleurs,

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quelque grands principes qu'on eût à Port-Royal sur la fidélité et sur l'obéissance qu'on doit aux puissances légitimes, quelque persuadé qu'on y fût qu'un sujet ne peut jamais avoir de juste raison de s'élever contre son prince, le roi étoit prévenu que les jansénistes n'étoient pas bien intentionnés pour sa personne et pour son état ; et ils avoient eux-mêmes, sans y penser, donné occasion de lui inspirer ces sentiments par le commerce, quoique innocent, qu'ils avoient eu avec le cardinal de Retz, et par leur facilité plus chrétienne que judicieuse à recevoir beaucoup de personnes ou dégoûtées de la cour, ou tombées dans la disgrace, qui venoient chez eux chercher des consolations, quelquefois même se jeter dans la pénitence. Joignez à cela qu'encore que les principaux d'entre eux fussent fort réservés à parler et à se plaindre, ils avoient des amis moins réservés et indiscrets, qui tenoient quelquefois des discours très-peu excusables. Ces discours, quoique avancés souvent par un seul particulier, étoient réputés des discours de tout le corps ; et leurs adversaires prenoient grand soin qu'ils fussent rapportés au premier ministre ou au roi même. On sait que sa majesté a toujours un jésuite pour confesseur. Le père Annat qui l'a été fort longtemps, outre l'intérêt général de sa compagnie, avoit encore un intérêt particulier qui l'animoit contre les gens dont nous parlons. Il se piquoit d'être grand théo

logien et grand écrivain; il entassoit volume sur volume, et ne pouvoit digérer de voir ses livres, (malgré tous les mouvements que sa compagnie se donnoit pour les faire valoir) méprisés du public, et ceux de ses adversaires dans une estime générale. Tous ceux qui ont connu ce père, savent qu'étant assez raisonnable dans les autres choses, il ne connoissoit plus ni raison ni équité quand il étoit question des jansénistes. Tout ce qui approchoit du roi, mais surtout les gens d'église, n'osoient guère lui parler sur ce chapitre que dans les sentiments de son confesseur. Il ne se tenoit point d'assemblée d'évêques où l'on ne fît des délibérations contre la prétendue nouvelle hérésie; et ils comparoient dans leurs harangues quelques déclarations qu'on avoit obtenues de sa majesté contre les jansénistes, à tout ce que les Constantin et les Théodose avoient fait de plus considérable pour l'Eglise. Les papes mêmes excitoient dans leurs brefs son zèle à exterminer une secte si pernicieuse. C'étoient tous les jours de nouvelles accusations. On lui présentoit des livres où l'on assuroit que pendant les guerres de Paris, les ecclésiastiques de Port-Royal avoient offert au duc d'Orléans de lever et d'entretenir douze mille hommes à leurs dépens, et qu'on en donneroit la preuve dès que sa majesté en voudroit être informée. On eut l'impudence d'avancer dans un de ces livres, que M. de Gondrin, archevêque de Sens, qu'on

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